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Des conseillers toujours plus sollicites

Dossier | publié le : 15.11.2005 | Céline Lacourcelle

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Les principaux cabinets experts auprès des CE

Crédit photo Céline Lacourcelle

Les cabinets d'expertise pour les comités d'entreprise, poussés par les évolutions législatives, ont pris du galon au cours des dernières décennies. De «simples» experts-comptables, ils sont devenus experts en organisation, livrant aux élus des CE de nouvelles clés de lecture pour décrypter les stratégies d'entreprise et autant de repères les aidant dans leurs négociations avec les directions.

Cette année, les comités d'entreprise (CE) ont soufflé leurs 60 bougies. A leurs côtés : les experts-comptables, qui les assistent depuis autant de temps. C'est, en effet, l'ordonnance du 22 février 1945, puis la loi du 16 mai 1946 qui ont scellé leur union en prévoyant, dans le cadre de l'information-consultation des CE, la possibilité d'avoir recours à ces professionnels pour les aider à analyser les comptes annuels de la société.

Plus tard, en 1982, avec les lois Auroux, les CE se voient autorisés à s'entourer d'experts-comptables en cas, entre autres, de licenciement collectif. Depuis, cette profession, présente sur tous les fronts, s'est taillé une place de premier choix, ce qui fait dire à certains que le métier a muté, passant de la simple expertise comptable à l'expertise en organisation. Et pour cause ! « Le périmètre des entreprises est de plus en plus flou. Si, dans les années 1980 puis 1990, les prises de décisions stratégiques de l'entreprise se faisaient au niveau national, elles se font désormais ailleurs », souligne Didier Castellote, associé du cabinet d'expertise Ethix. « Le monde de l'entreprise se complexifie. Il y a les délocalisations, les regroupements d'entreprises, la mondialisation... », renchérit Jean-Luc Scemama, dirigeant du cabinet Legrand Fiduciaire.

Nouvelles clés de lecture

Du coup, les élus ont besoin de nouvelles clés de lecture pour décrypter les stratégies d'entreprise et de davantage de repères pour intervenir dans la négociation. Car, eux aussi ont changé. Ils sont aguerris aux questions économiques et au droit du travail. « La demande s'est professionnalisée, confirme Hélène Robert, directrice de Syndex, cabinet qui a triplé le nombre de ses missions au cours des années 1980 et qui affiche une croissance moyenne en volume de l'ordre de 10 % sur ces dix dernières années. Ainsi, il n'est plus rare, aujourd'hui, de voir les élus entrer dans le jeu des alliances pour lancer un appel d'offres en direction de cabinets spécialisés. Le tout bordé à l'aide d'un cahier des charges très détaillé. »

Appels d'offres

C'est le cas à l'Unsa, par exemple. « Aucun mot d'ordre n'a cours quant à la désignation des cabinets d'expertise. Nous procédons, le plus souvent, par appels d'offres lancés, en moyenne, auprès de trois cabinets. Nous leur soumettons les questions précises que nous souhaitons poser à la direction, afin de baliser leur travail, explique Vanessa Jereb, secrétaire nationale de l'Unsa et élue SFR. C'est une méthode de travail pour une relation saine et responsable. »

Analyse prospective

Autre changement : l'anticipation. « Les CE d'entreprises de bonne taille veulent anticiper les problèmes. Leur demande se fait plus souvent par appréhension des problèmes à venir et des réorganisations probables. Ils veulent donc, de plus en plus, une analyse prospective de l'entreprise », note Claude Jacquin, dirigeant du cabinet A Prime.

La démarche d'anticipation a été effective chez Thomson Vidéoglass (Seine-et-Marne), tant du côté direction, qui a cherché une solution alternative au projet de restructuration devant coûter 450 emplois, que du côté des organisations syndicales ayant mandaté un expert du Groupe Alpha. Sa première mission a été d'alerter très tôt du déclin, à très brève échéance, de l'activité de fabrication de tubes cathodiques. « Ensuite, les élus ont voulu vérifier que la promesse faite par la direction de rechercher un repreneur était sérieuse. Nous les avons rassurés : l'entreprise réalisait un véritable travail en amont, avec comme logique directrice d'élargir l'investigation au domaine du verre, de ne pas se limiter à celui du tube cathodique », explique-t-on chez Alpha.

Solidité du projet

Une fois l'offre du repreneur connue (le verrier espagnol Rioglass), le Groupe Alpha a analysé la solidité du projet de reprise. Au programme : examen du business plan, visites d'usines du repreneur par des ingénieurs du cabinet... Enfin, dans le cadre de la phase de concertation de l'accord de méthode, signé le 15 septembre 2005, « nous avons aidé les élus à négocier les conditions de basculement, notamment en termes d'organisation du travail, entre l'ancienne et la nouvelle structure ».

Tout s'est réalisé en amont, ce qui fait dire, aujourd'hui, aux observateurs que la gestion de l'opération a été exemplaire.

Ainsi, les comptes s'appréhendent, désormais, de manière prévisionnelle. Et le spectre des thématiques s'élargit. Au-delà des emplois et de leur pérennité, les élus interpellent leur direction et, par conséquent, leurs experts, sur la GPEC, les conditions de travail, l'éthique, la sous-traitance...

Un métier en mutation

Conclusion : le métier de l'expert a changé. « Nos missions sont de moins en moins comptables au sens étroit du terme, mais plus économiques et plus stratégiques. Les élus nous interrogent : où en sommes-nous ? Où allons-nous ? », illustre Jean-Luc Scemama. « L'entreprise, aujourd'hui, doit s'adapter à son environnement. Les élus le comprennent et ont donc, plus que jamais, besoin de prospectif. Nous nous équipons de modèles et d'indicateurs à l'échelle des secteurs d'activité et des territoires pour élaborer nos projections. Celles-ci permettent au CE, ensuite, d'engager des débats contradictoires avec la direction », ajoute Hélène Robert.

