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« Même minime, l’existence d’un reste à charge sur le CPF a un effet bloquant sur les clients » (Natanael Wright, Wall Street English)

Formation | publié le : 01.02.2024 | Benjamin d'Alguerre

Natanael Wright, dirigeant de Wall Street English.

Crédit photo DR

Entre l’instauration annoncée d’un reste à charge sur l’usage du CPF, l’éligibilité du permis moto aux fonds de France compétences, le renforcement des contrôles sur les organismes de formation et le lobbying de certaines branches en faveur d’une réorientation des ressources vers les formations-métiers, le marché du compte personnel de formation se voit particulièrement bousculé. Natanael Wright, patron de Wall Street English et président de la commission des langues des Acteurs de la compétence alerte sur les risques pesant sur le CPF.

Il ressort de l’enquête Ipsos/WSE que 40 % des actifs hésiteraient à se former s’ils devaient régler un reste à charge avant de mobiliser leur CPF. Vous attendiez-vous à ces résultats ?

Natanael Wright : Oui. C’était à peu près le résultat obtenu lors des sondages officieux réalisés auprès des clients des organismes de formation en langues adhérents aux Acteurs de la compétence. Même si la somme à avancer est minime, l’existence même d’un reste à charge a un effet bloquant sur les candidats. Cependant, je suis d’accord pour responsabiliser davantage le client et lui faire comprendre que la formation, ce n’est pas gratuit.

Selon moi, un ticket modérateur d’une cinquantaine d’euros demeurerait raisonnable et présenterait le double mérite de convaincre le candidat d’aller jusqu'au bout de sa formation et d’écarter les organismes fraudeurs. D’ailleurs, fin 2022, la commission des langues des Acteurs de la compétence avait proposé un système de caution afin de responsabiliser les usagers. Dans ce système, tout achat d’une formation au titre du CPF aurait fait l’objet du dépôt préalable d’une caution (non encaissée) auprès de la Caisse des dépôts et consignations – que nous avions imaginée tournant autour de 200 euros – que l’usager n’aurait récupéré qu’au bout de sa certification. Cela aurait eu la vertu de limiter les abandons en cours de route et de faire comprendre aux stagiaires que la mobilisation des fonds du CPF doit répondre à des règles, notamment celle de passer sa certification. Cette solution aurait eu le mérite de ne sanctionner que les acheteurs indélicats et pas l’ensemble des usagers comme ce sera le cas avec le reste à charge.

Cependant, si nous pouvons comprendre l’instauration de ce type de dispositif en matière de responsabilisation des clients, on comprend beaucoup moins la logique financière qu’il sous-tend. Que Bercy cherche les économies partout, c’est une chose, mais le CPF, c’est 1,5 milliard par an sur un budget de France compétences de 11 milliards. Il y a eu des excès ces dernières années, mais ceux-ci ont été corrigés grâce à la régulation des pouvoirs publics, notamment l’interdiction du démarchage ou le durcissement des conditions à la plateforme Mon Compte Formation par le dispositif France Connect. Rapportée aux 28 millions d’usagers potentiels du CPF, la dépense n’est pas excessive. Cela représente chaque année 4 % des actifs achetant une formation à 1.400 euros. À comparer aux 10 milliards consacrés à l’apprentissage tous les ans alors qu’il concerne moins d’un million de personnes !

Depuis le 1er janvier 2024, le permis moto est devenu éligible au CPF. Certains dirigeants d’organismes de formation estiment que cette éligibilité va surtout contribuer à vider les fonds de France compétences, qu’en pensez-vous ?

N. W. : Il y a effectivement beaucoup d’incompréhension face à cette décision. Le sujet fait d’ailleurs débat chez les Acteurs de la compétence. À titre personnel, je ne suis pas opposé à l’idée d’une mobilisation du CPF pour le passage d’un permis. Dans les zones où les transports en commun sont rares, cela est indispensable pour se rendre à son travail ou en chercher un.

