Il ne reste plus aux partenaires sociaux qu’une poignée de jours pour s’accorder – ou non – sur une nouvelle convention d’assurance-chômage. D’un côté, ils ont d’ores et déjà annoncé leur refus de suivre le cadrage financier imposé par l’État ; de l’autre, ils semblent vouloir ne pas vouloir froisser l’exécutif par une remise en cause trop directe des principaux piliers de sa réforme de 2019-2021 comme la contracyclicité ou la dégressivité des allocations. Avec comme enjeu principal la question de la gouvernance paritaire du régime...
Alors que la négociation sur la nouvelle convention d’assurance-chômage s’engage dans sa dernière ligne droite, deux questions se posent : les partenaires sociaux parviendront-ils, en bout de course, à un accord ? Et si tel est le cas, l’État le considérera-t-il suffisamment respectueux de son document de cadrage initial pour le juger valide ? Sur la possibilité d’un accord, « un compromis pourrait se dégager », estime Bruno Coquet, économiste expert des questions de marché du travail à l’OFCE. Un accord davantage motivé par la nécessité que par l’enthousiasme, d’ailleurs, car le Gouvernement attend les partenaires sociaux au tournant. « S’ils ne parviennent pas à s’entendre, l’État n’aura qu’à prendre un décret de carence pour reprendre la main sur l’Unédic pour trois années supplémentaires. Ce qui pourrait signifier la fin de sa gestion paritaire », poursuit le chercheur. D’autant qu’une autre négociation, cette fois relative à la gouvernance du régime d’assurance-chômage, se profile à l’agenda.
Fin de non-recevoir sur la trajectoire financière
La seconde question s’avère plus problématique. Car dès le départ, les organisations patronales et syndicales engagées dans la négociation ont annoncé leur ferme refus de la trajectoire financière imposée par l’exécutif dans son document de cadrage. Avec comme principal nœud de friction la ponction de 11 à 12 milliards que le Gouvernement entend réaliser sur les excédents de l’Unédic afin, notamment, de financer ses politiques de l’emploi. Et la négociation n’avait pas encore commencé que Bercy annonçait déjà une première facture de 2 milliards à faire prendre en charge par l’assurance-chômage dès 2023 pour financer le futur opérateur France Travail.
Chez les partenaires sociaux, le refus de voir l’exécutif taper dans la caisse n’a jamais faibli. La première mouture du projet d’accord posé sur la table par le patronat fin octobre opposait, dès son préambule, une fin de non-recevoir aux desseins gouvernementaux. « L’État nous dit que ce sont ses réformes qui ont permis à l’Unédic de dégager ces excédents. Il oublie que ce sont les entreprises qui créent l’emploi grâce auquel le taux de chômage diminue », tempêtait Patrick Martin à l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale mi-octobre.
Accord possible ?
Dans ces conditions, même en cas d’accord, sa validation par l’État n’apparaît pas gagnée. Bruno Coquet l’estime cependant possible : « À l’exception de sa prise de position sur la ponction et la trajectoire financière, le premier texte de compromis traditionnellement mis sur la table par le Medef, dans son texte, coche tous les sujets évoqués dans le cadrage de l’État sur la trajectoire financière de l’Unédic. Comme l’exigeait l’État, ni le salaire de référence, ni la contracyclicité des indemnités, ni la dégressivité des allocations ne sont remis en cause. Il faudra voir les détails du texte final, mais dans ces conditions on peut imaginer que même si la trajectoire financière finale n’est pas celle que les pouvoirs publics imaginaient, l’exécutif approuve l’accord. De toute manière, cela importe peu à partir du moment où l’État se passe de l’aval des partenaires sociaux pour puiser dans la caisse à travers le PLFSS… » Prudents, les partenaires sociaux se sont d’ailleurs bien gardés d’évoquer les sujets qui fâchent, comme celui des intermittents ou des frontaliers, renvoyés à d’autres négociations… ou carrément ignorés.
Néanmoins, s’ils jouent l’union sacrée face à la gourmandise de Bercy, syndicats et organisations patronales ont tout de même des raisons de s’écharper lors de la dernière séance de négociation prévue mercredi. Que ce soit sur le montant des cotisations employeurs (que le Medef veut faire descendre par étapes sous les 4 %), le bonus-malus sur les cotisations patronales dans les sept secteurs qui y sont assujettis ou les conséquences du report de l’âge de la retraite – que le patronat veut aborder au cours de cette négociation alors que les syndicats demandent qu’il soit consacré aux futures discussions sur les seniors – les occasions de croiser le fer sont encore nombreuses.
