Bien… mais peut mieux faire. C’est en substance l’avis de trois fédérations patronales (banque, assurance, Syntec) sur la réforme de la formation de 2018. Dans un « livre blanc » présenté le 25 janvier, celles-ci demandent de nouvelles révisions sur la sécurisation des fonds de l’apprentissage, la restriction du CPF aux seules formations garantissant l’employabilité et imaginent une nouvelle « période de reconversion » remplaçant des dispositifs jugés inefficaces.
300 000. C’est le nombre de postes à pourvoir chaque année dans les entreprises de la banque, de l’assurance, du numérique, du conseil, de l’ingénierie, de la formation et de l’évènementiel, selon les trois principales organisations patronales de ces secteurs (la Fédération bancaire française, France Assureurs et le Syntec). Des besoins qu’à l’heure actuelle le système de formation français ne parvient pas à combler, affirment ces trois fédérations professionnelles dans un « livre blanc » publié le 25 janvier dernier1. Tout en reconnaissant que la réforme « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 a presque permis de multiplier par cinq le nombre d’alternants accueillis par les entreprises de leurs branches – leur nombre a grimpé de 20 000 par an avant 2018 à 90 000 aujourd’hui –, les auteurs du livre blanc appellent à une nouvelle révision du système afin d’améliorer les dispositifs qui fonctionnent et de remettre à plat ceux qui patinent.
« Il est nécessaire d’aller encore plus loin, car les entreprises et leurs salariés sont confrontés à des évolutions technologiques et à des transformations de leur environnement totalement inédites de par leur ampleur et leur rapidité. La révolution numérique est accélérée par l’émergence de l’intelligence artificielle qui bouleverse fondamentalement nos métiers en redistribuant la carte des compétences et de la valeur », écrivent ainsi conjointement Florence Lustman, Laurent Giovachini et Nicolas Namias (respectivement dirigeants de France Assureurs, du Syntec et de la Fédération bancaire française) en introduction d’une série de dix propositions que leurs organisations entendent prochainement soumettre aux pouvoirs publics.
Sécuriser le système de financement de l’alternance
Premier chantier à mener : celui de la sécurisation du financement de l’apprentissage. Une véritable arlésienne qui fait débat depuis l’entrée en vigueur de la réforme et la création de France compétences, l’organisme chargé de répartir les fonds de la formation et de l’alternance. En cause, toujours la même équation impossible : d’un côté, un financement plutôt fixe appuyé sur une contribution des entreprises – la Cufpa – calculée à partir de leur masse salariale qui n’a pas évolué depuis 2018 (et a même diminué durant la crise sanitaire) ; de l’autre, un nombre de contrats toujours en augmentation – on en recensait 836 100 nouveaux fin 2023 - du fait du nombre croissant de cursus ouverts à l’alternance et de jeunes s’y engageant. Le tout dans le cadre d’un système « à enveloppe ouverte », où la loi garantit à chaque contrat signé un financement associé selon des montants de prise en charge déterminés par les branches. Et jugés, pour certains, excessivement élevés.
Résultat : un système financièrement intenable qui contraint France compétences à recourir à l’emprunt pour payer les factures et à l’État de recapitaliser chaque année son opérateur. En 2022 et 2023, ce déséquilibre financier avait poussé les pouvoir publics à resserrer la vis en imposant deux baisses successives des niveaux de prise en charge financière (NPEC) des contrats. Si celles-ci étaient restées modérées (- 2,7 %, puis - 5 % en moyenne), certains secteurs ont vu leurs coûts-contrats subir des coups de rabot autrement plus douloureux. À l’image, justement, des trois fédérations à l’origine du livre blanc. « Environ 40 % des diplômes et titres préparés, représentant 50 000 apprentis (sur un total de 90 000) dans les entreprises de nos secteurs, sont touchés par une baisse de 10 % en 2023. En outre, les baisses les plus fortes impactent les diplômes et titres les plus recherchés par les entreprises, fragilisant ainsi le cœur du dispositif », détaillent les trois organisations patronales. Un coup particulièrement dur pour elles, alors que les métiers recherchés par leurs entreprises adhérentes se situent plutôt à Bac + 3 ou + 5 et où les formations associées se révèlent plutôt coûteuses.
Alors, il faut trouver des alternatives pérennes, indiquent-elles. Et si leur livre blanc écarte d’emblée toute augmentation de la contribution des entreprises ou remise en cause du pilotage par les branches, elles n’en proposent pas moins de rééquilibrer le système. D’abord en limitant le montant maximal des coûts-contrats à 9 500 euros – avec des dérogations à 12 000 pour les formations « cœur de métier » – ensuite en partageant la responsabilité du financement des contrats d’apprentissage avec d’autres acteurs comme l’État, les Régions, ou l’Éducation Nationale. Un scénario pas si éloigné de celui que les partenaires sociaux avaient présenté en 2022 à la ministre du Travail Élisabeth Borne, afin de tenir compte du développement de l’apprentissage dans de nombreux établissements de l’enseignement – notamment supérieur – qui bénéficiaient ainsi de la manne financière des coûts-contrats… sans contribution en retour. Pour les auteurs du livre blanc, cet investissement de l’État et de ses acteurs associés pourrait monter annuellement à 4 milliards d’euros, financé à terme par les économies réalisées sur les NPEC (360 millions dès la première année, 1,3 milliard au bout de trois ans).