Mais doit-on pouvoir utiliser son CPF pour passer un permis moto lorsqu’on est déjà titulaire du permis B ? Je ne le pense pas. Le permis de conduire représente déjà 17 % des utilisations du CPF. Avec le permis moto, cette proportion montera certainement à 20-25 %. Il faut tout de même instaurer une limite et, selon moi, le CPF doit être restreint au passage du permis pour les seules personnes n’en ayant aucun, afin d’éviter le risque de susciter des effets d’aubaine. C’est d’ailleurs déjà en partie le cas : certaines auto ou moto-écoles communiquent auprès du grand public sur la possibilité de passer « gratuitement » le permis grâce au CPF. Non seulement c’est illégal, mais en plus, cela va totalement à l’encontre de la philosophie de responsabilisation de l’acheteur. Ce genre de publicité doit être interdit et la fédération des Acteurs de la compétence essaie de faire passer le message auprès des professionnels de la conduite.

Trois organisations patronales – les Syntec, la Fédération française des banques et France Assureurs – viennent de publier un « livre blanc » recommandant notamment que les fonds de la formation ciblent en priorité les formations « métiers » et souhaiteraient exclure les formations linguistiques, le permis de conduire ou les formations à la création/reprises d’entreprise de celles éligibles au CPF. Quelle est votre opinion là-dessus ?

N. W. : Nous sommes évidemment complètement opposés à ce projet. Ce livre blanc, c’est, en quelque sorte, le match retour de l’ANI du 14 décembre 2013, par lequel le Medef – duquel ces trois branches sont adhérentes – a obtenu une réduction massive de la contribution des entreprises aux fonds de la formation professionnelle, ce qui a aussi eu pour conséquence la fin de la gestion par les branches de ces mêmes fonds. La part « plan de formation » a été libéralisée et la fraction restante – 1% – mutualisée et sortie du giron des entreprises au profit des pouvoirs publics. Le Medef avançait alors que les 0,6 % dérégulés seraient bien entendu maintenus par les entreprises et que cette libéralisation allait permettre à celles-ci d’innover en matière de formation. Résultat : les 0,6 % ont « disparu », les budgets formation des entreprises se sont écroulés et, dix ans plus tard, ces trois branches essaient de récupérer les ressources perdues sur les fonds mutualisés, en faisant financer les formations métiers par le CPF en lieu et place du 0,6 %.

Elles prétendent aujourd’hui, en dépit de tout bon sens, que certaines formations qui fonctionnent bien sur ce marché – comme l’anglais, qui représente 9 % des achats sur la plateforme Mon Compte Formation – ne seraient que des formations de confort que les salariés ne suivraient qu’à des fins de loisirs. Or, notre enquête démontre que la maîtrise de l’anglais devient une obligation pour s’insérer sur le marché du travail ! Près de 40 % des actifs se sont déjà vu refuser un emploi, une mission ou une opportunité professionnelle à cause de leur niveau d’anglais, jugé insuffisant. Quelle formation métier peut prétendre avoir un tel poids dans une décision d’embauche ? Si cela ne démontre pas l’importance de l’anglais dans le monde professionnel, c’est à n’y rien comprendre. C’est juste du bon sens et tous les Français à qui j’en parle le reconnaissent aisément. Ce sondage, dont les résultats se répètent d’année en année depuis trois ans, doit pouvoir convaincre les pouvoirs publics que toucher au financement des formations transversales, telles que l’anglais, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’employabilité des Français ! Et tout cela, juste parce que ces branches du Medef ne tiennent pas leurs engagements sur la part qui leur incombait au titre de la contribution à la formation professionnelle.

En fin d’année 2023, le Gouvernement a resserré le contrôle sur les organismes de formation, notamment pour restreindre le « portage Qualiopi ». Une bonne chose selon vous ?

N. W. : La labellisation Qualiopi est une obligation légale pour un organisme actif sur le marché du CPF. Il y a un an, nous avons rencontré des problèmes avec certains organismes certificateurs qui se sont laissé acheter et ont donc permis à des organismes fraudeurs de sous-traiter leurs prestations à des organismes qui, eux, étaient labellisés Qualiopi. C’est très bien que l’État ait réagi pour lutter contre cette sous-traitance frauduleuse, mais il aurait été préférable qu’il fasse interdire au préalable les certificateurs corrompus ! Il est normal que l’État contrôle et sanctionne, mais il ne faudrait pas non plus que ce contrôle renforcé se traduise par une augmentation des obligations administratives faites aux prestataires de formation sous la forme, par exemple, de nouvelles contraintes à travers les conditions générales d’utilisation de la Caisse des dépôts. Cela pourrait rappeler l’époque où chaque Opca rajoutait ses propres critères contraignants pour corseter les organismes de formation…

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre