Thibaut Guilluy : Tout d’abord, ce contrat n’existe pas « ex nihilo ». Il s’inscrit dans le cadre plus global du plan « Un jeune, une solution » déployé depuis juillet 2020. Né de la crise, ce plan était d’abord une réponse d’urgence aux difficultés d’insertion sur le marché du travail que risquaient de rencontrer un nombre important de jeunes à cause des conséquences économiques de la pandémie. Nous ne voulions surtout pas renouer avec un chômage des jeunes à 30 % comme lors de la précédente crise de 2008-2009. C’est pourquoi les premières mesures du plan ont été orientées vers l’aide aux entreprises pour leur permettre de continuer à embaucher. Leur investissement est essentiel dans l’opération. Trop longtemps, les politiques d’insertion se sont concentrées sur les seuls individus alors que c’est en embarquant aussi les entreprises, actrices de l’insertion, de la formation et de la montée en compétences, que l’on peut développer des solutions. Dans cette optique, « Un jeune, une solution » est moins un programme gouvernemental que national impliquant un maximum d’acteurs. Le plan a toujours été envisagé sous l’angle d’une approche servicielle. Cela a plutôt fonctionné : la plateforme « Un jeune, une solution » est aujourd’hui devenue le premier site de France en matière de recherche de stage. Le moteur de recherche pour un job d’été a dépassé le million de consultations et le service de simulation financière destiné à informer les jeunes sur leurs droits a été consulté là aussi plus d’un million de fois. Résultat : 2021 a été une année presque normale en matière d’emploi des jeunes malgré son caractère anormal.
T. G. : Le contrat d’engagement est un dispositif né de l’échange avec les différents acteurs de l’insertion et les jeunes eux-mêmes. C’est parce qu’il s’agit d’une co-construction évolutive qu’il est aujourd’hui différent de ce qu’il aurait pu être juste après les premières annonces à son sujet. Aujourd’hui, 70 % des jeunes connaissent l’éventail de solutions à leur disposition dans le cadre d’« Un jeune, une solution ». Restent 30 % qui y échappent. Évidemment, ces 30 % sont les jeunes les plus éloignés de l’emploi, qu’ils soient sans travail, sans formation ou sans diplôme (les NEETs), ou qu’ils soient en situation de handicap, résident en zone rurale ou dans les quartiers de la politique de la ville. C’est à eux que s’adresse le contrat d’engagement. La campagne de communication que nous mettrons en place en vue de son déploiement au 1er mars prochain passera certes par les réseaux sociaux les plus utilisés par ces jeunes comme Tik-Tok, mais aussi par un maximum d’acteurs de l’insertion : bailleurs sociaux, associations sportives ou de quartiers par exemple. Nous devrons aller chercher ces jeunes partout. Pôle Emploi et les missions locales seront en charge de l’accompagnement. Leurs moyens seront renforcés à cet effet.
T.G : Le contrat d’engagement jeunes s’inspire de la garantie jeunes qui a fait ses preuves, mais la refonde en tirant les enseignements des programmes lancés depuis le début du quinquennat pour atteindre davantage d’efficacité dans le retour à l’emploi et pour accompagner des jeunes qui en sont le plus éloignés. Avec le contrat d’engagement, le jeune est suivi sur une durée de six, huit ou douze mois selon son besoin. Par ailleurs, nous ne voulions pas qu’il y ait mésinterprétation sur le caractère universel associé à la garantie jeunes. L’allocation pourrait être perçue comme une dotation systématique alors qu’elle est liée, dans le cadre du contrat d’engagement, à l’obligation de suivre un programme d’accompagnement intensif de 15 à 20 heures par semaine.
