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Le modèle d'intégration français en question

L'actualité | L'événement | publié le : 15.11.2005 | Guillaume Le Nagard, céline lacourcelle

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Le modèle d'intégration français en question

Crédit photo Guillaume Le Nagard, céline lacourcelle

L'existence avérée d'une forte discrimination à l'embauche et l'échec de l'intégration économique des jeunes des quartiers sensibles, ou issus des minorités, sont considérés comme des éléments de la révolte des banlieues. Un constat d'échec pour quinze ans de politiques publiques ?

Après le couvre-feu, les mesures sociales : le 8 novembre à l'Assemblée, Dominique de Villepin a, en effet, décliné une nouvelle réponse sociale du gouvernement (lire l'encadré p.5) aux violences urbaines qui se sont multipliées dans les quartiers sensibles de la capitale puis de province, indiquant, notamment, que « la lutte contre toutes les discriminations doit devenir une priorité pour la communauté nationale ».

Le Premier ministre a donc pris acte de l'échec du modèle d'intégration économique français dans les quartiers et du caractère prégnant de la discrimination à l'entrée dans le monde du travail. Depuis les émeutes de Vaulx-en-Velin, en 1990, électrochoc qui avait conduit, quelques mois plus tard, à l'adoption de la loi d'orientation sur la ville, le pays a peu évolué dans ce domaine.

Taux de chômage à 20 %

Le taux de chômage des zones urbaines sensibles (ZUS) était de plus de 20 % en 2004, soit le double de la moyenne nationale, et atteignait jusqu'à 40 % chez les jeunes âgés de 15 à 25 ans. Au moins, l'existence de la discrimination à l'embauche ne fait-elle plus de doute. « Aujourd'hui, l'envoi de deux CV identiques portant un nom français et un nom d'origine étrangère ne donne pas les mêmes résultats », a souligné Dominique de Villepin.

Rappelant que les professionnels de terrain ressentaient un profond malaise dans les quartiers depuis le début des années 1980, et qu'il a fallu attendre jusqu'en 1998 pour qu'un Conseil des ministres reconnaisse officiellement l'existence de cette discrimination, Khalid Hamdani, membre du Haut conseil à l'intégration et consultant en ressources humaines, estime qu'on doit désormais « mettre la lutte contre la discrimination au coeur du fonctionnement de l'Etat de droit. Il ne faut plus laisser cette question au social, mais mettre en oeuvre un volet répressif : informer massivement et envoyer devant les juges les recruteurs suspectés de discrimination à l'embauche ».

Pouvoirs renforcés

Le renforcement, annoncé par le Premier ministre, des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde), qui pourra, désormais, décider ellemême de sanctions contre les employeurs fautifs, va aussi dans ce sens. L'aménagement de la charge de la preuve, en 2001, constituait déjà un pas vers une répression simplifiée de la discrimination. L'information et la formation auront un effet dissuasif pour certains, et des sanctions positives, sous forme, par exemple, de contrats d'objectifs - pour échapper au procès - , feraient partie des solutions selon Khalid Hamdani.

Valoriser la diversité

Dans les plus grandes entreprises, soucieuses de se présenter comme socialement responsables, le discours porte, désormais, sur la valorisation de la diversité. Ainsi, avant la fin de cette année, quelque 300 chartes de la diversité y seront sans doute signées. Ces entreprises s'engagent, notamment, à former leurs managers et à valoriser la diversité en leur sein.

Pour ces acteurs de l'économie, il ne s'agit plus de se satisfaire du projet républicain d'égalité des chances, sorte de promesse faite aux populations issues de l'immigration, présenté comme « la solution française », lequel a longtemps joué comme un facteur de non-reconnaissance des différences.

