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Le prive fera-t-il mieux que l'anpe ?

Enquête | publié le : 24.05.2005 | Anne Bariet

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Le prive fera-t-il mieux que l'anpe ?

Crédit photo Anne Bariet

Retour à l'emploi des publics difficiles pris en charge par des sociétés privées, placements en CDI ou CDD par les agences d'intérim... Comment les nouveaux acteurs de l'emploi expérimentent-ils, sur le terrain, la fin du monopole de l'ANPE ? Premiers résultats d'étape, avant la négociation de la nouvelle convention de l'assurance chômage qui débutera en septembre.

Agences d'intérim ou agences de l'emploi ? Facilitateurs de précarité ou partenaires officiels aux côtés des services publics ? Demandeurs d'emploi ou plutôt chercheurs d'emploi ? Mine de rien, la loi de cohésion sociale a chamboulé quelques repères.

Avec la fin du monopole de l'ANPE, les sociétés privées (agences d'intérim, sociétés de réinsertion, cabinets de recrutement) font leur entrée sur le marché du placement des chômeurs. Après le hollandais Maatwerck, l'Unedic vient de signer quatre autres contrats avec des «concurrents» de l'Agence : l'Apec, Adecco, BPI, Altedia et l'australien Ingeus, le dernier arrivé. L'objectif est de reclasser près de 10 000 demandeurs d'emploi choisis parmi des chômeurs vulnérables : plus de 50 ans, chômeurs longue durée, peu qualifiés, RMIstes...

Pas de recette miracle

Le privé peut-il faire mieux que l'ANPE ? « Il n'y a pas de recette miracle, indique Stéphane Niger, directeur de Maatwerck France, pionnier dans la démarche. Nous ne sommes pas là pour concurrencer le service public de l'emploi. Pour un maximum d'efficacité, il faut travailler ensemble. Mais l'idée est de fournir un accompagnement individuel et personnalisé à chaque candidat en s'inspirant des méthodes de l'outplacement. Avec à la clé, une obligation de résultat. »

Pour réussir, il faut quand même mettre un peu plus d'argent : la prestation est facturée entre 3 000 et 5 000 euros (et même 6 000 euros pour une personne de plus de 50 ans). Un accompagnement «classique» à l'ANPE ne «vaut» que 500 euros. Autant dire qu'il est peu probable que la méthode soit généralisée aux 3,5 millions de demandeurs d'emploi. Mais, d'après les calculs de l'Unedic, ces opérations peuvent être rentables. A condition, toutefois, de réduire la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi de cinq mois.

Bilan en septembre

Pour l'heure, peu de résultats concrets. Trois mois après son lancement, le 17 février dernier, Ingeus a reclassé 147 personnes sur 656 demandeurs d'emploi suivis à Lille et à Rouen. Le vrai bilan des opérations sera dressé en septembre, lors de la renégociation, par les partenaires sociaux, de la convention de l'assurance chômage. La priorité sera probablement donnée au renforcement des dépenses actives (actuellement 4 % du budget), en boostant les actions de recherche d'emploi, en particulier pour les personnes présentant un risque de chômage durable.

D'ores et déjà, les syndicats, CGT et SUD en tête, dénoncent une « sélection des chômeurs » et le risque de placements forcés. Pour éviter toute dérive, Mourad Rabhi, à la CGT, préconise de clarifier les règles du jeu : « Il faut créer un observatoire pour suivre ces pratiques. On a actuellement de fortes craintes, ces cabinets privés ont été introduits sur le marché sans aucune règle. Avec pour seul objectif de se faire de l'argent. Il est urgent de définir leur rôle à travers une charte, de labelliser ces sociétés et de clarifier les critères d'une «offre d'emploi convenable». Actuellement, ce terme englobe tout et n'importe quoi. »

Rôle limité

Mais l'Unedic est bien déterminée à explorer ces nouvelles voies. D'après l'organisation paritaire, les sociétés privées ne joueront qu'un rôle limité face aux agences pour l'emploi, à l'origine de 2,7 millions de placements en 2004. D'ailleurs, l'ANPE recourt déjà à 4 000 sous-traitants pour accompagner les demandeurs d'emploi (accompagnements, ateliers, évaluations).