Conduite du changement

D'ailleurs, cette approche dépassant la simple prestation comptable est une ligne de conduite adoptée par la grande majorité des organisations syndicales. « Nous faisons largement passer le message, dans nos structures syndicales, que l'expert intervient dans le cadre de l'analyse des comptes, certes, mais aussi lors d'un quelconque changement », explique Bernard Valette, secrétaire national de la CFE-CGC. « La restructuration n'est plus considérée comme une catastrophe dès lors qu'elle est appréhendée en amont. Notre mission, aujourd'hui, est d'amener les élus dans la négociation et de les accompagner dans cette anticipation et dans cette conduite du changement, énonce Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha, qui est entré, en octobre 2002, dans le capital de Sodie, société spécialisée en réindustrialisation et reclassements. En clair, nous ne nous contentons plus de faire de beaux rapports, nous essayons d'être plus pragmatiques, avec comme exigence l'opérationnalité de nos préconisations. »

Les experts sont devenus des conseillers multicompétences. Il n'est donc pas rare de voir, dans les équipes des principaux cabinets du marché, d'anciens DRH, des ingénieurs en organisation, des consultants en stratégie ou encore des sociologues ou des experts en prévoyance.

Mélange des genres

Pour autant, cette évolution des pratiques des cabinets n'est pas du goût de tous. Les cabinets-conseils en ressources humaines y voient, en effet, un mélange des genres. Ainsi, « s'il est positif que les élus se fassent assister lors du livre IV, leur intervention lors du livre III prête à discussions, d'autant plus qu'ils n'assurent pas, en général, le suivi de leurs prescriptions », commente l'un d'entre eux.

« L'expertise au CE est devenue un véritable business où interviennent des cabinets spécialisés qui ne font plus du tout une approche pédagogique des comptes, mais une intervention de type consulting. Tout y passe : les scénarios alternatifs à une restructuration, l'étude de revitalisation du site, l'assistance d'un expert juridique pour la validation du PSE, quand ce n'est pas l'animation de l'antenne emploi, déplore Sylvain Niel, avocat en droit social et directeur du département GRH du cabinet Fidal. Clairement, l'expert d'aujourd'hui fait miroiter aux élus l'espoir d'une cogestion de la restructuration. »

Coût des prestations

Autre sujet de critiques : le coût inflationniste de leurs prestations. Il n'est pas rare de voir des additions atteindre plusieurs centaines de milliers d'euros. Si les directions ne peuvent contester le principe même de la mission, elles peuvent choisir de ne payer, et c'est souvent ce qui se passe, qu'une partie de la prestation. D'où les contentieux de ces dernières années liés au recouvrement des honoraires.

Cette question des tarifs explique, aussi, en partie, l'absence d'expert dans les PME. Ainsi, « seulement un quart des CE, sur un total de 30 000, y ont recours », précise Christian Dufour, sociologue et chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires). « Les directions des PME sont très souvent réticentes à ouvrir leurs cahiers de comptes, explique Claude Jacquin. Certaines n'hésitent pas à intimider les élus : «le coût sera à la charge du CE», «vous ne me faites pas confiance», etc. » C'est ce qui s'est passé à Ruwel Bayonne, société spécialisée en circuits imprimés, selon Stéphane Destugues, ex-salarié et membre CFDT métallurgie du Pays basque : « Nous avions mandaté Syndex, en 1999, pour une expertise étendue relative à l'évolution de l'activité de l'entreprise et à l'intégration de notre usine au sein du groupe Ruwel. Le cabinet a prescrit 24 jours d'audit, à 762 euros HT/jour. S'en est suivie une pression telle de la part de la direction que le CE est revenu sur son choix et a opté pour le cabinet proposé par la direction. La mission était moins longue, elle durait 14 jours. Logique, le cabinet s'est contenté d'étudier le simple périmètre de l'usine de Bayonne, sans élargissement au groupe. »

Selon Jean-Luc Scemama, « dans ces entreprises, l'expert est regardé avec méfiance. Son intervention est considérée comme une provocation ». Pierre Ferracci avance une autre explication : « Nous sommes dans une logique de grands comptes et habitués à vendre des prestations haut de gamme. Jusqu'à présent, les cabinets n'ont pas su approcher les petits CE. » Pour y remédier, le Groupe Alpha réfléchit, ainsi, à la création d'une structure dédiée à ce public.

Confidentialité

Enfin, selon Sylvain Niel, la venue d'un expert pose aussi le problème de la confidentialité : « En France, cette obligation est inscrite dans les textes, mais force est de constater que certains rapports rédigés par les experts se retrouvent entre les mains de la presse ou de salariés non-représentants du personnel. » La solution ? « Renforcer notre législation, notamment en la mettant en conformité avec la directive européenne du 11 mars 2002. » Un enjeu de taille, surtout à l'heure où, selon Christian Dufour, « le niveau de qualité des informations transmises au CE par la direction n'a jamais été aussi remarquable ».

Source : Entreprise & Carrières

L'essentiel

1 Le monde de l'entreprise se complexifie. Pour y voir plus clair, les élus réclament davantage aux experts. Au-delà d'une analyse des comptes, ils attendent d'eux un décryptage économique, stratégique et prospectif.

2 Seulement un quart des comités d'entreprise et d'établissement y ont recours. Si l'intervention des experts est banalisée dans les grandes entreprises, elle est plus rare dans les PME.

3 De nombreuses critiques à l'égard des cabinets d'expertise se font jour. Ils sont jugés trop chers et trop interventionnistes.

Auteur

  • Céline Lacourcelle