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Comment les salariés de Vermilion inventent l’après-pétrole

Décodages | Innovation | publié le : 01.03.2020 | Lys Zohin

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Comment les salariés de Vermilion inventent l’après-pétrole

Crédit photo Lys Zohin

La loi Hulot de 2017 sur l’arrêt de l’extraction de pétrole en France à horizon 2040 a d’abord semé le trouble au sein de la filiale française du groupe canadien Vermilion. Puis, sous l’impulsion du directeur général, les équipes se sont mobilisées pour trouver des réponses. Aujourd’hui, les collaborateurs ont retrouvé une nouvelle confiance et s’apprêtent à explorer de nouveaux marchés.

Dans quelques mois, Sylvain Nothhelfer, directeur général de la filiale française de Vermilion, prendra l’avion pour le Canada. Direction Calgary, capitale du pétrole canadien et siège de la maison mère. Il devra convaincre la direction que les idées de nouveaux marchés explorées par les salariés français sont les bonnes pour l’avenir de la filiale française. Et qu’il faut les financer. « Je suis confiant, dit-il, d’autant que j’ai déjà eu le soutien de notre patron, que j’avais fait venir lors de la réunion de débriefing. » Spécialisée dans l’extraction de pétrole, Vermilion est présente en France depuis 1997. Elle exploite divers gisements en Nouvelle-Aquitaine et dans le bassin parisien. Mais cette activité est condamnée à terme. De fait, la loi Hulot sur les hydrocarbures, votée en décembre 2017, prévoit l’arrêt de la production de pétrole et de gaz en France en 2040. « C’est une aberration écologique, peste Eric Léoutre, 42 ans, ingénieur production pour la société, puisque la France va continuer à importer du pétrole extrait dans des conditions moins vertueuses que le nôtre et qui, de surcroît, doit être transporté sur de très longues distances. » La nouvelle règle a donc fait l’effet d’une bombe dans l’entreprise. L’incrédulité, le déni – « Nous pensions que la loi allait changer », avoue l’ingénieur – ont vite laissé la place à l’anxiété. La moitié des 160 salariés en France sera toujours en activité en 2040. Or, elle se voyait extraire de l’or noir jusqu’à l’âge de la retraite… Autant dire que Vermilion devait s’inventer un nouvel avenir. Mais lequel ? Pendant quelques semaines après cette annonce du Gouvernement, employés, agents de maîtrise, cadres et directeurs sont comme assommés. Puis, « au deuxième trimestre de 2018, j’ai lancé une réflexion sur l’avenir au niveau du comité de direction », relate Sylvain Nothhelfer. Les pistes envisagées étaient, cependant, on ne peut plus convenues : géothermie, éolien, solaire. Des marchés qui n’ont bien sûr pas attendu Vermilion pour se développer. Dans ces conditions, quel avantage y aurait-il à entrer, en retard, sur un créneau déjà occupé ? « Je me suis dit qu’il fallait procéder autrement », confie le DG. Début 2019, il se met en quête d’une stratégie et opte pour la méthode « Blue Ocean », développée par deux professeurs de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead). Elle s’appuie sur l’idée que la croissance d’une entreprise se fait avant tout en créant une nouvelle demande, dans un espace incontesté (dans un océan dit « bleu »), plutôt que dans le cadre d’un affrontement avec des fournisseurs existants (dans un océan dit « rouge »…). Pour ce faire, il fallait donc « sortir de son bocal et aller à l’extérieur », dit-il. Sa philosophie en matière de gestion humaine l’incite également à impliquer les salariés dans l’opération. « Si la moitié du personnel sera encore en activité en 2040, il m’a paru normal qu’il contribue à réfléchir aux orientations de demain », explique-t-il. Il lance un appel à candidatures, sur tous les sites de production, à tous les niveaux hiérarchiques. Environ un tiers de salariés, soit 45 personnes, sont ainsi chargés d’explorer en équipes des pistes pour l’après-pétrole, sur 10 à 20 % de leur temps pour les équipiers et 30 % pour les leaders. Tous s’organisent pour dégager le temps nécessaire à cette nouvelle aventure, qui implique notamment d’aller interroger des experts, des chefs d’entreprise, des élus, des chercheurs…

Bottom up.