T.G : Oui. Les débats de ces derniers mois ont surtout tourné autour de la question de savoir s’il était préférable d’instaurer un tel contrat plutôt qu’un « RSA jeunes ». J’étais personnellement opposé à cette dernière solution. Les jeunes que je rencontre ne réclament pas un revenu. Ils veulent un tremplin vers l’insertion et l’emploi. Selon moi, le contrat d’engagement repose sur la même logique que celle des bourses universitaires. Pour réussir vos études, on vous accorde une bourse. Et bien pour réussir votre insertion sans craindre les fins de mois difficiles, on vous accorde une allocation. Mais celle-ci est conditionnée à un certain nombre d’engagements de votre part. Notre démarche est plus exigeante que la création d’un RSA jeunes, c’est vrai, mais nous renouons avec l’esprit du RMI (revenu minimum d’insertion) tel que l’avait conçu Michel Rocard en 1988 lorsque l’accent était plutôt placé sur le « i » d’insertion que sur le « r » de « revenu ». L’allocation n’est pas une fin en soi.
T.G : Il n’a jamais été question d’accueillir un million de jeunes à l’instant T en contrat d’engagement. Ce n’est pas parce qu’on prévoit, par exemple, 200 000 contrats qu’on trouvera 200 000 jeunes pour les signer tout de suite. Le dispositif repose sur une logique de flux et non de stock. Par ailleurs, si l’on compte environ un million de NEETs dans ce pays, ça ne signifie pas que tous ont besoin du même degré d’accompagnement vers l’insertion que celui assuré au titre du contrat d’engagement. Ceux qui n’en ont pas besoin peuvent bénéficier d’autres dispositifs du plan « Un jeune, une solution » comme ceux de l’insertion par l’activité économique (IAE), de la formation des jeunes éloignés de l’emploi, du plan d’investissement dans les compétences (PIC), des écoles de la deuxième chance (E2C), des écoles de production, de l’Epide, etc. Le contrat d’engagement fait partie de l’éventail des solutions, il n’a pas vocation à devenir la solution unique.
T.G : L’objectif n’est pas de « faire 400 000 » dans une logique de chiffre, mais d’aller chercher tous les jeunes qui pourront être concernés par ce dispositif et les informer de son existence. Pour cela, nous mobilisons 100 millions d’euros pour « sourcer » ces jeunes. C’est, de mémoire, le plus gros budget jamais accordé au repérage des jeunes en difficulté.
T.G : Oui. Nous avons connu deux périodes : la première, durant les confinements où nous avons sollicité les entreprises pour qu’elles ne stoppent pas leur recrutement. Un certain nombre d’aides ont été débloquées à cet effet. Aujourd’hui, nous demandons une contrepartie à ces aides par un comportement citoyen des employeurs dans le cadre d’« Un jeune, une solution ». Plus de 20 000 d’entre eux – ainsi que 63 filières – ont pris des engagements concrets. Carrefour, par exemple, qui ambitionnait de recruter 10 000 jeunes, va pousser jusqu’à 15 000 dont 8 000 issus des quartiers prioritaires de la ville. Mais les grands groupes ne sont pas les seuls à s’engager. Les PME également. Le Centre des jeunes dirigeants (CJD) a ainsi lancé en 2020 l’opération « Un dirigeant, un apprenti » pour développer l’alternance dans leur réseau. 1 500 ont été recrutés en 2020, ils seront bientôt 3 000 cette année ! À quoi s’ajoutent d’autres initiatives comme des opérations de mentorat au titre du programme « Un jeune, un mentor » qui vise à faire accompagner un jeune par un dirigeant, un membre de ComEx, un salarié d’entreprise. Nous en visions 100 000 au début de l’année 2022, nous avons dépassé le seuil des 50 000 aujourd’hui.
Fondateur et président, en 2018, du conseil de l’inclusion dans l’emploi et auteur du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique Thibault Guilly est, depuis le 12 octobre 2020 le Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises auprès d’Élisabeth Borne. Ce Pas-de-Calaisien de 44 ans a dirigé le chantier d’insertion Ateliers sans frontières puis le groupe Ares (Association pour la réinsertion économique et sociale). En 2008, il a intégré la Commission de concertation sur la politique de la jeunesse sous la direction de Martin Hirsch.