Soutenu par l’Élysée, le haut-commissaire à l’engagement des entreprises Thibaut Guilluy est officiellement en lice pour la direction de France Travail. Si sa candidature est retenue, ce sera à lui, le 1er janvier prochain, de mettre sur les rails l’opérateur qui doit succéder à Pôle emploi, déjà suspecté de vouloir « fliquer » les chômeurs et les allocataires du RSA, mais aussi attendu au tournant par les partenaires sociaux qui n’entendent pas en partager la gouvernance à n’importe quel prix.
Ce n’est pas une nomination officielle, mais ça y ressemble. En apportant la semaine dernière son soutien à la candidature de Thibaut Guilluy pour le poste de directeur général de Pôle emploi, l’Élysée a officiellement adoubé son champion pour la succession de Jean Bassères, qui dirigeait l’opérateur public depuis treize ans. S’il appartient désormais aux commissions sociales du Sénat et de l’Assemblée nationale de trancher sur cette candidature, le suspense n’était pas vraiment de mise. La mission de préfiguration de France Travail qu’occupait cet ancien entrepreneur social nordiste de 46 ans faisait de lui le candidat le mieux placé pour diriger l’institution à compter du 1er janvier 2024, date à laquelle le projet de loi plein-emploi – qui doit être promulgué aujourd’hui même – donne naissance. Et ce, même si plusieurs parlementaires de gauche viennent de saisir, jeudi dernier, le Conseil constitutionnel pour contester le principe des quinze heures d’activité hebdomadaires auxquelles seront soumis les bénéficiaires du RSA pour pouvoir continuer à toucher leur allocation.
Plus que les questions de gouvernance du futur opérateur – pas encore tranchées à cette date – ou que les réserves exprimées par les différentes entités (Pôle emploi, missions locales et agences Cap emploi) contraintes au mariage de raison au sein de la nouvelle entité, c’est bien cette question de la contrepartie au versement de l’allocation qui a agité la préfiguration de France Travail. Si l’hypothèse d’un travail d’intérêt général au service des collectivités locales ou du monde associatif a vite été écartée par le gouvernement Borne, le sujet suscite la suspicion chez les usagers, mais aussi parmi les syndicats. Ainsi, Denis Gravouil, négociateur CGT sur les questions d’emploi et désormais membre du bureau confédéral de la centrale de Montreuil en charge de la protection sociale et des retraites, n’hésitait pas à qualifier le futur service de l’emploi de « machine à fliquer les chômeurs ». D’autant que le contenu de ces quinze heures d’activité n’est pas encore fixé. Formation, visites d’entreprises, ateliers de reprise de confiance en soi…, les possibilités d’action pour remettre les allocataires du RSA à l’emploi sont encore floues. À ce titre, les enseignements tirés de la vingtaine d’expérimentations territoriales menées en amont de la création de France Travail ont toutes les chances d’être scrutées de près.
« Mettre davantage l'accent sur l'insertion »
Chez Thibaut Guilluy, en tout cas, cet accompagnement renforcé – et un peu contraint – des bénéficiaires du RSA est indissociable du retour à l’emploi de ces publics qui en sont souvent éloignés. Pour lui, c’est même un retour à l’esprit originel qui avait présidé à la création du RMI par le gouvernement Rocard en 1988 et qui avait depuis été détourné des intentions d’origine : « Mettre davantage l’accent sur le « i » d’insertion que sur le « r » de « revenu. » Sur ce point le discours de celui qui occupe encore la fonction de haut-commissaire à l’engagement des entreprises n’a pas changé d’un iota depuis le 1er mars 2021, date de la mise en place du contrat d’engagement jeunes, successeur de la garantie jeunes. Un dispositif développé en sortie de crise Covid, ciblé sur les décrocheurs scolaires de moins de 25 ans et déjà associé à l’obligation de suivre une quinzaine d’heures d’activité chaque semaine pour continuer à bénéficier de l’allocation.
Pour autant, le possible futur directeur général de France Travail n’entend pas transformer l’opérateur en père fouettard sur le modèle des jobs centers britanniques. À l’en croire, le successeur de Pôle emploi doit d’abord être « capable d’identifier 100 % des personnes sans emploi » et cesser de fonctionner en silo en fonction des différentes catégories de chômeurs (selon qu’ils soient jeunes, en situation de handicap, etc.). Et donc susceptible « d’accueillir, d’orienter et de fournir un diagnostic » à l’ensemble des demandeurs d’emploi et de déployer, d’ici au 1er janvier 2025, le nouveau « contrat d’engagement unique » par lequel les allocataires du RSA seraient susceptibles d’être accompagnés vers le retour à l’emploi dans le cadre d’une procédure personnalisée tenant compte des compétences, du parcours, de la situation sociale de l’usager, mais aussi de l’état du marché du travail au moment de la signature du contrat.
Demeure l’inconnue de la composition du conseil d’administration de l’opérateur à naître. Si le projet de loi plein-emploi prévoit d’y associer plus activement les collectivités territoriales et même le monde associatif, les partenaires sociaux, administrateurs de Pôle emploi, n’entendent pas se laisser marcher sur les pieds, arguant de la légitimité à décider que leur donne le mode de financement de France Travail appuyé sur les cotisations des entreprises. Patrick Martin a d’ores et déjà prévenu que son organisation, le Medef, n’entendrait pas partager son droit de gouvernance à n’importe quel prix…