Depuis quelques années, les CSE s’emparent de plus en plus de la question environnementale. En 2021, la loi climat leur a notamment permis d’acquérir un droit de regard sur les conséquences environnementales de leur entreprise.
L’écologie serait-elle enfin en train de s’imposer dans le monde du travail ? Le 11 avril, après neuf mois de négociations, syndicats et patronat se sont accordés sur un projet d’accord national interprofessionnel inédit, destiné à faciliter la prise en compte des enjeux liés à la transition écologique dans les entreprises. Le texte ne contient certes aucune mesure contraignante, mais représente tout de même une première. De fait, jamais les thématiques d’adaptation au réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité n’avaient été abordées aussi frontalement par les partenaires sociaux. « C’est le sujet du moment », estime même Alexandra Stocki, avocate au sein du cabinet Proskauer Rose.
Véritable guide juridique et pratique, le futur accord rappelle notamment les nouvelles prérogatives des comités sociaux et économiques (CSE) en matière de protection de l’environnement. Depuis la loi climat du 22 août 2021, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le CSE peut en effet demander à l’employeur de rendre des comptes sur les conséquences environnementales de ses projets de décisions. Il s'agit d'une petite révolution juridique. Jusqu’alors, ce rôle de veilleur environnemental de l’instance représentative du personnel ne s’appliquait qu’aux établissements à risque et à certaines sociétés cotées.
Le CSE doit désormais être « informé des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise », au cours des consultations récurrentes et être « informé et consulté sur les conséquences environnementales » de certains projets de l’employeur, tels qu’une fusion ou un déménagement des locaux. Concrètement, l’employeur doit, le cas échéant, communiquer au CSE une étude d’impact environnemental lors de ces procédures de consultation. Afin d’analyser ces données parfois techniques, les élus peuvent, dans certains cas, faire appel à un expert-comptable en vue d’émettre un avis consultatif. « En clair, ce dispositif permet simplement de demander de l’information et potentiellement de proposer à l’employeur d’étudier des propositions alternatives. Mais cela ne permet pas d’engager une vraie réflexion environnementale au sein de l’entreprise », tranche Alexandra Stocki. Un avis que ne partage pas complètement Benoit Masnou, avocat spécialisé en droit du travail au sein du cabinet Covence : « Certes, l’employeur n’est pas obligé de tenir compte de cet avis pour mettre en œuvre ces projets. Mais en cas d’avis défavorable, il devra tout de même défendre sa décision de manière motivée. Ce dispositif peut éventuellement permettre de placer l’employeur face à ses contradictions vis-à-vis de sa politique RSE ou de ses objectifs affichés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. » À noter que si l’employeur ne produit pas ces informations ou si elles sont jugées incomplètes, les CSE peuvent réclamer la communication de ces éléments en justice, voire demander la suspension du projet.
Manque de moyens
Voilà pour la théorie. Mais en pratique, la loi climat n’a que peu changé la donne. « Dans la plupart des cas, ces études d’impact ne sont pas réalisées sérieusement. Souvent, les employeurs disent qu’ils ont cherché des conséquences environnementales sans en trouver. Dans d’autres cas, elles ne sont même pas mentionnées », regrette Amélie Klahr, avocate en droit du travail au sein du cabinet Covence. « C’est que les directions ne sont pas suffisamment outillées. Par ailleurs, il y a des projets qui n’ont clairement pas de conséquences environnementales, comme l’acquisition d’une filiale, qui est une simple opération patrimoniale », estime Alexandra Stocki. Du côté des CSE, les avancées ne sont pas non plus manifestes. « Souvent, les élus ne se sentent pas encore légitimes sur ces sujets parce qu’ils ne sont pas suffisamment formés. La loi climat prévoit que la formation économique des élus titulaires peut intégrer la problématique environnementale, mais ce n’est qu’optionnel », souligne Benoit Masnou. Les ordonnances Macron, en fusionnant les différentes instances représentatives du personnel au sein des CSE, n’ont semble-t-il, rien arrangé. De fait, le nombre d’élus et les moyens ont diminué, mais les missions sont restées les mêmes. Résultat, les représentants du personnel croulent sous les dossiers et ont tendance à faire passer l’environnement au second plan. « Les élus nous disent que le sujet est intéressant, mais qu’il y a urgence sur d’autres dossiers, comme les burn out ou le pouvoir d’achat », explique l’avocat.
Pourtant, les choses commencent à bouger. Un an et demi après la promulgation de la loi, les premiers contentieux commencent à apparaître. L’une des raisons ? Une rédaction imprécise des textes législatifs. « Le Code du travail dispose que le CSE doit être informé des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise, mais sans plus de précisions concernant ces termes et donc les interprétations divergent. Sans surprise, syndicats et patronat ont une lecture différenciée du périmètre de ces obligations », explique Amélie Klahr. Pour les consultations ponctuelles notamment, aucune norme n’a été définie pour l’étude d’impact. De quoi donner des sueurs froides aux employeurs. « Dans le cadre d’un déménagement, comment voulez-vous évaluer l’impact carbone des futurs trajets domicile-travail ? Le risque est de se retrouver avec une usine à gaz », estime Alexandra Stocki. En novembre dernier, le CSE de GE Wind France, filiale de General Electric spécialisée dans l’éolien en mer, a attaqué son employeur en justice pour avoir présenté une étude d’impact incomplète et tardive dans le cadre d’un projet de déménagement. Le juge a estimé que la direction avait tardé à communiquer les documents nécessaires et a condamné l’employeur à verser près de 3 000 euros au CSE. Ce dernier a pour sa part obtenu un délai pour se prononcer sur le projet. En revanche, le magistrat a estimé que l’employeur avait bien fourni les documents nécessaires sur l’impact environnemental, qu’il s’agisse des émissions et de la production de déchets générées par le déménagement, le changement de fournisseurs et de sous-traitants, les incidences du déménagement sur les déplacements des salariés ou encore les caractéristiques des nouveaux mobiliers.
