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Une conciliation encore imparfaite

Liaisons Sociales Magazine | Conditions de travail | publié le : 02.01.2014 | Sabine Germain

Alors que 93 % des salariés parents se préoccupent de l’équilibre entre leurs vies professionnelle et familiale, 76 % considèrent que les entreprises ne font pas assez pour les aider. Malgré leurs déclarations d’intention.

Mon patron est devenu un peu plus compréhensif après son divorce, quand il a obtenu la garde alternée de ses deux jeunes enfants, observe Valérie, ingénieure dans un bureau d’études. Comme s’il découvrait que les enfants peuvent être malades, les nounous en retard ou les écoles en grève… »
 
Faut-il donc attendre que tous les managers divorcent pour que les entreprises deviennent un peu plus family friendly ?« N’exagérons rien, sourit Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de la parentalité. La question de la parentalité a progressé : quand nous avons commencé à en parler, il y a cinq ans, tout le monde nous riait au nez. Aujourd’hui, elle figure à l’agenda social de toutes les grandes entreprises. »
 
De fait, 60 % des dirigeants ou DRH considèrent que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est « un enjeu central » qui relève davantage de leur responsabilité (58 %) que de celle des pouvoirs publics (42 %). Ils ont du pain sur la planche : alors que 93 % des salariés parents estiment que l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale « constitue un sujet de préoccupation important », 76 % regrettent que leur entreprise « ne fasse pas beaucoup de choses pour les aider ».
 
En 2005, une étude suisse a pourtant montré qu’elles ont tout à y gagner : un groupement de grandes entreprises (dont Migros, Nestlé et Novartis) a voulu mesurer l’impact financier des politiques de parentalité. Résultat : grâce à la baisse de l’absentéisme et du turnover, 100 euros consacrés à la parentalité génèrent 8 % de retour sur investissement. Et même sans doute davantage : l’étude a volontairement été cantonnée à des indicateurs quantifiables, éliminant les éléments plus subjectifs que sont la motivation, l’engagement ou la loyauté.
 
À ce jour, 500 entreprises de toutes tailles ont signé la Charte de la parentalité, lancée en 2008 par l’Observatoire. « Une vague déclaration d’intention qui ne les engage à rien, juge Marlène Schiappa, présidente et fondatrice du réseau Maman travaille. Je reçois de nombreux témoignages de salarié (e) s qui dé­crivent une réalité très différente des situations présentées par les DRH lorsqu’ils interviennent dans des colloques sur le thème de la parentalité. »
 
Absence de contraintes.

Jérôme Ballarin est conscient que les engagements pris par les entreprises signataires sont assez limités : « Pour rédiger ce texte, nous nous sommes inspirés de la Charte de la diversité. Elle est effectivement peu contraignante, mais elle a débouché sur une véritable prise de conscience. » La Charte de la parentalité aura-t-elle le même destin ?
 
« Certaines entreprises ont mis du temps à signer car elles ne voulaient pas le faire à la légère. A fortiori dans des secteurs d’activité durement touchés par la crise : les dirigeants n’ont pas voulu donner l’impression de faire diversion à des partenaires sociaux avec lesquels ils négociaient des restructurations. » Ce qui montre, à ses yeux, que les entreprises prennent cet engagement au sérieux.
 
Du reste, chaque signataire doit justifier son engagement en présentant les dispositifs mis en place pour aider les parents. Ils relèvent de quatre domaines. Il y a, bien sûr, les services facilitant la vie quotidienne : conciergerie ou crèche d’entreprise, par exemple, mais aussi « coaching parental ». Le cabinet de conseil EY accueille ainsi régulièrement la pédiatre Jacqueline Salomon, qui a reçu depuis 2009 environ 250 jeunes parents pour aborder des sujets tels que les modes de garde, l’adaptation de leur organisation aux rythmes de l’enfant, le sommeil, ou même la culpabilité de ne pas être assez présents.
 
Les employeurs peuvent également apporter un soutien financier aux parents : en prenant en charge une partie du coût des Chèque emploi service universel (Cesu) et de la complémentaire santé couvrant l’ensemble de la famille, ou en rémunérant à 100 % les congés paternité (en complément de la Sécurité sociale).
 
