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« La promotion par la mobilité géographique est à repenser »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 14.04.2009 |

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« La promotion par la mobilité géographique est à repenser »

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La mobilité géographique est souvent nécessaire pour bénéficier d'une promotion. Mais les contraintes qu'elle implique engagent, au-delà de la vie professionnelle, celle de la famille. Et pénalisent davantage les femmes que les hommes. La jeune génération refuse désormais ce diktat, ce qui devrait conduire les DRH à réorganiser la mobilité.

E & C : A partir d'une étude menée auprès des personnels de deux banques, vous expliquez les limites de la promotion de carrière par la mobilité qui renforce les inégalités de genre...

Isabelle Bertaux-Wiame : Traditionnellement, les femmes sont les laissées-pour-compte de la promotion de carrière par la mobilité, dans la mesure où leur échoie la plus grande part dans l'éducation des enfants. Les services RH, notamment à l'occasion de l'entretien annuel d'évaluation, prennent en compte cet aspect de la vie privée, mais au détriment de la promotion des intéressées. On finit par ne pas leur proposer de postes qui les obligeraient à demander à leur conjoint de les suivre, ou elles-mêmes évitent les situations où la mobilité serait exigée, notamment en refusant d'accéder au statut cadre bien qu'elles en assument parfois toutes les responsabilités.

Néanmoins, ce partage professionnel, qui peut paraître inéquitable, est généralement géré à deux au niveau du couple. Le choix de privilégier la carrière du mari est une stratégie familiale qui implique un arbitrage très serré des rôles, des contraintes et des bénéfices que chacun en retire. Ces négociations familiales peuvent être remises en cause une fois les enfants élevés. C'est alors que le mari, inféodé à son entreprise, peut se sentir lâché par une épouse qui, au nom de ses propres choix, refuse de le suivre.

Mais aujourd'hui, nombreux sont les hommes qui ne sont plus prêts à accepter une telle asymétrie dans leur couple et qui soutiennent leur épouse dans leur désir d'autonomie et de réalisation professionnelle. Par ailleurs, les plus jeunes estiment qu'une activité professionnelle participe à la réalisation de soi, les hommes comme les femmes. Cette nouvelle génération a également intégré l'idée que l'emploi est fragile, même dans des secteurs protégés, et que le niveau de vie passe par l'apport de deux salaires au foyer.

E & C : Quelles sont les conséquences sur la carrière ?

I. B.-W. : Les jeunes diplômés entrant dans le secteur bancaire dès la fin de leurs études connaissent les contraintes du système et, aussi longtemps qu'ils sont célibataires, hommes et femmes s'impliquent fortement dans la mobilité, anticipant, en quelque sorte, les compromis conjugaux ultérieurs. Une fois mariées, les femmes ont tendance à privilégier une sédentarité dans une métropole où les postes sont suffisamment diversifiés pour espérer une carrière sans mobilité géographique. Les hommes, pour leur part, s'investissent autant qu'ils peuvent en accélérant le mouvement pendant que leurs enfants sont petits pour, éventuellement, le freiner ultérieurement afin de ne pas déplacer la famille au moment de l'adolescence des enfants.

Ceux qui refusent la mobilité ont des perspectives de carrière objectivement plus modestes. Si elle tend à aggraver les inégalités de genre, a contrario, les habitudes des jeunes générations changent sensiblement la donne : il n'est pas certain que des jeunes femmes issues des mêmes écoles acceptent facilement de renoncer à leur vie professionnelle, tandis que les jeunes hommes prennent, aujourd'hui, très au sérieux le projet familial dont ils se sentent partie prenante. D'où la nécessité pour les services RH de repenser la mobilité afin d'éviter les blocages.

E & C : Quelles sont les solutions envisageables ?

I. B.-W. : Face à ce dilemme, les entreprises n'ont pas toujours de solutions. Pour celles, comme les banques, qui ont à gérer un maillage important sur le territoire, la mobilité géographique reste une dimension incontournable. Cependant, tenir compte des situations personnelles permet une meilleure adhésion des salariés. Un cadre mécontent est clairement moins performant. L'individualisation du suivi du personnel est un début de solution, même si, proposer un emploi au conjoint n'est pas toujours facile, y compris quand les couples ont le même employeur. Il est, en effet, souhaitable que les conjoints travaillent dans des services différents pour éviter la confusion des genres entre la sphère privée et la sphère professionnelle.

Les entreprises françaises ont peut-être quelque chose à apprendre des pratiques des pays scandinaves, où existe une gestion des ressources humaines tenant compte des cycles de vie des salariés. Car ces cycles semblent correspondre à la gestion de carrière spontanément mise en place par les intéressés.

PARCOURS

• Isabelle Bertaux-Wiame, historienne et sociologue, est chargée de recherche en sociologie au CNRS (Genre, travail, mobilité).

• Elle a coordonné un numéro des Cahiers du genre : les intermittents du foyer. Couples et mobilité professionnelle (n° 41/2006).

• Elle est l'auteure d'un article sur les ratés de la mobilité dans un livre collectif, coordonné par Danièle Linhart, Pourquoi travaillons-nous ? Une approche sociologique de la subjectivité au travail (Eres, 2008).

LECTURES

Les gens de la banque, Yves Grafmeyer, PUF, 1992.

Perte d'emploi, perte de soi, Danièle Linhart, Eres, 2002.

Logiques professionnelles et logiques familiales : une articulation contrainte par la délocalisation de l'emploi, Cécile Vignal, Sociologie du travail, 47/2, 2005.