Certains CSE ont cependant obtenu des avancées sans passer par la case justice. Chez Orange, le comité a réclamé en mars 2022 une étude d’impact dans le cadre d’un projet de réaménagement des locaux. « La direction voulait généraliser le flex office. Nous en avons profité pour faire des propositions concrètes sur l’éclairage des façades la nuit, l’extinction des écrans d’informations, le tri des déchets, la promotion des modes de transports doux pour se rendre au travail », raconte Dominique Poitevin, élu au CSE, qui estime avoir travaillé en bonne intelligence avec son employeur. Le groupe de téléphonie a cependant refusé de fournir aux représentants du personnel les données liées au bilan carbone du télétravail.
Impact des activités sociales et culturelles
Ces initiatives écologiques des CSE promettent de se répéter de plus en plus souvent à l’avenir. Cinq ans après les ordonnances Macron, les deux tiers des instances doivent se renouveler au cours de l’année 2023. Or, l’environnement est désormais une priorité pour l’écrasante majorité des salariés. D’après une étude réalisée par Elabe en avril, 85 % des actifs se disent en effet préoccupés par le changement climatique. Près de la moitié d’entre eux serait même prête à changer d’entreprise si cette dernière ne prenait pas suffisamment au sérieux la question de la transition écologique. Côté CSE, les nouveaux élus exigent désormais d’être formés sur la question environnementale. « Chez Covence, nous sommes de plus en plus sollicités, car nous disposons d’une expertise sur ces sujets », souligne Amélie Klahr. Preuve supplémentaire que l’environnement s’impose désormais au sein du dialogue social, un premier « écosyndicat », le Printemps écologique, est né en mai 2020. Cette confédération revendique aujourd’hui près de 300 adhérents et des élus dans une vingtaine de CSE. Le profil de ses membres ? « Ce ne sont pas uniquement des jeunes. La plupart sont arrivés au syndicalisme par l’écologie et non l’inverse », explique Anne Le Corre, cofondatrice du syndicat. Comme Kilian Favero, ingénieur chez Almond, une entreprise de conseil en informatique. Ce dernier est devenu adhérent au Printemps écologique en mars 2021 : « À l’époque, j’étais préoccupé par le climat sans pouvoir agir concrètement. J’avais plutôt une mauvaise image des syndicats, mais le discours du Printemps écologique m’a convaincu. Il faut se syndiquer pour pouvoir agir à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’entreprise, de la branche ou de l’échelon national. » Fin 2020, l’élu CSE n’a pas hésité à monter une commission écologie et à réclamer un bilan carbone à son entreprise. Au départ peu intéressée par le sujet, cette dernière a finalement été contrainte d’en faire une priorité devant l’insistance de ses clients et de ses propres investisseurs, soucieux de l’impact environnemental de la société.
Au-delà des bilans carbone, les élus du CSE peuvent également agir sur le volet des activités sociales et culturelles. « En France, le montant global atteint près de 11 milliards d’euros », insiste Maxime Balsat, fondateur de l’association Représente.org, dont le but affiché est d’aider les CSE à verdir ce volet de leurs missions. Aujourd’hui, l’association accompagne ainsi une trentaine de CSE dans des entreprises de 50 à 3 500 salariés. « Parfois, les élus sont motivés pour changer les choses, mais ne savent pas par quoi commencer, ou alors ils ont des idées, mais ne savent pas bien comment les mettre en place dans le temps qui leur est imparti. C’est là que nous intervenons », explique Maxime Balsat. Certains comités ont remplacé la soirée de Noël par une matinée passée à végétaliser un collège ZEP ou proposé des cartes cadeaux « éthiques ». Le CSE d’Egis Rail, une entreprise d’ingénierie dans les transports, a, entre autres, organisé un atelier « fresque du climat » et mis à disposition des salariés des ressources sur l’écologie (DVD, jeux, livres). Pourtant, des voyages en avion à l’autre bout du monde sont toujours au programme. « C’est compliqué, car nos salariés apprécient cela. Pour certains, c’est le voyage d’une vie », se défend Éva Philippon-Bourbier, chargée de communication. Mais le CSE de l’entreprise, basée à Lyon, a aussi organisé récemment un week-end à Bordeaux… en avion. « C’est vrai que ce n’était pas idéal. Même des salariés sont venus se plaindre auprès de nous », reconnaît Xavier Collin, en charge des activités sociales et culturelles au sein du CSE. L’écologie, « sujet du moment », promet de le rester encore un moment.