Certains se sentent intimidés et se demandent quelle est leur légitimité à souhaiter un rendez-vous avec un patron ou un scientifique. « Au début, d’ailleurs, ils y allaient en binôme », se souvient Sylvain Nothhelfer. Les nouveaux explorateurs assistent à des conférences, se renseignent, cherchent de nouveaux interlocuteurs. Au total, quelque 250 entretiens ont été menés. Et petit à petit, le miracle a eu lieu. Les idées émergent. Elles sont approfondies, testées, travaillées. « Je n’aime pas vraiment ce jargon, mais cela a réellement été du bottom up, d’autant que tous les participants étaient sur un pied d’égalité », sourit Eric Léoutre, inclus dans les 45 pionniers. Puis, les 25 premières pistes ont été détaillées, début octobre dernier, et mises au vote auprès du reste des participants, pour n’en garder que sept. Celles qui ont été sélectionnées ont ensuite été peaufinées pendant un mois et demi. Le 28 novembre dernier, elles ont été exposées à l’ensemble des salariés, puis, le 14 janvier, à d’autres collègues et à des parties prenantes extérieures. Nouveaux votes, pour recueillir les avis. « J’ai eu l’idée de faire venir notre patron de Calgary à la restitution, déclare Sylvain Nothhelfer. C’était quitte ou double, mais il a apprécié l’exercice et l’ouverture offerte », souffle-t-il. Enfin, le 31 janvier, le comité de direction s’est penché, à l’occasion d’une journée de travail, sur les sept différents projets retenus, pour établir les priorités ainsi qu’un plan d’actions, et il a nommé des responsables. Viendront bientôt les études de marché. Et enfin, assorties d’un plan de développement comprenant aussi bien un volet financier qu’humain, puisque les activités auxquelles compte se convertir Vermilion nécessiteront un investissement et des moyens en matière de recrutement et de formation, Sylvain Nothhelfer ira défendre les idées à Calgary.

Esprit de corps.

Quel que soit le résultat – et la direction comme les collaborateurs espèrent évidemment que les dirigeants canadiens sauront prendre la mesure des enjeux et y répondre favorablement – l’initiative a déjà eu un impact considérable sur le personnel. Alors qu’ils avaient le moral en berne, le fait d’agir a redynamisé les salariés. « Je les ai vus évoluer, et la restitution au reste de l’effectif et aux contacts externes a été extraordinaire, s’enthousiasme le patron français. Il y a maintenant un esprit de corps et une ambiance, tournée vers l’avenir, incroyables. » Au niveau individuel aussi, les effets sont notables, sous forme de confiance en soi accrue et de meilleure ouverture sur l’extérieur. « Alors qu’elles s’estimaient impuissantes, sacrifiées par la loi Hulot, les équipes ont retrouvé du pouvoir : elles vont dénicher de nouveaux marchés. Les collaborateurs ont le sentiment d’être utiles, et ils ont compris qu’ils pouvaient apprendre de nouvelles choses », ajoute Eric Léoutre. Engagées, au point de poursuivre leurs recherches alors que les restitutions sont terminées, les équipes sont aussi en attente. Calgary n’a pas intérêt à les décevoir… Ce qui est sûr, c’est que ces salariés ont une volonté féroce de réussir et de transformer ce coup du sort en une opportunité. D’ailleurs, d’une certaine façon, c’est déjà fait…

« Je suis fière d’avoir participé au processus de transformation »

