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Évaluation de la performance : La fin annoncée de l’entretien annuel

L’enquête | publié le : 05.01.2016 | Nicolas Lagrange

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Évaluation de la performance : La fin annoncée de l’entretien annuel

Crédit photo Nicolas Lagrange

Un nombre croissant de grandes entreprises remplacent l’entretien annuel de performance par des rendez-vous plus fréquents, sans notation. Un bouleversement culturel qui peut être pertinent, mais qui nécessite une réflexion sur l’organisation du travail et un solide accompagnement des managers et des salariés.

Le mouvement est minoritaire, mais il prend de l’ampleur : près de 10 % des grandes entreprises américaines ont mis fin à l’entretien annuel d’évaluation, selon le Washington Post. Parmi lesquelles Accenture, Gap, Cisco, Microsoft, Medtronic ou encore Deloitte. En Europe, seulement 36 % des entreprises jugent leurs processus de gestion de la performance efficaces, selon l’étude de Towers Watson publiée fin novembre 2015. Des processus pourtant considérés comme le principal levier pour aligner objectifs individuels et priorités stratégiques, souligne le cabinet. « C’est une révolution qui remet en cause trente à quarante ans de management, assure Philippe Burger, associé responsable capital humain chez Deloitte. Une révolution nécessaire tant sur la fréquence que sur le contenu de l’évaluation de la performance. D’abord parce que les modes de fonctionnement des grands groupes ont changé, avec des organisations moins pyramidales, des équipes internationales disséminées, un mode projet et une logique collaborative très répandus. Ensuite, parce que la création de valeur se complexifie, faisant intervenir de multiples acteurs dans un environnement plus volatil. Ce qui implique des ajustements réguliers. » Les attentes des salariés eux-mêmes poussent au changement : « Toutes les études insistent sur le besoin de reconnaissance et de feedback plus fréquents, insiste Marie Pussier, porte-parole de Towers Watson. Un besoin accentué chez les jeunes générations. »

Le groupe californien Adobe a montré la voie dès 2012 (lire p. 22) en multipliant les “conversations régulières” entre managers et collaborateurs tout au long de l’année et en abandonnant le classement forcé. Un classement historiquement revendiqué par Jack Welsh, l’ex-patron de General Electric, mais sur lequel GE a également tiré un trait.

2 millions d’heures

Dans un article très documenté publié en avril 2015 dans la Harvard Business Review, le patron du leadership development de Deloitte, Ashley Goodall, affirme que l’entretien annuel consommait près de 2 millions d’heures par an, focalisant l’attention sur les résultats plutôt que sur la contribution de chaque salarié. Il souligne aussi que la différence entre les surperformeurs et les sous-performeurs tient surtout à la possibilité, pour les premiers, d’exploiter leurs points forts tous les jours. Depuis juin 2015, Deloitte invite donc ses managers américains « à multiplier les points d’étape, les prises de température intermédiaires avec leurs collaborateurs, indique Philippe Burger. En s’interrogeant sur les initiatives prises par le salarié et sur les futures actions que le manager pourrait envisager à son égard. »

Promouvoir les compétences collaboratives

L’approche a convaincu Cisco. Le leader mondial des réseaux pour Internet a instauré des entretiens trimestriels revisités dans toutes ses entités et envisage d’aller plus loin dans la démarche (lire p. 21)… avec l’aide d’Ashley Goodall, recruté à l’été 2015. Idem à Microsoft, avec la volonté de promouvoir les compétences collaboratives.

Mais le nouveau système est regardé avec beaucoup de méfiance par les syndicats français du groupe (lire p. 23). « L’abandon des notations, trop souvent synonyme d’instruments d’exclusion, est salutaire, considère Jean-Paul Bouchet, secrétaire général de la CFDT Cadres, de même que l’organisation d’échanges réguliers ou la promotion, y compris financière, de nouvelles compétences, telles que la coopération et la transmission des connaissances. À condition d’y associer largement les partenaires sociaux et de ne pas délaisser la discussion sur l’activité et le savoir-faire, plus objectivement mesurables que le savoir-être. » « Le principal risque des entretiens trimestriels, c’est d’avoir quatre contrôles tatillons par an au lieu d’un, avertit pour sa part l’avocat Franc Muller. Cette nouvelle approche peut être génératrice de RPS, sauf si ses modalités et ses garde-fous favorisent un dialogue de qualité, sans objectif de contrôle et d’évaluation en continu. »

Mais changer de système suppose aussi de réfléchir à l’organisation du travail et d’alléger le cahier des charges des managers (lire l’interview p. 25). « Pour réussir la transformation du management de la performance, estime Joris Wonders, porte-parole de Towers Watson, la direction générale doit être fortement impliquée, ainsi que les RH, le département comp & ben ou la paie…, afin d’adapter les différents process au nouveau dispositif. Cela suppose aussi d’accompagner fortement les managers, en les formant et en les outillant. »

Les éditeurs de logiciels RH commencent d’ailleurs à appréhender ces nouveaux besoins. « Un questionnaire intégré au SIRH peut être envoyé par le manager ou le salarié auprès des pairs pour solliciter des feedbacks réguliers, explique Sabine Hagège, responsable produit de Workday pour la zone Emea (Europe, Moyen-Orient et Afrique). Une fonctionnalité récente permet également des échanges réguliers sur chaque mission ou objectif entre manager et managé, via une messagerie interne à l’application, ce qui facilite le coaching et la traçabilité en vue d’une meilleure évaluation de la performance. » Cornerstone OnDemand met en avant, de son côté, son système de “badges” pour favoriser les retours des pairs : « Un bon moyen pour remercier un collègue de sa contribution dans le cadre d’un projet, par exemple à la manière du Like de Facebook, estime Geoffroy de Lestrange, responsable marketing pour la zone Emea. Nous proposons aussi une matrice des compétences à destination des managers, pour les aider à positionner et à développer leurs collaborateurs. Plus généralement, le SIRH doit permettre de regrouper toutes les informations liées aux salariés et d’objectiver l’évaluation dans un but opérationnel. »

Nouvelles générations

« Oui au badging, oui au scoring mutuel, abonde Laurent Choain, DRH groupe de Mazars (audit, de conseil et de services aux entreprises). Mais, pour changer vraiment la donne, il faut carrément supprimer l’entretien de performance, sauf lorsqu’il est consubstantiel à l’activité, comme dans notre secteur. » Car l’entretien annuel, même dépoussiéré, repose sur une vision ancienne du manager qui contrôle, or les nouvelles générations veulent apprendre et elles apprennent plus aujourd’hui de leurs pairs que de leurs encadrants. Une évaluation par les pairs appliquée depuis plusieurs décennies chez WL Gore (lire p. 24). Un fonctionnement très atypique, directement relié au système de rémunération, mais difficilement transposable en l’état.

N. L.

Auteur

  • Nicolas Lagrange