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Reconversions professionnelles : Un démarrage en douceur pour Transco

Le point sur | publié le : 10.05.2021 | Benjamin d’Alguerre

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Reconversions professionnelles : Un démarrage en douceur pour Transco

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Après dix mois de maturation, le dispositif de reconversions professionnelles Transitions collectives (TransCo) entame son démarrage opérationnel. Déjà une trentaine d’entreprises, conscientes que les difficultés économiques qu’elles rencontrent pourraient se solder par des licenciements, se sont engagées pour faciliter la reconversion de leurs salariés menacés. Le dispositif ne prendrait véritablement son envol qu’en fin d’année 2021.

La fin d’un parcours du combattant pour Korian ? Confronté de longue date à des difficultés récurrentes de recrutement et de fidélisation des aides-soignantes qui officient dans les 450 établissements médicalisés de son réseau, le groupe pourrait bien avoir trouvé en TransCo un début de solution pour ses pénuries de main-d’œuvre qualifiée.

Le 7 avril, le groupe médico-social a signé avec l’entreprise de services aux entreprises Derichebourg la première convention TransCo depuis la création de ce dispositif le 15 janvier dernier, dans le cadre du plan de relance. Le deal ? Organiser une passerelle professionnelle entre, d’une part, 24 salariés de Derichebourg à l’emploi menacé par le repositionnement du groupe, qui l’amènera à court terme à abandonner certains de ses marchés et, d’autre part, Korian, toujours à la recherche d’aides-soignants. Pour faire le lien, une formation certifiante de 14 mois (sur un maximum de 24 autorisés par le dispositif) avec, à la clé, un diplôme accessible via la validation des acquis de l’expérience (VAE) et, dès son obtention, un CDI dans l’un des établissements franciliens de Korian. Plus récemment, un nouvel entrant, Monoprix, s’est greffé sur cette convention pour guider plusieurs caissières menacées par le déploiement des caisses automatiques dans les enseignes du groupe vers une reconversion professionnelle sur des postes d’aides-soignantes.

 

Des contraintes à maîtriser

Encore tout nouveau et peu connu, TransCo monte tout doucement en puissance. Aujourd’hui, 26 entreprises (grands groupes, ETI, PME, voire TPE) ont ouvert un dossier auprès des Associations transition pro régionales – les anciens Fongecif – en charge de la mise en musique du dispositif dans les territoires. Des poids lourds comme Stellantis (ex-PSA), Accor, Sodexo ou TransDev ont déjà signifié leur intérêt pour TransCo, mais les premiers candidats effectifs préfèrent jouer l’extrême discrétion sur leur identité, même si certains éléments d’identification commencent à filtrer : un établissement hôtelier en Corse, un groupe de transport maritime de marchandises dans les Hauts-de-France… Si les premiers employeurs intéressés par le dispositif avancent à pas de loup, ce n’est pas une question d’argent. Le dispositif est financé par l’État grâce à une enveloppe de 500 millions d’euros du FNE-Formation débloquée sur deux ans, et les rémunérations des salariés en reconversion ainsi que les coûts des formations suivies sont pris en charge en fonction de la taille des entreprises (voir tableau), même si ces répartitions font encore l’objet de discussions entre les services du ministère du Travail et les partenaires sociaux.

La raison principale de cette prudence, c’est que le déclenchement de TransCo est conditionné à l’établissement d’un diagnostic RH dans les entreprises susceptibles de se séparer de leurs salariés ainsi qu’à la signature d’un accord de Gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) avec les représentants du personnel. « C’est le ticket d’entrée obligatoire pour TransCo », rappelle Stéphan Guénézan, directeur de l’Association transition pro (ATPro) des Hauts-de-France. Une communication trop hâtive serait de nature à susciter un délit d’entrave de la part de l’employeur imprudent. Mais aussi, explique Philippe Debruyne, président CFDT de Certif’Pro, l’instance paritaire qui chapeaute le réseau des Associations transition pro, « une entreprise peut craindre de renvoyer à ses clients, fournisseurs, concurrents comme à ses salariés le sentiment qu’elle est en difficulté en s’engageant dans TransCo. Or l’enjeu est au contraire de l’aider à préparer son avenir par le dialogue social et territorial. ». Attention aussi aux réactions que pourraient entraîner des annonces prématurées sur les salariés eux-mêmes : « Sur les vingt-six dossiers déposés, on trouve de tout, dont certains projets particulièrement sensibles portant sur des effectifs de 200 ou 300 personnes. Les employeurs veulent tâter le terrain et voir les possibilités de reconversion offertes à leurs salariés avant de se dévoiler et de proposer une négociation GEPP », complète Maxime Dumont, chef de file formation professionnelle de la CFTC. « Certaines entreprises disposaient déjà d’un accord GEPP avant le déploiement de TransCo et réfléchissent à la manière de le raccorder au dispositif avant de l’annoncer officiellement », témoigne Lionel Lemaire, directeur général de l’ATPro Grand Est.

Les pouvoirs publics, eux, n’ont pas forcément ces pudeurs. Le 26 avril, la ministre du Travail Élisabeth Borne encourageait les industriels de la fonderie automobile française, une filière où 15 000 emplois sont fortement challengés par les évolutions techniques liées au passage du moteur thermique au tout-électrique, à s’emparer du dispositif.

 

Une action centrée sur le bassin d’emploi

Le bassin d’emploi constitue le cœur nucléaire du dispositif. « Les Français ne sont pas mobiles. On peut le regretter, mais c’est ainsi. C’est pour ça que TransCo est une initiative intéressante : elle est bien dimensionnée pour répondre aux besoins des entreprises et des salariés menacés », estime Thierry Lecarpentier, DRH au sein du groupe d’organisation de croisières Ponant. Alors, dans les régions, on s’organise. On tâtonne parfois. Ainsi, sur les 98 plateformes – ces consortiums d’acteurs de terrain candidats au dispositif où figurent obligatoirement ATPro, Opco, DREETS, services de France compétences et opérateurs du CEP mais pouvant regrouper, selon les besoins locaux, bien au-delà : entreprises, organismes de formation, collectivités territoriales, cabinets RH, branches professionnelles, acteurs de l’emploi et de l’insertion – ayant répondu à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) du ministère du Travail en février 2021, quelques-unes ont déjà jeté l’éponge en raison d’un positionnement incompatible avec les objectifs affichés. « Le premier AMI était large et volontairement ouvert. Il a été lancé pour promouvoir le dispositif par l’engagement d’acteurs très divers. Cela n’a pas forcément aidé à la lisibilité, car il n’existe pas de modèle-type pour les plateformes. Certains acteurs ont pu se désengager. Mais cette absence de formatage a surtout permis de multiplier les initiatives sur la base de dynamiques territoriales concrètes et de projets de natures différentes. Le second AMI devrait se nourrir de ces enseignements et favoriser un déploiement de plateformes là où elles manquent au développement de TransCo », explique Philippe Debruyne.

Sur le terrain, les Comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop) viennent de publier, entre la fin 2020 et le début 2021, leurs premières cartographies des métiers porteurs vers lesquels flécher prioritairement les salariés candidats à une opération TransCo. Au total, pas loin de 300 références de métiers en quête de candidats pour les exercer. Un inventaire à la Prévert où l’on retrouve régulièrement des professions comme celles des métiers de la maintenance, de bouche, du service à la personne, de la logistique ou de la santé. La demande dans ce dernier secteur n’a pas échappé à l’Opco Santé qui y voit l’occasion de promouvoir un certain nombre d’emplois pour lesquels les candidats ne se bousculent habituellement pas. « Plusieurs entreprises et associations souhaitent s’engager dans des projets de transitions collectives pour présenter leurs métiers et les recrutements qu’elles comptent opérer au cours de l’année 2021. Ces entreprises sont convaincues que TransCo est une opportunité de proposer aux salariés des entreprises en situation de baisse durable de leur activité de se réorienter vers des emplois du secteur. Sont particulièrement visés les emplois d’agent des services hospitaliers, d’aide-soignant, d’accompagnant éducatif et social, mais d’autres emplois, notamment dans les métiers supports, sont aussi ouverts », indique-t-on au sein de l’opérateur de compétences.

Quant aux ATPro, chefs d’orchestre du dispositif en régions, elles commencent à se dimensionner pour répondre à cette nouvelle mission ou en recrutant des conseillers chargés de porter la bonne parole auprès des chefs d’entreprise ou en multipliant les partenariats avec d’autres acteurs locaux comme les Opco, Pôle emploi ou l’Apec.

 

Les angles morts du dispositif

Toutefois, il serait risqué de prêter à TransCo plus de vertus que le dispositif n’en a, préviennent ses acteurs. À commencer par y voir l’arme absolue anti-plans sociaux… alors qu’il ne les empêche pas ! « Une entreprise en difficulté peut parfaitement inscrire certaines populations dans un parcours TransCo s’il existe un autre employeur prêt à les accueillir après reconversion… et en soumettre d’autres à un PSE ou une RCC du moment qu’il ne s’agit pas des mêmes catégories de personnel ! », prévient Maxime Dumont. La faiblesse juridique du dispositif est également invoquée : celui-ci ne repose en effet que sur l’existence du Parcours de transition professionnelle (PTP, ex-CPF de transition), d’une instruction ministérielle du 11 janvier 2021, d’un « questions -réponses » du 8 avril 2021 et surtout… sur l’enveloppe des 500 millions du FNE-Formation programmée sur deux ans.

Pas de quoi rassurer certains employeurs tentés de temporiser en attendant l’échéance de 2022. Pour d’autres, c’est son formalisme qui inquiète. Soumis à une négociation GEPP, il pourrait manquer la cible des TPE où le dialogue social n’existe quasiment pas et ne pas constituer une réponse à la problématique du « PSE invisible » contre lequel alerte Laurent Berger, le n° 1 de la CFDT. Plus encore, il intervient alors qu’une grande part de l’économie est encore sous perfusion de subventions étatiques, qu’elles prennent la forme de PGE ou d’activité partielle. « Si on demande aux entreprises de rouvrir selon des jauges, nombre d’employeurs pourraient rapidement faire le calcul : il sera plus intéressant de fermer et de licencier que d’engager les salariés dans un parcours de reconversion », prévient Maxime Dumont. Philippe Debruyne voit plutôt le verre à moitié plein : « Ce sera au moment où l’on sortira de la crise sanitaire et où les aides de l’État diminueront que les entreprises se saisiront pleinement de TransCo grâce à l’accompagnement que nous sommes en train de construire : la vraie montée en puissance du dispositif devrait être à la fin de l’année ».

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre