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Les salariés aspirent au temps choisi plus qu'au temps réduit

SANS | publié le : 23.03.2004 |

Plus encore qu'une réduction du temps de travail, les salariés demandent une meilleure articulation entre le temps professionnel et le temps personnel. La difficulté à concilier les deux amène, en effet, un salarié sur trois à déclarer renoncer à avoir un enfant.

E & C : Dans une récente enquête sur les "temps sociaux", à laquelle vous avez contribué*, vous avez mis l'accent sur les renoncements des salariés, liés à la difficulté de concilier temps de travail et temps personnel. Quels sont ces renoncements et quelles sont leurs spécificités ?

Gilbert Cette : Les renoncements sont très sexués. Les femmes sont plus amenées à renoncer à des activités personnelles ou ludiques et les hommes aux activités domestiques contraignantes. Par exemple, à la proposition "Vous arrive-t-il, par manque de temps, de renoncer à vous occuper des enfants à la maison ?",16,4 % des hommes répondent "oui" contre 12 % des femmes. En revanche, les femmes sont 21 % à déclarer renoncer à passer du temps libre avec leurs enfants, contre 17,3 % des hommes. On retrouve dans ces renoncements toute la division sexuée du travail domestique. Mais le renoncement le plus important est celui de ne pas avoir d'enfants. C'est la première fois qu'une enquête le montre. Un tiers des salariés (28,4 % d'hommes, 38 % de femmes) déclarent que la difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle, dont la vie familiale, peut aboutir à renoncer à avoir un enfant ou un enfant de plus. Certes, c'est du déclaratif. Cela ne veut pas dire que si leur vie était plus harmonieuse, tous ces gens-là auraient plus d'enfants. Mais c'est le sentiment qu'ils ont, et, parmi eux, il y a sans doute une proportion non négligeable pour lesquels cela joue réellement dans le dimensionnement familial. Ce résultat m'a beaucoup étonné : je pensais qu'on arriverait à 10 % des salariés. Or, c'est 1 salarié sur 3 qui le dit, et cette affirmation est terriblement engageante, beaucoup plus que celles concernant les renoncements à des activités. Dans ce contexte-là, cela doit susciter l'intérêt des pouvoirs publics.

E & C : Est-ce que les pouvoirs publics en prennent la mesure ?

G. C. : Sans doute pas assez. Certains axes de la politique familiale sont mal pensés et organisés de façon contradictoire avec d'autres axes de politique économique. Par exemple, nous avons, en France, d'un côté, la prime pour l'emploi, qui incite les non-qualifiés à trouver un intérêt financier à aller sur le marché du travail, et, simultanément, l'allocation parentale d'éducation (APE), qui incite les parents de jeunes enfants, de fait les femmes, très majoritairement (98 %), à sortir du marché du travail ; 450 000 femmes en bénéficient et il a été montré de façon irréfutable que, par le passage, en 1994, de l'APE de rang 3 (il fallait trois enfants pour en bénéficier, dont un de moins de 3 ans) à l'APE de rang 2 (deux enfants, dont un de moins de 3 ans), avait sorti du marché du travail plus de 100 000 femmes. Voilà deux politiques qui coûtent 3 milliards d'euros chacune, c'est-à-dire 0,2 % du PIB, donc une dépense publique considérable, et qui sont contradictoires.

Les politiques familiales devraient inciter les femmes non pas à sortir du marché du travail, avec toutes les difficultés de retour à l'emploi, mais, au contraire, leur donner les moyens de concilier les activités professionnelle et familiale. Il faut aussi rappeler que le retour à la maison des femmes ne garantit pas une plus grande natalité. C'est même le contraire : en Europe, les pays dans lesquels le taux de fécondité est désespérément bas, à peine au-dessus de 1, sont ceux dans lesquels les femmes travaillent le moins : l'Espagne, l'Italie, la Grèce. En France, où les femmes travaillent plus, le taux de fécondité est de 1,9.

E & C : Que préconisez-vous ?

G. C. : Beaucoup d'enquêtes montrent que les salariés, bien que majoritairement satisfaits des 35 heures, n'aspirent pas à une nouvelle réduction du temps de travail. Ce qui les intéresse, ce n'est pas 32 heures ou 28 heures, mais une meilleure articulation entre leurs différents temps de vie. Le problème est moins quantitatif que qualitatif : à quoi sert de travailler 32 heures par semaine si ce n'est pas compatible avec l'heure de fermeture de la crèche ? Développer les structures de garde d'enfants, avec une approche quantitative et qualitative - non seulement augmenter les places, mais proposer des horaires plus souples -, serait une des façons d'employer différemment ces 3 milliards d'euros consacrés à l'APE.

Et, à l'instar de la loi sur l'adaptation des horaires de travail qui existe depuis 2000 aux Pays-Bas, je préconise, avec d'autres, d'aller vers du temps choisi, c'est-à-dire permettre aux salariés de pouvoir davantage exprimer leurs attentes en termes de temps de travail. Il s'agit, simplement, de développer des codes de procédure : comment le salarié qui aspire à certains changements d'horaires (quantitatifs ou qualitatifs) doit exprimer cette demande, comment le chef d'entreprise doit lui répondre, et la façon de résoudre le conflit en cas de désaccord

Violette Queuniet

* Enquête Ipsos pour le compte de Chronopost, élaborée et analysée avec la collaboration d'un comité composé d'économistes et de sociologues : G. Cette, L. Gwiarzdzinski, D. Meda, P. Vendramin. Voir http://www.chronopost.fr

SES LECTURES

Droit social, technique d'organisation de l'entreprise, Jacques Barthélémy, éditions Liaisons, 2003.

- L'économie mondiale, Angus Maddison, éditions OCDE, 2002.

- A la recherche du temps perdu, Marcel Proust, Gallimard.

PARCOURS

Gilbert Cette est professeur d'économie associé à l'université de la Méditerranée.

Il est l'auteur, avec Dominique Taddei, de Réduire la durée du travail (Le Livre de poche, 1998), d'un rapport sur le temps partiel pour le Conseil d'analyse économique et, avec Jacques Barthélémy, d'articles sur le temps choisi, dont Le développement du temps vraiment choisi, revue Droit social, n° 2, février 2002.

Il finalise, actuellement, avec Patrick Artus, directeur des études économiques de CDC Ixis, un rapport sur le thème "productivité-croissance" pour le Conseil d'analyse économique.

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