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Les recettes de l'Institut Montaigne pour l'emploi des seniors

Recrutement | publié le : 21.10.2022 | Benjamin d'Alguerre

Franck Morel est avocat en droit social associé au sein du cabinet Flichy-Grangé.

Crédit photo DR

Alors que les discussions entre l’exécutif et les partenaires sociaux pour repousser l’âge de départ à la retraite sont engagées, la question du maintien dans l’emploi des salariés âgés devient brûlante. L’Institut Montaigne publie dans un rapport une quinzaine de recommandations pour lutter contre la placardisation et le chômage des plus âgés.  Entretien avec Franck Morel1, auteur du rapport.

En 2017, vous étiez conseiller social d’Edouard Philippe à Matignon. Pourquoi l’idée d’une réforme de l’emploi des seniors préalable à la mise en chantier d’une réforme des retraites n’a pas été décidée à ce moment-là ?

Franck Morel : A l’époque, ce qui était dans le viseur, c’était un changement systémique du système des retraites. Cet objectif a pris le pas sur tout le reste.Aujourd’hui, la situation est très différente puisque dès le départ, le principe d’un recul de l’âge de départ a été acté. Mais en 2020, déjà, la question de l’emploi des seniors se posait puisque le rapport Bellon commandé par le Premier ministre Edouard Philippe que je conseillais (Favoriser l’emploi des seniors expérimentés, Sophie Bellon, Olivier Mériaux, Jean-Manuel Soussan. 14 janvier 2020) proposait un certain nombre de pistes pour aider ces salariés à se maintenir dans l’emploi. J’en reprends quelques-unes dans mes travaux, d’ailleurs, ainsi que d’autres propositions qui ont pu être formulées dans les conclusions de la mission parlementaire sur l’emploi des travailleurs expérimentés par les députés Stéphane Viry et Didier Martin, mais aussi dans des travaux plus anciens de France Stratégie (Les seniors, l’emploi, la retraite, France Stratégie, octobre 2018). La question de l’emploi des seniors n’est pas un sujet nouveau. Il a été nourri au fil des années par de nombreuses contributions dont plusieurs ont été mises en actes. Plusieurs ont connu l’échec, je les rappelle en introduction de mon rapport : la contribution Delalande, le contrat de génération ou encore le CDD senior qui, sous sa forme actuelle, n’a pas pris. Avec l’expérience, il s’est avéré que la mesure la plus efficace pour conserver les seniors dans l’emploi restait le recul de l’âge de la retraite. On le voit : leur taux d’emploi a grimpé de 20 points entre 2003 et 2021 (15 points entre 2009 et 2021) dans la catégorie des 55 – 65 ans. Avec deux écueils cependant : d’une part on constate encore que ce taux d’emploi pour les plus de 60 ans reste faible et classe la France dans le peloton de queue des pays européens ; d’autre part, il arrive à un moment où le seul recul de l’âge de la retraite ne suffit plus. Il faut aussi prendre des mesures pour accompagner les seniors dans le maintien dans l’emploi sous peine d’en précariser une frange. C’est l’objet de mon rapport pour maximiser la hausse du taux d’emploi.

Le gouvernement souhaite mettre en place un « index senior » sur le modèle de celui déployé en 2019 pour l’égalité hommes-femmes en entreprise. Or, un récent rapport du Céreq montre les limites de ce genre d’outils : pensez-vous que ce soit la voie à suivre ?

F.M : Je ne suis pas d’accord avec les conclusions du Céreq telles que vous les présentez. L’index de l’égalité hommes-femmes fonctionne. Mais il s’inscrit dans une dynamique progressive en partant du constat des inégalités existantes dans l’entreprise et se propose de les corriger grâce à une méthode souple liée à des objectifs et des résultats. C’est seulement si la situation n’évolue pas qu’il y a sanctions. C’est la même logique pour l’index senior, qui est une idée d’ailleurs reprise du rapport Viry-Martin, mais aussi de l’ANDRH. L’idée n’est pas d’imposer des quotas de seniors dans les entreprises, ce qui serait absurde et inefficace. L’objectif, c’est d’évoluer par étapes dans une logique de progrès. Deux critères, notamment, doivent être observés avec vigilance : l’évolution de la part des seniors dans l’entreprise et de leur accès, comparé par rapport aux salariés plus jeunes, à la formation professionnelle.

Vous suggérez de mettre en place des politiques de « lutte contre la placardisation » des seniors en entreprise. Comment ?

F.M : Une étude Kantar réalisée pour l’Institut Montaigne nous montre que la « placardisation » touche près de 200 000 actifs et coûte chaque année 10 milliards d’euros. J’ai fixé cinq critères pour évaluer cette placardisation : l’absence de sens dans les tâches qui sont confiées au salarié, le retrait du collectif de travail, l’absence d’intérêt des rares tâches demandées, une charge de travail faible, voire inexistante et une absence du suivi des tâches et le manque de contact avec la hiérarchie. Outre son coût, cette placardisation des salariés âgés se traduit par une dynamique haussière du phénomène des arrêts maladie d’origine psychologique et les coûts substantiels induits. Je propose plusieurs choses : en premier lieu, une enquête nationale sur la placardisation et ses conséquences économiques, sanitaires et sociales. Cette étude pourrait associer des DRH, des syndicalistes et des médecins du travail, par exemple. Mais surtout, la possibilité, sur la base d’un accord collectif d’entreprise, d’un aménagement des fins de carrière avec une réduction progressive du temps de travail et de la rémunération, ou l’affectation sur un poste différent mais moins payés, en échange du maintien du senior dans l’emploi ; En contrepartie, on verserait à celui-ci son indemnité de licenciement en amont de phase, accolée au régime fiscal et social du licenciement comprenant des exonérations spécifiques. C’est un système de gestion des fins de carrière qui existe déjà dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics à étendre à l’ensemble des entreprises dans une logique gagnant-gagnant.

Justement, parmi vos propositions figurent cette aide progressive à la fin de carrière, mais aussi une formule de cumul emploi-retraite. N’êtes-vous pas en train de revenir à l’époque des pré-retraites ?

F.M : Non car avec le temps, le cumul emploi-retraites s’est de plus en plus élargi. Je suggère de lever les freins à ce cumul en permettant aux retraités qui le souhaitent de pouvoir poursuivre leur activité professionnelle et ainsi de se constituer des droits à la retraite supplémentaire. Je suggère aussi d’améliorer le système de surcote – je ne suis d’ailleurs pas le seul à l’avancer, c’est aussi une proposition du Cercle des économistes formulée lors des rencontres économiques d’Aix-en Provence en 2022. Il faut enfin encourager encore la retraite progressive récemment élargie aux forfaits en jours. Si on enclenche une dynamique forte autour de ces propositions, on pourra créer des dispositifs sur-mesure encourageant les employeurs à conserver leurs seniors. Pendant des années, le système de pré-retraite a été utilisé par les entreprises pour ne pas les garder, justement. Heureusement, on a fini par rompre avec ce système de pré-retraites qui était devenu un véritable danger pour les finances publiques et l’emploi des seniors, même s’il arrangeait bien le patronat et les syndicats. Il n’en subsiste aujourd’hui que ce que j’appelle le « système de pré-retraites Unédic » - soit la possibilité pour un demandeur d’emploi senior de disposer jusqu’à huit années d’indemnisation-chômage avant d’entrer dans un régime de retraite à taux plein. C’est un système pervers qui encourage les employeurs à se débarrasser de leurs salariés âgés plutôt que de les maintenir dans l’emploi. ; Le report de l’âge de départ à la retraite a permis de constater un décalage du pic des départs par licenciements ou rupture conventionnelle de 57 à 59 ans entre 2007 et 2014 ce qui illustre bien cet effet. La dernière réforme de l’assurance-chômage ne l’a pas supprimé mais il faudrait le faire progressivement,.

Vous suggérez également une modulation des cotisations patronales en fonction de l’âge des salariés…

F.M : Oui. L’idée serait de faire fluctuer les cotisations selon le modèle d’une courbe de Gauss. En clair : les personnes de moins de 30 ans et celles de plus de 55 ans, dont les taux d’emploi sont les plus faibles, pourraient voir le taux des charges sociales patronales qui leur sont appliquées diminuer, tandis qu’elles augmenteraient pour ceux d’âge intermédiaire dont le taux d’emploi est le plus élevé. Il s’agirait d’une incitation puissante pour les entreprises à embaucher des jeunes et des seniors.

… mais en sacrifiant les quadras !

F.M : Ils sont plus employables par rapport aux jeunes et aux seniors et ça ne changera pas. Mais les employeurs pourront aussi se poser la question de la pertinence du recrutement de gens plus ou moins âgés grâce à ce mécanisme.

Vous proposez la création de deux contrats de travail spécifiques pour les seniors. Un « contrat intergénérationnel » et un « contrat d’embauche seniors » qui rappellent fortement les anciens contrats de génération et CDD senior qui ont manqué leur cible. Pourquoi ?

F.M : Le contrat intergénérationnel tire justement les leçons de ce qui n’a pas fonctionné avec le contrat de génération. La Cour des comptes nous explique que son échec s’explique par les obligations qui y étaient associées – garder un senior pour embaucher un jeune - et son formalisme. Je suggère un dispositif beaucoup axé sur le transitionnel avec un senior chargé de mentorer une jeune recrue pendant quelques années en y associant un engagement de formation qui pourra être financé par les fonds du FNE-Formation, voire par des contributions conventionnelles des branches. Quant au contrat d’embauche senior que je recommande, il prendrait la forme d’une amélioration du CDD senior actuellement existant, mais trop limité par sa durée (18 mois) et par le fait qu’il soit aujourd’hui interdit à l’intérim. Ma proposition consiste à l’ouvrir aux agences de travail temporaire – y compris par la voie du CDI intérimaire - et à l’étendre sur 5 ans. C’est un choc de simplification nécessaire.

*Franck Morel est avocat associé en droit social associé au sein du cabinet Flichy-Grangé et senior fellow à l’Institut Montaigne Entre 2007 et 2012, il a été membre des cabinets des ministres du Travail Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Éric Woerth et conseiller social du Premier ministre Édouard Philippe de 2017 à 2020

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre