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Thibault Guilluy : “nous voulons un opérateur capable d’identifier 100 % des personnes sans emploi”

Actu | Entretien | publié le : 01.12.2022 | Catherine Abou El Khair

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“Nous voulons un opérateur capable d’identifier 100 % des personnes sans emploi”

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Un opérateur d’État qui assurerait « l’inscription, le diagnostic et l’orientation » des demandeurs d’emploi. C’est le portrait-robot de la future agence France Travail que dresse son préfigurateur, Thibault Guilluy.

Le plein-emploi est-il un objectif atteignable ?

Thibaut Guilluy : Oui, c’est celui d’Olivier Dussopt, le ministre du Travail, du Plein-emploi et de l’Insertion. Le contexte macroéconomique joue bien sûr un rôle, mais nous connaissons énormément de tensions de recrutement. Entre 2019 et 2021, le nombre d’emplois vacants pour mille chômeurs a doublé. Dans le secteur médico-social ou la santé, ces besoins sont devenus structurels. Et parmi les 65 000 employeurs du réseau « Les entreprises s’engagent » que nous avons créé pour accompagner le plan « 1 jeune 1 solution », tous veulent recruter, quelle que soit la taille de l’entreprise. On pense qu’il existe une marge de progression importante afin de permettre à chaque demandeur d’emploi d’être connecté aux opportunités du monde du travail. Par ailleurs, certaines entreprises n’imaginent pas embaucher, estimant que les recrutements sont trop difficiles. Dans les TPE-PME, se projeter dans un recrutement s’apprend. C’est un savoir-faire qu’il faut pouvoir transmettre. Le service public de l’emploi doit pouvoir faire naître ces opportunités, et agir de manière plus efficace. Mettre vingt-cinq jours à recruter au lieu de trente-cinq peut avoir des effets structurels sur les créations nettes d’emploi.

A-t-on « tout essayé » dans la lutte contre le chômage ? Que reste-t-il à faire, alors que plusieurs plans importants en matière de formation et d’insertion des demandeurs d’emploi ont déjà été lancés lors du précédent quinquennat ?

T. B. : Il nous manque un vrai travail d’équipe. Notre politique publique d’emploi et de formation est très atomisée. Les régions s’occupent de la formation tandis que les départements se chargent de l’insertion sociale ; les EPCI vont agir sur le développement économique de proximité et la levée des freins sociaux… Les opérateurs sont spécialisés par public : on a les missions locales pour les jeunes, Pôle emploi pour les demandeurs d’emploi, Cap emploi pour les personnes en situation de handicap… Cette multiplicité d’acteurs est à la fois une richesse et un obstacle. Quand vous discutez avec un demandeur d’emploi ou avec le patron d’une très petite entreprise sur l’offre de services, comment voulez-vous qu’il s’y retrouve ? On inflige à l’utilisateur la complexité de notre système. Quant au raisonnement par statut administratif, il expose aux ruptures d’accompagnement : quand un jeune suivi en mission locale doit passer à Pôle emploi parce qu’il a 25 ans et un jour, il peut y avoir un trou dans la raquette.

Comment le projet France Travail doit-il remédier à cela ?

T. B. : Nous proposons de transformer Pôle emploi en opérateur « France Travail » en étroite synergie avec les autres acteurs de l’insertion, de l’emploi et de la formation. Aujourd’hui, cet établissement public n’est qu’un (très) grand opérateur parmi d’autres, auquel on ne demande de s’occuper que des personnes inscrites sur ses listes. Or, aujourd’hui, seuls 40 % des allocataires du RSA sont inscrits à Pôle emploi… Nous voulons un acteur qui soit en capacité d’identifier 100 % des personnes sans emploi. Aujourd’hui, aucune institution n’est capable de dresser cet état des lieux général, à l’échelle nationale comme au niveau d’un territoire. Nous proposons que l’inscription, le diagnostic et l’orientation se fassent à l’avenir sous l’égide de France Travail. Ce serait la porte d’entrée pour tous les publics. Tout le monde serait identifié et suivi quelque part. Cela implique d’avoir des outils de travail collectifs. D’où notre projet de système d’information commun, connecté aux différents acteurs de l’emploi. Dans le département des Ardennes, nous avons par exemple développé un carnet de bord, partagé entre travailleurs sociaux et conseillers Pôle emploi, qui permet de lister les divers types d’accompagnement et besoins sociaux attachés à chaque personne.

Les pratiques de codiagnostic et d’orientation existent déjà. Que changera concrètement France Travail sur ce point ?

T. B. : Dans certains départements, aucun allocataire du RSA n’est suivi par Pôle emploi, tandis que dans d’autres, ce taux atteint 80 %. Énormément d’allocataires du RSA ne bénéficient pas d’un réel accompagnement pour retrouver un emploi. Les pratiques de codiagnostic existent, mais elles ne sont pas généralisées. Aujourd’hui, il n’existe pas vraiment de système clair qui permette d’orienter les bonnes personnes vers les bons endroits. Demain, le diagnostic de la situation d’une personne pourrait être le même partout, quelle que soit l’institution chargée de son accompagnement. L’objectif est qu’il soit fait le plus vite possible. Pour y parvenir, nous développerons avec les départements un algorithme destiné à effectuer une première orientation des profils en fonction de données transmises par Pôle emploi ou la Caisse d’allocations familiales. Il sera complété si besoin d’un entretien. La Réunion teste déjà sur son territoire un outil semblable, sur lequel nous souhaiterions capitaliser.

Vous misez donc sur le numérique pour assurer un accompagnement de masse ?

T. B. : Le numérique peut être une aide, en complément de l’humain, mais ce n’est bien sûr pas la panacée. Il peut être une manière de mettre en visibilité tous les dispositifs qui existent, et dont la mobilisation peut être aléatoire, alors même que des places sont disponibles. Comment voulez-vous connaître les places en Epide1, en école de la deuxième chance, en insertion par l’activité économique, en entreprise adaptée ? Il est actuellement impossible, pour les conseillers, de connaître l’ensemble des solutions d’insertion disponibles sur un territoire. C’est avec ce nouvel outil que nous aiderons les conseillers à déterminer l’accompagnement adapté à la personne. Le numérique est aussi l’occasion de redéployer du temps vers l’accompagnement des personnes. Dans les missions locales, la charge de travail des conseillers liée à l’administratif est trop importante. Il y a un gaspillage de ressources, en raison de la complexité numérique et administrative ; une perte d’efficacité liée à l’absence de coopération entre acteurs, et un manque de moyens à certains endroits.

Des missions locales à Pôle emploi, en passant par les départements, les conseillers déplorent des portefeuilles surchargés… Comptez-vous apporter des réponses ?

T. B. : C’est ce qui est déjà fait avec le contrat d’engagement jeune : un conseiller Pôle emploi suit trente jeunes. C’est loin des portefeuilles classiques allant de 70 à 300 demandeurs d’emploi. Si l’on veut assurer un accompagnement global et personnalisé, on ne peut pas avoir des cohortes de 200 ou 300 personnes à suivre. Dans les territoires pilotes où nous expérimenterons la réforme de l’accompagnement des allocataires du RSA, nous serons aussi sur une logique de portefeuilles resserrés. Si cela permet un retour à l’emploi plus rapide pour les bénéficiaires du RSA, il s’agira d’un bon investissement social.

Quelles sont vos pistes pour améliorer la mise en relation entre demandeurs d’emploi et entreprises ?

T. B. : Localement, certains dispositifs fonctionnent bien. Dans le cadre de l’expérimentation Sève emploi, des conseillers en insertion spécialisés dans la médiation active font du démarchage d’entreprises, prennent le temps de bien comprendre le poste de travail, proposent des candidats éloignés de l’emploi, ainsi qu’un suivi jusqu’à la fin de la période d’essai. Pourquoi ne pas imaginer mettre en place des brigades de prospection et d’accompagnement des TPE-PME, sur leurs processus de recrutement ? Aujourd’hui, chaque acteur développe son service de relations entreprises : Pôle emploi, les Départements, les maisons de l’emploi… Personne ne se parle. À Argenteuil, les acteurs de l’emploi quadrillent le territoire et partagent les candidatures comme les offres d’emploi. Notre objectif c’est que France Travail permette au service public de l’emploi d’être le meilleur ami RH des entreprises.

Les entreprises doivent-elles revoir leurs processus de recrutement ?

T. B. : Les droits et les devoirs, c’est pour les demandeurs d’emploi, mais aussi pour les entreprises. Nous accompagnons les employeurs pour trouver des candidats. La contrepartie est qu’elles s’ouvrent à tous les profils. Aujourd’hui, des stéréotypes basés sur l’âge, l’adresse, le patronyme continuent d’exister dans les pratiques de recrutement de certaines entreprises. Avec l’ensemble de l’écosystème, nous essayons d’imaginer de nouvelles formes de recrutement, comme les job datings sportifs. Nous sommes aussi en train de mettre en place une solution pour qu’il n’y ait aucune candidature sans réponse, ce qui tue la confiance des gens et renvoie une très mauvaise image de l’entreprise. L’objectif est de pouvoir apporter aux demandeurs d’emploi une explication sur le rejet de leur candidature.

 

Thibaut Guilluy

Fondateur et président, en 2018, du conseil de l’inclusion dans l’emploi et auteur du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique, Thibault Guilluy est depuis 2020, le Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises auprès du ministre du Travail, fonction qu’il a conservée après la réélection d’Emmanuel Macron associée depuis cet été à celle de préfigurateur de France Travail. Ce nordiste de 45 ans a dirigé un chantier d’insertion (Ateliers sans frontières) puis l’Association pour la réinsertion économique et sociale (Ares).

(1) Établissement pour l’insertion dans l’emploi

Auteur

  • Catherine Abou El Khair