Troisième champ d’action : l’organisation du travail et la gestion des horaires. La charte « Pour mieux travailler ensemble » d’Axa France prévoit ainsi que les réunions ne peuvent être organisées avant 9 heures ou après 17 heures. De plus, l’assureur propose une grande souplesse dans la gestion des temps partiels pour permettre aux salarié (e) s d’adapter leur temps de travail à leurs « moments de vie »: c’est ainsi que 20 % des  collaborateurs travaillent aujourd’hui à temps partiel. Enfin, avec l’accord télétravail de février 2013, le nombre de télétravailleurs devrait passer de 300 aujourd’hui à 500 en 2015.
 
Chez Carrefour, les horaires des équipes de caisse (qui représentent un tiers des 60 000 collaborateurs du distributeur en France) ne sont plus imposés par le chef de caisse : des « îlots » d’une vingtaine de personnes dont les profils sont complémentaires (étudiants, parents, seniors) organisent leurs plannings en tenant compte des souhaits exprimés par chacun.
 
Déconstruire les stéréotypes

Dernier domaine, sans doute le plus complexe mais aussi le plus important : la sensibilisation des managers de proximité. « Il est anormal que quatre femmes sur dix tremblent encore à l’idée d’annoncer qu’elles sont enceintes », explique Jérôme Ballarin. Capgemini, Carrefour ou Casino ont ainsi élaboré des guides de la parentalité présentant tous les dispositifs proposés par l’entreprise et donnant quelques règles de conduite aux managers. Bouygues Construction organise même des ateliers sur la mixité et la parentalité, où les managers sont invités à déconstruire des stéréotypes particulièrement présents dans le monde du BTP.
 
Marlène Schiappa regrette toutefois que ces dispositifs – fort louables au demeurant – soient parfois en décalage avec les attentes des salariés : « Avant de communiquer sur leurs engagements, les entreprises feraient mieux de lancer une consultation auprès de leurs salariés pour savoir ce qu’ils veulent vraiment. » En tenant compte de toutes les situations de travail : « Les cabinets de conseil présentent souvent des politiques ambitieuses en faveur de la parentalité. Le problème, c’est qu’elles ne concernent que les salariés du siège : les consultants détachés dans une autre entreprise n’en bénéficient pas. »
 
Les principaux freins à la prise en compte des contraintes familiales restent culturels. Dans les entreprises où le management par le contrôle et la valorisation du présentéisme restent très ancrés. Mais aussi dans les familles, où les femmes continuent à porter 80 % des tâches domestiques. « L’égalité professionnelle passe par l’égalité dans la vie privée et réciproquement », estime Marlène Schiappa, convaincue que les questions de parentalité et d’égalité professionnelle doivent être abordées conjointement.
 
C’est précisément ce que propose le projet de loi pour l’égalité femmes-hommes, présenté par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, en ces termes : « Nous affirmons, avec ce projet de loi, que l’égalité est un tout, un ensemble cohérent de causes et de conséquences qui part de l’éducation et de la responsabilité parentale pour aller jusqu’aux violences, en passant par l’égalité professionnelle et l’égale implication des femmes et des hommes dans la sphère domestique. »
 
La réforme du congé parental en est la disposition la plus emblématique : elle prévoit notamment que le versement de l’allocation du complément de libre choix d’activité sera limité à deux ans et demi au lieu de trois ans si les deux parents ne prennent pas au moins chacun six mois de congé parental. « Aujourd’hui, à peine 10 000 à 15 000 pères font le choix du congé parental, observe Jérôme Ballarin. L’objectif est de monter à 100 000 dans trois ans, avec des formules qui peuvent être très souples : le congé de six mois peut être étalé à raison d’un ou deux jours par semaine. Ce qui permet à l’entreprise de s’organiser, et aux hommes de s’impliquer davantage dans la parentalité : un souhait qu’ils expriment de plus en plus souvent dans les ateliers que nous organisons. »
 
Marlène Schiappa pointe toutefois un frein très pratique : « Si les femmes gagnaient autant que les hommes, les congés parentaux seraient peut-être moins systématiquement pris par les mères : de 4 % des congés parentaux il y a cinq ans, la part des pères est tombée à 2 %. » Sur le modèle du « plafond de verre », qui bloque trop souvent l’ascension des femmes aux portes du pouvoir, elle a forgé le concept de « plafond de mère ». Malgré toutes les déclarations d’intention, la maternité reste le principal frein à la carrière des femmes.

Auteur

  • Sabine Germain