logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les Pratiques

L'hôpital de Créteil traite la souffrance au travail

Les Pratiques | Expériences & Outils | publié le : 13.02.2007 | P. S.

Les pathologies liées à la souffrance au travail sont en augmentation. Tel est le constat à l'hôpital de Créteil, dans l'une des cinq consultations de pathologie professionnelle en Ile-de-France qui prend en charge ces types de troubles.

«Aujourd'hui, la décompensation psychique liée à de mauvaises conditions de travail est un mal connu », explique le Dr Pierre Guinel, médecin du travail, praticien à l'association des centres médicosociaux d'Ile-de-France (ACMS). En cause : la modification fréquente des organisations de travail, l'exigence de répondre dans l'urgence, les sollicitations multiples dans l'activité professionnelle, l'imprécision des missions et les mises à l'écart. Ces facteurs combinés favorisent une ambiance anxiogène au travail qui peut déclencher des réactions pathologiques chez des salariés.

Traitement spécifique

« Les DRH, insiste Pierre Guinel, sont appelés à prendre conscience de la souffrance ainsi générée. » Caroline de Clavière, praticienne attachée à la consultation de pathologie professionnelle du centre hospitalier intercommunal de Créteil (Val-de-Marne), détaille : « Cela peut atteindre n'importe qui. Ce n'est pas une question de fragilité. La décompensation est d'autant plus sévère qu'elle entre en résonance avec des éléments douloureux de l'histoire personnelle. »

Depuis cinq ans, la médecine du travail francilienne s'est organisée pour venir au secours des salariés malades. Lesquels sont dirigés vers des consultations hospitalières spécialisées. A Créteil, médecine et inspection du travail ont décidé qu'il fallait un traitement spécifique à la souffrance psychique. Deux consultations par semaine dédiées à cette pathologie ont été ouvertes. Elles ne désemplissent pas. De même que dans les autres consultations en Ile-de-France, dont le nombre a été multiplié au minimum, entre 2000 et 2005, par cinq, au maximum par dix, selon les centres.

Les femmes, premières concernées

« A Créteil, le délai pour obtenir un rendez-vous est de deux mois, précise Caroline de Clavière. En 2005, le suivi a représenté 487 prises en charge. » Après cinq ans d'expérience, l'hôpital de Créteil a dressé un bilan. Résultat : la santé, le milieu associatif, les services, le commerce, la fonction publique sont les secteurs les plus touchés. Tous les niveaux hiérarchiques sont concernés. « Cet après-midi, confie Caroline de Clavière, je vois quatre nouveaux patients. Parmi eux se trouvent le DRH d'une grande société et l'employé d'un pressing. » La population qui vient consulter est majoritairement féminine, âgée de plus de 45 ans, avec de l'ancienneté.

Incompréhension et isolement

A chaque fois, les histoires sont différentes, mais tous les patients tiennent le même discours : injustice, incompréhension, isolement. « Le plus souvent, explique Caroline de Clavière, le salarié dit : «On me fait sans cesse des reproches alors que, jusqu'à présent, on me disait que je travaillais bien». » Il est affecté par des troubles de l'humeur, du sommeil, de l'appétit, des troubles cognitifs et de l'anxiété ; 70 % des patients qui arrivent à Créteil sont en arrêt maladie, et ils peinent à reprendre le travail.

En moyenne, les patients de l'hôpital de Créteil ont été exposés pendant 35 mois à une ambiance anxiogène. Après un an de prise en charge, la moitié ont toujours besoin d'un suivi médical. Malgré tout, la décompensation psychique n'entre pas dans le tableau des maladies professionnelles. Les freins culturels résistent. « Souffrir psychiquement au travail, précise Caroline de Clavière, n'est pas encore admis. » Pourtant, cette souffrance représente un coût important. Dans l'entreprise, elle génère des baisses de productivité et de l'absentéisme.

« Pour que le patient guérisse, constate Caroline de Clavière, il faut qu'il cesse de se positionner en victime, que l'estime de soi soit restaurée. Pour y parvenir, les manifestations de solidarité de la part des collègues ou la communication avec les managers sont des appuis. » Car, souvent, la souffrance est due à un conflit sur l'échelle des valeurs. C'est pourquoi les DRH sont appelés en renfort.

Contraintes liées à la performance

Sur le terrain, Pierre Guinel rappelle à l'employeur qu'il est obligé de préserver la santé physique mais aussi psychique de ses salariés. « Les DRH sont, aujourd'hui, réceptifs, observe-t-il. Les solutions se trouvent dans la formation ou l'aménagement des horaires. » Mais, souvent, s'y opposent les contraintes liées à la performance. « La décompensation, poursuit Pierre Guinel, a un lien avec le fonctionnement de l'économie contemporaine, mouvant et compétitif. »

Si 40 % des patients suivis par l'hôpital de Créteil guérissent après une mutation de poste négociée, 60 % perdent leur travail, dont certains après avoir été déclarés inaptes à leur poste.

Auteur

  • P. S.