Les sociétés d'intérim en embuscade

L'autre grande nouveauté de la loi Borloo concerne les sociétés d'intérim. Jadis mal aimées - elles avaient failli être interdites avec le programme commun de la gauche au début des années 1970, puis nationalisées en 1982, à l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir -, les entreprises de travail temporaire sont, aujourd'hui, sur le qui-vive. Elles vont désormais pouvoir concurrencer l'ANPE pour le placement des salariés en CDD ou en CDI. Un nouveau positionnement qui les prédispose à devenir des acteurs globaux sur le marché de l'emploi et des ressources humaines. D'où l'espoir de devenir «agences de l'emploi» et non plus uniquement «agences d'intérim». Page Interim vient, d'ailleurs, de se rebaptiser Page Personnel, RHI Intérim réfléchit à un nouveau nom. Adecco, VediorBis et Manpower ont, quant à eux, gommé, depuis longtemps, le mot «intérim» de leur logo.

Sérieux coup de pouce

« C'est un sérieux coup de pouce que nous donne le gouvernement, confie Jean Merafina, président de Triangle, une société d'intérim. Nous allons lancer notre offre en juin, mais, déjà, beaucoup de clients sont intéressés, notamment pour les fonctions administratives ou de middle management. Nous comptons effectuer 400 à 500 recrutements par an, ce qui représente 5 % à 10 % de notre chiffre d'affaires. »

Comme Triangle, les sociétés d'intérim - mastodontes et plus petites - affûtent leur stratégie avec des arguments imparables. Leurs points forts ? Pierre Fonlupt, vice-président du Sett, la fédération professionnelle du secteur, les énumère sans ambages : « 6 000 agences au niveau national ; plus de 20 000 permanents ; un maillage territorial très serré ; des agences spécialisées (hôtellerie, bâtiment, informatique, professions médicales) ; et des CVthèques à faire pâlir plus d'un cabinet de recrutement. »

Force de frappe

On compte déjà plus d'un million de candidats chez VediorBis, 314 000 chez Manpower et près de 100 000 chez Randstad. En somme, une «force de frappe» importante pour percer ce nouveau marché. « Ce qui fait événement en France est déjà une pratique courante dans la majorité des pays européens », poursuit-il. Cette activité de placement ne représentet-elle pas 10 % des activités de l'intérim en GrandeBretagne ?

Inquiétude des cabinets de recrutement

Un objectif que souhaitent atteindre rapidement les sociétés françaises. « Les clients expriment déjà un vif intérêt, note Pierre Fonlupt. Le marché des cadres réagit bien, celui des non-cadres n'est pas encore totalement ciblé, mais il devrait monter en puissance très rapidement. » Plusieurs sociétés, à l'instar de Manpower, Randstad ou Adecco, sont déjà passées à l'acte.

Les ETT ne sont, d'ailleurs, pas complètement novices en matière de recrutement permanent. Entre 20 % et 30 % des missions de travail temporaire se prolongent déjà par la conclusion d'un contrat à durée déterminé ou indéterminée. Des pratiques qui commencent à inquiéter sérieusement les cabinets de recrutement. Ces derniers voient d'un mauvais oeil l'arrivée de ces concurrents, notamment en province, qui se positionnent davantage sur le marché des PME-PMI.

Les ETT vont-elles pratiquer des prestations au rabais, sortes de procédures low cost pour concurrencer les professionnels déjà en place ? Elles s'en défendent. Mais une chose est sûre, les méthodes vont évoluer : prestations à la carte en fonction des besoins des clients, obligations de résultat, délais de recrutement très courts... De quoi donner des sueurs froides aux recruteurs en place !

L'essentiel

1 Progressivement, les acteurs de l'emploi expérimentent la loi Borloo. Le privé s'immisce dans le marché du placement des demandeurs d'emploi.

2 Après le hollandais Maatwerck, l'Unedic vient de signer quatre autres contrats avec des «concurrents» de l'ANPE : l'Apec, Adecco, BPI, Altedia et Ingeus.

3 Les sociétés d'intérim, de leur côté, affinent désormais leur stratégie, avec, à la clé, «une force de frappe impressionnante» : 6 000 agences, plus d'un million de candidats, un maillage territorial très serré et un savoir-faire RH...

Auteur

  • Anne Bariet