Réforme : une réussite en demi-teinte
Reste que ces derniers pourparlers auront lieu dans un contexte particulier : celui d’un léger tassement de l’emploi privé lors de ce troisième semestre. Si les chiffres demeurent modérés (avec 17 000 destructions d’emplois, le taux des nouvelles créations d’emplois est en recul de 0,1 %), la tendance à la stagnation de ces derniers trimestres pourrait bien indiquer que la période de « rattrapage » post-Covid est bien dernière nous. Pire : les résultats d’une enquête de l’Unédic sur les effets des réformes de l’assurance-chômage1, publiée le 19 octobre et distribuée aux négociateurs, tendent à montrer que les résultats des nouvelles règles d’ouverture des droits à l’assurance-chômage, du calcul du salaire journalier de référence (SJR) ou liées à la dégressivité des indemnités, sont pour le moins mitigés.
Concernant le passage de quatre à six mois de travail pour devenir éligible à l’indemnisation chômage, l’étude révèle une réduction du nombre d’ouvertures ou de rechargement des droits, passant de 204 000 ouvertures de droit en moyenne chaque mois en 2019 à 175 000 trois ans plus tard. Si, au final, les droits des demandeurs d’emploi se sont vus réduits de 25 % pour 81 % des entrants depuis février 2023 et désormais limité à 18 mois au lieu de 24 (sauf pour les seniors qui conservent les leurs pendant 27 mois), la mesure a surtout touché deux catégories particulières de chômeurs : les jeunes et les titulaires de contrats de courte durée, qui n’ont pas assez travaillé pour être indemnisés. Quant au nouveau calcul du SJR, difficile d’évaluer à ce stade ses effets sur le marché du travail, estime Bruno Coquet. La formule garantit que le chômage paye moins, mais pas que le travail paie plus, ce qui a des conséquences ambivalentes sur les comportements, la qualité des emplois retrouvés, la durée du chômage des plus éloignés du marché du travail, et donc la productivité de l’économie. « Le problème, c’est qu’à ce stade, on n’en sait rien », explique l’expert de l’OFCE.
Constat presque identique avec la dégressivité – soit une réduction pouvant monter jusqu’à 30 % des indemnités supérieures à 4 500 euros bruts par mois pour les chômeurs de moins de 57 ans. Fin juin 2023, 90 000 allocataires étaient concernés, soit 3 % du total. Essentiellement des cadres plutôt âgés (plus de 45 ans), diplômés à Bac + 5 et travaillant dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme l’informatique, l’assurance, la finance, l’immobilier, l’ingénierie ou le juridique. Suite à la perte d’une partie de leur allocation, 10 à 15 % d’entre eux avouent avoir accéléré leur recherche d’emploi, mais… parfois pour prendre des postes inférieurs à leurs qualifications. Un quart des sondés indique ainsi avoir repris un emploi salarié… mais la moitié d’entre eux après avoir revu leurs prétentions salariales à la baisse. 10 % avouent qu’ils n’auraient pas choisi cet emploi s’ils n’y avaient pas été poussés par la dégressivité. « La dégressivité crée un effet boule de neige : les Bac + 5 se positionnent sur des emplois Bac + 3, les Bac + 3 sur des niveaux Bac… et la proportion d’emplois disponibles pour les moins qualifiés se réduit, ce qui allonge leur épisode de chômage », avance Bruno Coquet. Par goût d’entreprendre pour la majorité, mais contraints par la nécessité pour 15 % d’entre eux.
Autrement dit, un bilan final plutôt en demi-teinte. Et si certains effets sur l’emploi sont observables, difficile de savoir s'ils sont directement imputables à la réforme ou plutôt la conséquence d'une amélioration générale de la situation économique. Un dilemme pour les partenaires sociaux, qui auront à choisir entre valider les grandes orientations d'une réforme qu'ils ont jadis combattue... ou risquer de voir le contrôle de l'Unédic leur échapper.
(1) Enquête de l’Unédic sur les effets des réformes de l’assurance-chômage, publiée le 19 octobre : Suivi de la réglementation 2021 d'assurance-chômage.