Alors que les partenaires sociaux se retrouvent cet après-midi au siège du Medef pour décider de leur participation ou non à une nouvelle négociation sur une convention triennale d’assurance-chômage hyper-corsetée par un document de cadrage léonin, Bruno Coquet, docteur en économie et expert associé à l’OFCE, décrypte les enjeux derrière cette réforme à venir de l’assurance-chômage.
Fin août, dans un entretien avec nos confrères du Point, Emmanuel Macron déclarait vouloir « inciter plus fortement » les chômeurs à reprendre un emploi. Cela pourrait-il se traduire par de nouvelles baisses de droits pour les demandeurs d’emploi alors que l’exécutif a encore la main sur l’Unédic jusqu’à la fin de l’année ?
Bruno Coquet : En tout cas, dans cette déclaration, l’intention est implicite ! Elle est d’ailleurs conforme à l’accentuation annoncée du mécanisme de contracyclicité dans le fonctionnement de l’assurance-chômage, dans l’idée de revoir à la baisse les indemnités des chômeurs pour les inciter à reprendre un travail malgré le ralentissement des créations d’emplois ces derniers mois. L’exécutif a déjà réduit d’un quart la durée d’indemnisation potentielle des nouveaux inscrits indemnisables à Pôle emploi et le raccourcissement des allocations de 40 % avait été évoqué par le ministre du Travail, en cas de passage du taux de chômage sous la barre des 5 %.
Le document de cadrage transmis début août aux partenaires sociaux s’est révélé particulièrement léonin. Certains négociateurs évoquent même un échec de la négociation avant même qu’elle n’ait commencé. Qu’en pensez-vous ?
B. C. : C’est un énorme coup de pression mis aux partenaires sociaux. L’État les invite à négocier, mais corsète d’avance les débats. Non seulement les dispositions mises en place depuis 2017 comme la contracyclicité, la dégressivité des allocations ou le nouveau calcul du salaire journalier de référence sont sanctuarisés et ne feront pas l'objet de débats, mais en plus, le Gouvernement entend imposer un programme d’économies d’environ 12 milliards à l’Unédic en 2024 et 2025… tout en ponctionnant par ailleurs 7,7 milliards sur ses recettes 2023-2026, qu’il entend utiliser pour financer France Travail et ses politiques en faveur du plein-emploi. Et c’est évidemment sans compter la subvention à France Travail qui passera de 11 % à 13 % des recettes de l’Unedic, soit encore un peu plus d’un milliard à trouver pour les négociateurs. Quasiment une taxe sur les chômeurs ! Il est d’ailleurs à noter que si la négociation des partenaires sociaux concerne la convention 2024-2027, la ponction, elle, commence sur l’exercice 2023…
Dans ces conditions, de quelles marges de manœuvre disposent les partenaires sociaux ?
B. C. : Le principe de la lettre de cadrage veut que le résultat de leur négociation ne dégrade pas la trajectoire financière de l’Unédic. C’est d’autant plus vague qu’aucun détail sur cette trajectoire financière ne leur a été communiqué en amont et que le Gouvernement n’a pas produit son rapport sur la gestion du régime d’assurance-chômage depuis une dizaine d’années ! Techniquement, les partenaires sociaux auront le droit de parler de tout… mais dans les faits, leurs débats risquent de se limiter à des discussions à la marge pour dégrader le moins possible les droits des demandeurs d’emploi ou sur des points de détail contenus dans les angles morts du document de cadrage concernant la contracyclicité, les ressources de l’Unédic ou le bonus-malus. J’ignore à ce stade quelles orientations prendront les débats, si débats il y a. D’ailleurs, même si les partenaires sociaux parvenaient à s’entendre sur une nouvelle convention, rien ne dit que le Gouvernement en acceptera les termes. En effet, s’il juge que le résultat n’est pas conforme au cadrage, la voie lui serait alors ouverte pour un nouveau décret de carence.
Cette injonction à ne pas dégrader la trajectoire financière de l’Unédic n’est-elle pas paradoxale alors que le régime renoue avec les excédents (8,6 milliards à l’horizon 2025) ?
B. C. : Elle l’est, d’autant plus que dans les faits, le régime de droit commun – c'est-à-dire celui qui concerne la seule indemnisation des demandeurs d’emploi, soit la raison d’être de l’assurance-chômage – est excédentaire depuis vingt-cinq ans ! Ce qui pèse sur les comptes de l’Unédic, ce sont les dépenses supplémentaires que lui impose l’État : régimes spéciaux des intermittents ou des travailleurs frontaliers (notamment ceux qui travaillent en Suisse ou au Luxembourg et qui bénéficient de salaires bien plus élevés qu’en France), financement de Pôle emploi (et demain de France Travail), mesures de soutien à l’activité partielle durant la crise sanitaire, etc. À bien y regarder, ce sont les décisions de l’État qui ont contribué à dégrader la situation financière de l’assurance-chômage et non la gestion paritaire du régime…
Aujourd’hui, l’Unédic finance Pôle emploi à hauteur de 11 % de son budget. Demain, cette contribution passera à 13 % pour France Travail. Qu’est-ce qui justifie cette augmentation ?
B. C. : Je l’ignore. Le rapport Guilluy estime que le fonctionnement de France Travail coûtera environ 2,5 milliards sur trois ans, mais ne propose aucun chiffrage ou étude d’impact pour justifier cet investissement, et n’explicite pas les dépenses supplémentaires qui pèseront sur l’Unédic. Actuellement, on calcule que le prix de l’accompagnement d’un chômeur indemnisé (donc proche du retour à l’emploi) oscille autour de 1 900 euros pour environ deux rendez-vous annuels avec un conseiller. Demain, le projet France Travail prévoit implicitement que l’accompagnement de ces demandeurs d’emploi sera minoré au bénéfice des plus éloignés de l’emploi. Dans ces conditions, difficile d’évaluer le coût supplémentaire du service. Si l’on excepte l’inscription automatique des allocataires du RSA à France Travail, je ne vois pas trop ce qui différenciera fondamentalement les activités du futur opérateur avec celles, actuelles, de Pôle emploi, qui travaille déjà avec les missions locales et les réseaux Cap emploi. Le projet consiste pour l’heure à partager des bonnes pratiques d’accompagnement renforcé. C’est là le problème, surtout si l’on ajoute des allocataires du RSA. Aujourd’hui, les non-indemnisés sont majoritaires parmi les inscrits et, par définition, ce n’est pas la « générosité » des allocations qui réfrène leur retour à emploi. Alors, fallait-il une réforme de Pôle emploi ? Je n’en suis pas sûr. Et j’ai des interrogation sur la logique : normalement les politiques de plein emploi devraient entraîner une hausse de l’emploi et une baisse du chômage (jamais précisément chiffrées d’ailleurs), et donc diminuer les dépenses d’indemnisation chômage, permettant ainsi de réduire les contributions une fois constatées ces économies. Or c’est l’inverse qui est fait : le gouvernement prélève a priori sur les recettes de l’Unedic pour financer ses "politiques de plein emploi", comme si il était garantit que celles-ci vont diminuer les dépenses d’indemnisation ! Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas, de mon point de vue, à l’assurance-chômage de financer les politiques de l’État qui devraient relever de l’impôt et non de ponctions sur un régime assurantiel.