Dimension économique

« Alors que des moyens ont été consacrés à la politique de la ville par les différents gouvernements, la dimension économique en est souvent restée le parent pauvre, analyse, d'autre part, Henri de Reboul, délégué général d'IMS Entreprendre dans la cité, l'association de grands patrons créée par Claude Bébéar, qui travaille, notamment, sur le développement local et l'insertion. Les contrats aidés ou les zones franches, selon les gouvernements, étaient déconnectés du reste de l'économie, et la multiplicité des acteurs - ANPE, mission locale, Plie, maisons de l'emploi, entreprises d'insertion, etc. créaient de la complexité et de l'inertie ». Avec « un gouvernement plus disposé à écouter les entreprises et une mobilisation autour de la diversité », les enjeux lui paraissent mieux cernés.

Pour Karim Zeribi, président d'APC Recrutement, association de chasse de talents dans les quartiers, tout ne doit pas se jouer dans les cités : « Il ne faut pas chercher les solutions au pied des immeubles, mais favoriser la mobilité vers l'extérieur des quartiers, pour réduire la fracture territoriale et encourager la mixité sociale. Pour la même raison, la refonte de la carte scolaire, en s'inspirant, par exemple, du système de bus à l'américaine, serait souhaitable. De nouvelles zones franches avec allégements de charges ne sont pas la solution. Je pense en revanche qu'on peut être un peu directif en orientant les jeunes vers les métiers de pénurie et en valorisant ces métiers. »

De fait, à l'heure des pénuries de main-d'oeuvre annoncées et du déficit des régimes sociaux, le pays n'a guère d'autre choix que de refonder et de réussir sa politique de la ville et de l'intégration.

Les mesures sociales

Création d'une agence nationale de la cohésion sociale et de l'égalité des chances, et d'un corps de préfets délégués à l'égalité des chances.

Budgets spécifiques pour les associations (le gouvernement avait réduit leurs subventions depuis 2002).

Création de quinze zones franches supplémentaires, en complément des 85 existantes (exonérations de charges fiscales et sociales aux entreprises qui s'installent et recrutent en partie dans les quartiers concernés).

Engagement pris au nom de l'ANPE : les quelque 70 000 jeunes de moins de 25 ans issus des 750 zones urbaines sensibles (ZUS), inscrits ou non au chômage, se verront proposer dans les trois mois par les agences « une formation, un stage ou un contrat ».

20 000 contrats d'accompagnement pour l'emploi (CAE) et contrats d'avenir seront créés au bénéfice des communes, des associations et des bailleurs sociaux des quartiers.

Abaissement à 14 ans de l'âge d'entrée en apprentissage.

En corollaire de ces mesures pour l'emploi, un effort est prévu dans l'éducation (recrutements et bourses au mérite) et dans l'amélioration de l'habitat.

Les jeunes diplômés se plaignent de discriminations

70 % des jeunes diplômés du supérieur et appartenant à une minorité dite visible affirment être ou avoir été victimes de discriminations dans le monde du travail. C'est ce que révèle une enquête, réalisée en septembre et octobre derniers, par Sopi Communication, agence de marketing ethnique, auprès d'un échantillon de 844 personnes.

Pour y remédier, plusieurs mesures sont, selon elle, à envisager. Parmi celles-ci, l'anonymisation du CV, qui reçoit un accueil positif de 65 % de l'échantillon. Pour autant, 81 % des sondés se disent prêts à déclarer leur origine (et plus précisément le pays d'origine de leurs parents) lors de la procédure d'embauche, et ce, de manière non anonyme pour 60 % d'entre eux.

Autres mesures plébiscitées : la création d'un label diversité délivré aux employeurs par les agences de notation sociale (70 %) ; la mise en place de sanctions contre les entreprises n'appliquant pas la diversité (74 %) et l'organisation d'un système de parrainage par des cadres confirmés pour les jeunes issus des minorités visibles (81 %).

Plus mitigés sont les avis concernant la mise en place de quotas ethno-raciaux, qui n'obtiennent que 43 % d'avis favorables, ou d'éventuels avantages fiscaux réservés aux entreprises appliquant la diversité (53 %).

Auteur

  • Guillaume Le Nagard, céline lacourcelle