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Comment réintégrer les ex-ACF et les ex-Wolber ?

Les Pratiques | Point fort | publié le : 01.02.2005 | Sandrine Franchet, Christian Robischon

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Comment réintégrer les ex-ACF et les ex-Wolber ?

Crédit photo Sandrine Franchet, Christian Robischon

Les deux sociétés se sont vu ordonner, début novembre, de réintégrer des salariés licenciés depuis plusieurs années, alors même que leurs établissements d'origine n'existaient plus. Des décisions dont l'application relève du casse-tête pour leurs DRH respectifs.

Le 9 novembre dernier, la cour d'appel de Versailles, statuant en référé, a condamné la direction d'Alcatel Câble France (filiale à 100 % du groupe Draka Comteq, dont Alcatel détient 49,9 %) à réintégrer 171 salariés pour nullité de leur licenciement pour motif personnel - en réalité des licenciements pour motif économique, a estimé la cour (voir Entreprise & Carrières n° 738 du 16 novembre 2004). Le problème : l'établissement de Conflans-Sainte-Honorine (78), dont vient la majorité des salariés concernés, est actuellement en cours de destruction. A partir de la date de la notification du jugement (le 7 décembre dernier), ACF avait un mois pour appliquer la sentence, sous astreinte de 200 euros par salarié et par jour de retard.

« Dès que nous avons été notifiés, nous avons décidé de mettre en oeuvre le jugement immédiatement, souligne Philippe Vanhille, DRH d'ACF. Afin de mettre à jour les dossiers des salariés concernés, nous les avons tous invités à nous rencontrer entre le 15 et le 21 décembre, d'abord au cours d'une réunion collective, puis d'un entretien individuel. Nous les avons également informés de notre décision de tous les payer à partir du 1er décembre, qu'ils aient ou non un emploi. » Pour calculer le salaire à verser, la DRH a repris la dernière paie connue, à laquelle elle a ajouté les augmentations générales attribuées depuis le départ de l'entreprise. Le salaire a été versé directement sur le compte ou envoyé par chèque.

L'objectif de la convocation du mois de décembre était de réunir des informations administratives (adresse, coordonnées bancaires...), sur la situation familiale et professionnelle (formation, diplômes, situation vis-à-vis de l'emploi...) des 171 salariés. Seuls 32 d'entre eux se sont présentés et ont rempli un dossier individuel. « Nous avons envoyé aux autres un courrier avec le dossier à remplir et à renvoyer dès que possible, relate le DRH ; 39 dossiers sont revenus remplis. Nous connaissons donc la situation administrative et familiale de 71 des salariés, mais pas leur situation professionnelle, point sur lequel on leur a conseillé de ne pas répondre. Mais comment procéder à la réintégration si l'on ne sait pas si les personnes travaillent ou non ? » « Nous avons demandé aux salariés concernés de ne pas répondre à cette enquête sur leur vie privée, rétorque Alain Hinot, responsable de la CGT à Chatou et défenseur des salariés. Elle se justifiait d'autant moins qu'aucun poste n'est disponible. »

Réintégration « physique »

Pour la DRH d'ACF, la réintégration ordonnée par la cour d'appel de Versailles relève pour l'instant de la réintégration aux effectifs. « En ce qui concerne une réintégration «physique», il faut que cela soit faisable, souligne Philippe Vanhille. Or 146 des 171 salariés à réintégrer appartenaient au site de Conflans-Sainte-Honorine, qui est en train d'être rasé. Les autres sont issus de nos sites industriels, dans le Pas-de-Calais, où nous conduisons actuellement un PSE. » Par ailleurs, note le DRH, « aucun salarié n'a, à ce jour, exprimé le souhait d'être effectivement réintégré à poste ». Quant à Alain Hinot, il estime que même la simple réintégration administrative n'est pas réelle, dans la mesure où la direction a refusé de verser aux salariés réintégrés leur 13e mois.

La direction, qui vient de verser la paie de janvier et s'apprête à payer les suivantes, attend désormais le jugement de la cour d'appel sur le fond de l'affaire, qui pourrait cependant prendre quelques mois. Elle ne se prononce pas sur la mise en place d'un éventuel plan de sauvegarde de l'emploi pour les 171 réintégrés, réclamé par Alain Hinot.

