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Évolution du licenciement pour harcèlement sexuel

Licenciements | publié le : 08.07.2024 | Gilmar Sequeira Martins

Official building of Cour de Cassation (Court of Cassation) in Paris - France

Une décision de la Cour de cassation justifie un licenciement pour faute, basé sur des faits de harcèlement sexuel, indépendamment de l’attitude passée de l’employeur vis-à-vis du salarié auteur de ces faits.

Crédit photo UlyssePixel/Adobe Stock

Une décision de la Cour de cassation justifie un licenciement pour faute, basé sur des faits de harcèlement sexuel, indépendamment de l’attitude passée de l’employeur vis-à-vis du salarié auteur de ces faits.

Un licenciement pour faute basé sur des faits de harcèlement sexuel peut être prononcé même si l’employeur et les tribunaux ne retiennent pas cette qualification des faits, selon une décision de la Cour de cassation du 12 juin 2024 (n°23-14.292) qui a annulé un jugement rendu le 2 février 2023. En l’occurrence, le tribunal de Grenoble avait estimé que le licenciement pour faute d’un salarié du CEA présentait un caractère disproportionné par rapport aux faits rapportés.

Le rapport de l’avocat général de la Cour de cassation précise que « si l’employeur n’a pas qualifié expressément les propos reprochés de harcèlement sexuel, cette qualification ressort cependant à l’évidence de la matérialité des faits et notamment de leur caractère répété et de leurs qualificatifs visés dans la lettre de licenciement », ajoutant que ces éléments renvoient à la définition donnée par l’article L. 1153-1 du Code du travail.

Lettre de licenciement et faits

Dans son rapport, l’avocat général souligne que la lettre de licenciement « ne s’impose pas quant à la qualification donnée aux faits, laquelle relève des pouvoirs du juge », conformément à l’article 12 du Code de procédure civile (Soc., 22 février 2005, pourvoi n°03-41.474, Bull. n°58). Il rappelle par ailleurs que la cour d’appel n’a pas estimé utile de « retenir ni même évoquer – pas plus que le conseil de prud’hommes d’ailleurs – la qualification de harcèlement sexuel, qui avait été pourtant mise dans le débat, y compris et d’abord par le salarié lui-même dans ses conclusions ».

L’avocat général relève également que la cour d’appel n’a pas « écarté la faute » puisqu’elle a retenu que l’entreprise avait bien indiqué dans la lettre de licenciement « la tenue de propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l’encontre de deux collègues de sexe féminin » et que de tels propos avaient été tenus précédemment.

Il ajoute que la cour d’appel a « simplement estimé que la sanction du licenciement était disproportionnée – ce qui implicitement démontre qu’elle a retenu que la faute reprochée était bien constituée ». L’avocat général ajoute que la « précision est d’importance car si la Cour de cassation, traditionnellement, laisse au pouvoir souverain des juges du fond l’appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement, elle n’en contrôle pas moins dans ce cas la qualification de faute ».

Élargissement de la notion

Revenant sur l’évolution de la législation, l’avocat général souligne que « les textes applicables en la matière ont progressivement élargi la notion de harcèlement sexuel et modifié pour partie sa finalité ». Initialement centrés sur l’auteur des faits, « lesquels étaient définis par son intention », ils se sont ensuite focalisés sur la victime de ces agissements et les conséquences subies (loi n°2012-954 du 6 août 2012).

Rappelant un arrêt de 2014 (Soc., 22 octobre 2014, n°13-18.862, Bull. n°247), l’avocat général indique ce qui caractérise les faits de harcèlement sexuel ou moral par rapport à une autre faute de gravité équivalente : « Elle porte atteinte à la dignité de la personne humaine et met ainsi en cause l’obligation de sécurité de l’employeur, qui se doit d’agir, légalement, pour y mettre fin : même si ce n’est pas le seul comportement fautif qui réponde à cette particularité, c’est bien le seul à être ainsi défini dans le Code du travail. »

En conclusion, l’avocat général estime qu’à travers la législation, « il ne s’agit plus seulement de sanctionner un comportement fautif, mais de protéger ses victimes en y mettant un terme et en prévenant sa récidive », et que dès lors, « l’appréciation du degré de gravité de la faute commise et de la proportion de la sanction prise doit se faire à travers ce prisme ».

Pas une « immunité pour l’avenir »

Dans sa décision, la Cour de cassation estime « que les propos à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants et dégradants d'un salarié à l'égard de collègues féminines, et ce de manière réitérée pendant plusieurs années, constituent une faute justifiant le licenciement, nonobstant le fait que ce comportement réitéré n'ait pas immédiatement été sanctionné ou qu'il ait pu être toléré dans un premier temps par ses supérieurs ».

Elle ajoute que « compte tenu de son obligation de préservation de la santé de ses salariés et de son obligation de les protéger du comportement attentatoire à leur dignité, le fait pour l'employeur de ne pas avoir immédiatement licencié le salarié fautif et de l'avoir uniquement sermonné dans un premier temps, ne lui conférait pas une immunité pour l'avenir contre toute mesure de licenciement et ne privait pas l'employeur de sa faculté de le licencier par la suite du fait de la réitération de ces manquements ».

Dans un communiqué, FO Cadres estime que cette décision marque une évolution dans la mesure où les propos du salarié caractérisent une faute constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement « indépendamment de l'attitude antérieure de l'employeur ».

Le syndicat en conclut que l’attitude passée d’un employeur face à un comportement fautif du salarié ne peut plus être invoquée pour s’opposer à une sanction de ce type, en l’occurrence la rupture du contrat de travail, « dès lors que ce comportement porte atteinte à la santé ou à la dignité des autres salariés » puisque l’entreprise est soumise à un « devoir de résultats » en matière de santé et de sécurité des salariés.


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Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins