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Aider le manager intermédiaire à devenir «intrapreneur»

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 03.04.2007 | Pauline Rabilloux

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Aider le manager intermédiaire à devenir «intrapreneur»

Crédit photo Pauline Rabilloux

Les entreprises impliquent de plus en plus le management intermédiaire dans l'élaboration de leur stratégie. Pas toujours à l'aise dans ce nouveau rôle, ces managers, pour devenir «intrapreneurs», ont besoin d'un accompagnement spécifique. Ils doivent, en effet, se construire une nouvelle identité, sociale et professionnelle.

E & C : Certains cadres intermédiaires sont, aujourd'hui, appelés à nourrir la réflexion stratégique de leur entreprise. Pourriez-vous expliquer ce phénomène nouveau ?

Christian Mahieu : Les entreprises sont à l'affût des moindres signes émanant de l'univers économique. Du fait de leur proximité avec les marchés et les clients, certains cadres sont particulièrement bien placés pour capter ces nouvelles opportunités. Les entreprises les sollicitent pour qu'ils transforment ces potentialités en ambitions de développement, à leur niveau. Ce dialogue entre le top management et l'encadrement intermédiaire est même un incontournable pour celles qui veulent anticiper les évolutions des marchés au lieu de les subir.

E & C : Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

C. M. : C'est là que commencent les difficultés, car ces responsabilités nouvelles exigent des managers concernés des postures d'encadrement inédites, qui bousculent les représentations qu'ils se faisaient de leur métier et de leur carrière. Un hiatus peut notamment exister entre l'importance de leur rôle et leur place hiérarchique, les moyens humains mis à leur disposition étant généralement assez faibles. Ce malaise transparaît, parfois, jusque dans la difficulté à nommer leur fonction, et peut leur poser un vrai problème identitaire au sein de l'entreprise.

Par ailleurs, la direction leur demande d'assumer un rôle qui peut être remis en cause à tout moment, du fait d'un changement d'orientation stratégique global sur lequel ils n'ont aucune prise. Dans ce contexte, fait de prise de risques et d'insécurité, ces entrepreneurs internes, ou «intrapreneurs», développent de nouvelles capacités d'action et des comportements inédits. Ces nouveaux stratèges entendent, par exemple, gérer leur propre carrière et négocier leur rémunération. Ils tendent à se comporter comme des associés. On peut alors se trouver dans la configuration un peu paradoxale d'un pilote de «projet d'entreprise», qui définit son plan d'affaires et en spécifie le modèle économique, discute les transformations de l'organisation à opérer, mais reste inféodé à l'entreprise par le lien du salariat, tout en ayant imposé ses conditions salariales à la direction.

Autre problème : l'entreprise ne sait pas forcément gérer l'appui à apporter à ce type de profil pour l'aider à se (re) construire. Certes, la fonction RH connaît tout des formations pour les personnels affectés à la production ou au service clients. Mais, accompagner ces nouveaux stratèges demande d'autres dispositifs d'apprentissage. C'est, avant tout, l'expérimentation et l'enseignement qu'on peut en tirer qui comptent. L'appui d'un coach peut favoriser la dimension de réflexivité et rompre le sentiment de solitude, mais cette solution permet davantage de résoudre les problèmes de relations avec les subordonnés et les supérieurs que de préparer à la fonction stratégique à proprement parler. Les entreprises expérimentent alors, et souvent simultanément, des solutions diverses pour lesquelles la fonction RH intervient, mais aussi de petites équipes spécialisées, le plus souvent en proximité avec la direction générale.

E & C : Comment les directions générales peuvent-elles gérer, à l'avenir, ce type d'encadrement ?

C. M. : Il est difficile de définir le cahier des charges pour une activité qui sort des sentiers battus. Cependant, le développement de la dimension réflexive à partir des situations réelles d'élaboration de la stratégie est essentiel. Il faut alors concevoir des dispositifs pour accompagner et renforcer les apprentissages réalisés en situation. Les universités d'entreprise, que l'on voit fleurir un peu partout, offrent parfois le cadre de tels dispositifs. A ce titre, elles constituent des lieux stratégiques pour l'approfondissement de la réflexion, la reconstruction des acteurs et la recomposition de leurs relations.

Par ailleurs, même si ce type de personnel ne saurait être géré selon les objectifs quantitatifs et qualitatifs du reste de l'encadrement, il importe de le fidéliser, c'est-à-dire lui donner les moyens de sa tâche en termes d'effectifs, d'accompagnement, de temps. Créer les conditions d'une reconversion de certains membres de l'encadrement intermédiaire vers des fonctions multiples, juxtaposées et stratégiques, suppose des dispositifs lourds et longs de transformation, et ce, alors même que les choix stratégiques s'inscrivent, au contraire, dans une logique de transformation rapide, voire de brusques changements de cap. Les cabinets de consultants spécialistes de l'innovation dans le management sont rares. Les coachs, pour leur part, sont plutôt dans une relation d'intimité, coupés des dispositifs collectifs dans lesquels les managers interagissent. Les conseils sporadiques viennent alors, éventuellement, de managers d'expérience, connaissant bien tel ou tel secteur, plutôt que de structures dédiées. Cette nouvelle question managériale est un enjeu majeur pour les entreprises qui ne peuvent se soustraire à la turbulence de leur environnement. Mais les échecs fréquents des actions d'accompagnement, trop souvent réduites à des formations classiques, montrent que la recherche de solutions pour réussir cette transformation de managers en stratèges n'en est encore qu'à ses débuts.

Moi, manager, S. Bellier, H. Laroche, Dunod, Paris, 2005.

Carrières nomades, L. Cadin, A.-F. Bender, V. de Saint Giniez, éditions Vuibert, Paris, 2003.

Christian Mahieu, sociologue, est chercheur au LEM-CNRS (Lille économie et management). Il a participé à la création et à l'animation d'interfaces nouvelles entre la recherche et les acteurs économiques et politiques locaux afin de favoriser les transferts de technologies aux entreprises, pour le CNRS et le ministère de la Recherche.

Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages, notamment l'Usine qui n'existait pas, avec Olivier Du Roy (éd. d'Organisation, 1998). Il a également participé à la rédaction d'un ouvrage collectif, La fabrique de la stratégie (éd. Vuibert, 2006).

Auteur

  • Pauline Rabilloux