Le conflit Wolber

L'autre jugement retentissant qui, voilà près de trois mois, ordonnait la réintégration des salariés de Wolber à Soissons n'a, en revanche, pas connu un début d'exécution. Alors même que l'ancien employeur, qui a fait appel, n'a pas demandé l'effet suspensif. En effet, le conflit juridique s'est déplacé vers la question clé suivante : est-ce à Wolber ou à Michelin, sa maison mère, d'appliquer la décision ? Le groupe retient la première solution. Ce qui amène le liquidateur amiable de Wolber à signifier que le jugement est inapplicable, pour la simple et bonne raison qu'il n'a pas en caisse l'argent qu'il faudrait verser aux 115 salariés concernés.

Le cabinet Brun, qui défend le personnel, cherche, lui, à faire remonter la responsabilité de la réintégration à Michelin. Il a, à cette fin, assigné Edouard Michelin et deux filiales du groupe devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand. Celui-ci siégera le 9 février prochain. L'objectif de Me Brun : démontrer le lien organique entre Wolber et Michelin et, ainsi, faire payer le manufacturier et étendre l'obligation de réintégration à l'échelle de toutes les usines françaises du groupe, comme le prévoit le jugement des prud'hommes du 5 novembre. Ses arguments sont nombreux : le groupe contrôle Wolber par filiales interposées, l'entreprise de Soissons était « totalement dépendante » de Michelin pour ses niveaux de production, et sa fermeture faisait partie du plan de restructuration du groupe en 1999. Mais il ne dispose plus de l'atout principal qu'aurait représenté la reconnaissance d'une unité économique et sociale entre les deux entreprises : la Cour de cassation l'a définitivement écartée alors qu'elle avait d'abord été retenue dans l'un des nombreux jugements de première instance qui jalonnent ce feuilleton.

Négociation individuelle

L'accord qui, selon les prud'hommes, devait être signé le 31 décembre 2004 pour organiser la réintégration ne l'a pas davantage été. Une nouvelle divergence apparaît sur la manière de négocier. Accord collectif - c'est-à-dire, de fait, avec la CGT - disent le jugement et Me Brun. L'ancien employeur, lui, « préfère » la discussion individuelle : son liquidateur a envoyé un courrier à chacun des 115 salariés pour sonder leur désir de retravailler, de se reclasser dans le groupe, leur mobilité géographique, etc. « Nous avions déjà proposé des reclassements en 1999 [au moment de la fermeture du site, NDLR] et 40 personnes les avaient acceptés », rappelle Michelin. « Le reclassement n'est pas la même chose que la réintégration », répond le cabinet Brun. Celui-ci n'a pas encore demandé la mise en oeuvre de l'astreinte de 100 euros par jour à compter du 2 janvier 2005. Car on en revient à la première question : qui devrait payer ?

L'essentiel

1 Début novembre, Wolber et ACF se sont vu condamner à réintégrer des salariés dont le licenciement a été annulé. Or Wolber est en liquidation, tandis que le principal site d'ACF est actuellement démantelé.

2 ACF a commencé à rémunérer les 171 salariés concernés. Wolber, en revanche, n'a pas les moyens d'assurer une telle réintégration, si bien que le conflit s'est déplacé sur la question de la responsabilité du groupe Michelin.

Rappel des faits

Alcatel Câble France a été condamné, le 9 novembre 2004, par la cour d'appel de Versailles à réintégrer 171 salariés (sur 182) qui contestaient leur licenciement. Ils avaient négocié, entre fin 2001 et début 2003, leur licenciement pour motif personnel, juste avant que l'entreprise ne mette en place un plan de sauvegarde de l'emploi largement plus généreux. L'usine de Conflans-Sainte-Honorine (78), dont est issue la majorité des salariés, est en cours de destruction et celle de Douvrin (62) fait actuellement l'objet d'un PSE.

Le conseil de prud'hommes de Soissons a ordonné, le 5 novembre 2004, la réintégration de 115 salariés (sur 451) licenciés par l'entreprise Wolber, filiale du groupe Michelin, placée en liquidation amiable en 2000. La nullité du plan social a été reconnue par la cour d'appel d'Amiens à l'automne 2003.

La loi de cohésion sociale limite les réintégrations

S'appliquant aux procédures engagées à partir du 20 janvier 2005, la loi de programmation pour la cohésion sociale réduit quasiment à néant, dans son volet relatif aux licenciements économiques, la jurisprudence Samaritaine. Ainsi, dans son article 77, le texte précise : « Lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet [...] il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié. »

Auteur

  • Sandrine Franchet, Christian Robischon