Restreindre l’usage du CPF aux seules formations menant à l’emploi ou renforçant l’employabilité
En guise de deuxième chantier, le livre blanc appelle à une réorientation des fonds publics vers les formations et certifications ayant une réelle incidence sur l’emploi et l’employabilité des usagers. Autrement dit : il s’agirait de tailler dans la masse des formations éligibles au CPF afin de débarrasser le répertoire national de la certification professionnelle (RNCP) et le répertoire spécifique (RS) des contenus insuffisamment liés aux besoins des entreprises. Sur ce plan, une partie du travail a déjà été faite entre 2018 et 2023, réduisant respectivement de 39 et de 50 % le nombre des certifications recensées dans ces deux répertoires.
Mais… peut mieux faire, estiment les trois fédérations patronales. S’il reste encore 4 881 certifications recensées au RNCP et 1 081 au RS, l’opération de nettoyage peut encore affiner ces chiffres. Dans le viseur, notamment : les formations au permis B, celles consacrées à la reprise ou création d’entreprise, à l’anglais et aux langues étrangères – les plus populaires parmi les usagers du CPF – qui représentaient à elles seules 40 % des achats sur la plateforme Mon Compte Formation en 2022. « Les formations en langues sont celles qui enregistrent le nombre d’abandons le plus important tandis que 31 % de leurs bénéficiaires déclarent viser un objectif non professionnel », s’indignent les auteurs du livre blanc. Qui qualifient de « dérive » leur succès auprès des usagers et appellent à un renforcement du contrôle de la qualité des formations et certifications « afin de créer une meilleure adéquation entre les formations et les besoins en emplois et en compétences ».
Comment y parvenir ? Par quatre moyens. En premier lieu, en intégrant davantage les branches professionnelles dans la construction des diplômes et des certifications aux côtés des ministères et des universités. Mais aussi, dans un deuxième temps, en scindant la responsabilité du contrôle qualité des formations entre le Comité français d’accréditation (Cofrac), seul dans ce scénario, qui se verrait habilité à contrôler les prestataires – une manière de limiter le nombre d’organismes non labellisé Qualiopi, en croissance selon la Dares - et les financeurs qui, eux, auraient en charge le contrôle de la qualité du service et des actions de formation effectuées. Tertio : en intégrant les habilitations obligatoires pour certains métiers au répertoire spécifique de France compétences en les rendant ainsi éligibles au CPF et, quatrièmement, à travers la publication d’un bilan sur l’efficacité des formations en matière d’insertion professionnelle. Destiné aux jeunes et à leurs familles, ce listing permettrait aux intéressés de connaître le taux à 12 mois d’intégration dans l’emploi des formations accessibles au travers du compte personnel de formation. Au bout de deux promotions aux résultats inférieurs à 50 %, la formation serait immédiatement déclarée inéligible au CPF…
Une « période de reconversion » pour remplacer Pro-A, TransCo et le FNE-Formation
Enfin, les auteurs du livre blanc appellent à la création d’un nouveau dispositif, la « période de reconversion » ,qui viendrait se substituer aux dispositifs de reconversion ou promotion par l’alternance (Pro-A), de transitions collectives (TransCo) et au FNE-Formation. Trois outils qui « ne couvrent au mieux que quelques dizaines de milliers de personnes » alors que 500 000 salariés « franchissent le cap » de la reconversion chaque année, estiment les trois organisations professionnelles.
« Dans ses modalités pratiques, la "période de reconversion" pourrait s’inspirer des expériences de la période de professionnalisation et du contrat de professionnalisation, en les aménageant pour répondre à un besoin de mobilité professionnelle. Elle serait ouverte à tous les actifs, quels que soient leur âge et leur niveau de qualification, et pourrait également faire l’objet d’une mobilisation du CPF », poursuivent-elles.
Selon leur scénario, cette période de reconversion serait financée de droit par l'OPCO du champ d'activité de l'entreprise, basé sur les NPEC applicables aux contrats d'apprentissage, à hauteur de 90 %, et son financement éligible à la péréquation. Prévue pour une durée de 12 mois maximum, elle pourrait être étendue à 24 – selon la certification visée ou l’écart entre les compétences déjà acquises et celles de la certification à atteindre – en cas de signature d’un accord d'entreprise ou de branche en sens. Elle porterait sur une durée de 150 heures de formation minimum. Si le parcours comprenait un processus de VAE ou si la certification visée nécessitait un nombre d'heures inférieur à ces 150 heures, il n'y aurait pas de durée minimum de formation. Elle permettrait de viser tout diplôme, titre inscrit au RNCP, certificats de qualification professionnelle (CQP) ou qualification reconnue par une commission paritaire nationale de l'emploi (CPNE). Le salaire du stagiaire serait maintenu durant toute la durée de la formation.
(1) Livre blanc publié le 25 janvier 2024 par la Fédération bancaire française, Syntec et France Assureurs : Apprentissage et reconversion pour relever ensemble le défi des compétences