Sa passion initiale, c’est la finance. Laetitia Saubesty, responsable comptable et fiscal chez Vermilion, a commencé sa carrière dans la banque, notamment en tant que conseillère auprès de professionnels et de petites entreprises. Elle connaît bien le risque de ne pas se renouveler pour une entreprise. Aujourd’hui, elle est portée par la nouvelle aventure qui a démarré au sein de la société pétrolière. Contrairement à d’autres collaborateurs, spécialisés dans le pétrole, elle aurait pu chercher un poste ailleurs au moment où « le couperet est tombé », autrement dit, où la loi Hulot, instituant l’arrêt de la production de pétrole et de gaz en France en 2040, a été adoptée, en 2017. « Mais je suis de la région Aquitaine et très attachée à l’entreprise, dit-elle. Et j’ai totalement adhéré dès le départ à l’idée, incarnée par le directeur général, de ne pas laisser tomber. » En outre, elle apprécie que les salariés aient été mis à contribution pour déterminer eux-mêmes leur avenir – « chose assez rare dans le monde de l’entreprise », souligne-t-elle. « En général, sur des projets d’une telle ampleur, on confie cette tâche à quelques personnes seulement », avance-t-elle. Des experts, des sachants, qui phosphorent au nom de tous… Pas question pour elle de laisser passer l’occasion de participer aux efforts de réflexion collégiaux menés avec la méthode Blue Ocean. Au programme, partage et émulation. Tout ne s’est pas fait sans accroc. « Nous avons eu ce qu’on appelle dans la méthode des chapeaux noirs, en d’autres termes, des pessimistes, qui ne croyaient pas à la possibilité de changer de cap », se souvient-elle. Mais ils ont pu exprimer leurs doutes ou leurs craintes, et chacun à son rythme, ils ont évolué vers une pensée plus positive. Et vers une vision plus large, plus ambitieuse, d’une certaine façon, de l’entreprise. D’autant que les ateliers comprenaient également des « chapeaux verts », collaborateurs identifiés comme les plus créatifs, et des « chapeaux jaunes », dont la personnalité était de nature à motiver les équipes. De quoi, in fine, embarquer tout le monde – même les plus dubitatifs ou les plus récalcitrants. Et, petit à petit, face à l’adversité, les liens se sont tissés. L’équipe s’est fédérée autour du projet. De même, ce qui paraissait un défi insurmontable à la jeune femme, aller chercher des informations sur un temps court en interrogeant des dizaines de personnes, a finalement été relevé. Et aujourd’hui, « je suis fière d’avoir participé au processus de transformation », s’enthousiasme-t-elle. Laetitia Saubesty se dit « super-motivée ». Et, bien sûr, prête à rester chez Vermilion pour une deuxième partie de carrière…

L’innovation utile

Professeurs de stratégie et codirecteurs du Blue Ocean Strategy Institute, à l’Insead, Chan Kim et Renée Mauborgne ont mené des recherches pendant plusieurs années sur la stratégie que devaient adopter les entreprises afin de sortir de ce qu’ils ont appelé l’océan rouge, qui regorge de concurrents prêts à casser les prix pour dominer leur segment de marché, et entrer à la place dans un océan bleu, celui de l’innovation, dans lequel la concurrence est inexistante. Au moins pendant un certain temps… Leur réponse figure dans un ouvrage, publié en 2005, « Blue Ocean Strategy », actualisé en 2015 sous le titre de « Blue Ocean Shift », deux best-sellers outre-Atlantique. Leur concept est celui de l’innovation utile, en matière de valeur pour le client comme pour l’entreprise. Pour ouvrir la voie à l’innovation, ils ont mis au point une série de modules, visant à déterminer d’abord dans quel océan évolue l’entreprise, pour ensuite débloquer la créativité qui permettra de définir une nouvelle stratégie, quitte à étudier les points bloquants, afin de déterminer où seraient le nouveau marché et les nouveaux clients pour le produit ou le service inédit offerts. Les derniers modules, évidemment, font la part belle au pragmatisme et à la mise en œuvre de la nouvelle stratégie.

Auteur

  • Lys Zohin