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L’INTERVIEW : SOPHIE PÉLICIER-LOEVENBRUCK AVOCAT ASSOCIÉ CABINET FROMONT BRIENS

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 27.01.2015 | L. G.

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L’INTERVIEW : SOPHIE PÉLICIER-LOEVENBRUCK AVOCAT ASSOCIÉ CABINET FROMONT BRIENS

Crédit photo L. G.

Comment les entreprises qui vous consultent sur la réforme de la formation réagissent-elles ?

En consultations privées d’entreprises ou lors de séminaires interentreprises, je constate plusieurs attitudes un peu déconcertantes. Premièrement : une forme de déni, un refus d’appréhender le sens réel de la réforme. La pression financière qui s’exerce sur les DRH et les responsables formation ne leur laisse pas l’espace pour appréhender la complexité inhérente à toute réalité. Conséquences, peu d’entreprises demandent des choses innovantes, et beaucoup attendent même pour savoir si elles vont y réfléchir ! Grosso modo, c’est : « On verra, de toute façon, les IRP n’y comprennent rien », ce qui ne m’apparaît pas si sûr !

Deuxièmement : une forme de conservatisme. Beaucoup de DRH ou de RF, même dans certaines grosses entreprises, veulent continuer comme avant. Ou bien, comme pour le nouvel entretien professionnel, sont en demande de “modèles” prêts à l’emploi. Toujours cette pression qui les amène à passer immédiatement “au comment” sans prendre le temps du “pourquoi”. Que se passera-t-il quand il faudra appliquer et tirer les conséquences concrètes de la matrice de l’entretien professionnel ?

Troisième constat : une forme d’agressivité. Un jour, j’intervenais face à plusieurs entreprises avec Jean-Marc Huart de la DGEFP. Il a été carrément agressé sur l’entretien professionnel, sur le thème : « Qui doit le mener, car ce n’est pas précisé dans le décret, vous comptez le mettre dans vos questions-réponses ? ».

Des Opca – palliant souvent les manques politiques des branches – offrent déjà des modèles de matrice d’entretien professionnel. Attention : les entreprises risquent de se retrouver peu ou prou avec le même modèle, alors que la réalité de leurs organisations est diverse. Elles doivent être vigilantes sur la rédaction des “engagements” pris à l’égard de leurs salariés dans ce cadre, car cela implique la relation de travail tout entière. La réforme comporte de véritables avancées, et le défi principal me paraît celui du décloisonnement entre les expertises complémentaires des DRH et des RF, notamment. Mais les résistances sont fortes de la part de certains “professionnels”.

Comment les expliquer ?

DRH et RF avaient l’habitude de disposer d’un budget dédié de 0,9 % de la masse salariale. Aujourd’hui, ils sont déstabilisés, car ce budget formation n’existe plus, et qu’il pourrait, à tort, ne pas être considéré comme prioritaire par les directions, par rapport à des budgets de restructurations et de plans sociaux, par exemple.

Cette réforme pousse à une intégration renforcée des politiques d’emploi et de formation, comme jamais auparavant. Or, les RF peuvent se sentir moins à l’aise sur ce lien à établir – qui est l’intérêt majeur de la réforme à mon sens ! –, et qui oblige à faire des passerelles hors de leurs domaines d’expertise habituels : elles se placent en effet sur le terrain du contrat individuel de travail, des politiques de mobilité et des relations sociales.

Que pensez-vous justement de la fin du 0,9 % plan légal fiscal ?

La loi lève un écran de fumée : le 0,9 % n’empêchait pas la condamnation de l’employeur pour manque d’entretien des compétences du collaborateur. L’obligation sociale de former existe de longue date. Identifiée en 1992 avec l’arrêt Expovit, elle a été codifiée par la loi Guigou de modernisation sociale du 17 janvier 2002 au travers de l’obligation d’adaptation-formation, il est vrai longtemps éclipsée par l’obligation connexe de reclassement.

Pour autant, la réforme n’évite pas l’écueil un peu schizophrène de notre système de relations sociales, où l’employeur a le pouvoir et le salarié le droit. L’employeur a l’obligation de démontrer avoir fait tous les efforts pour assurer l’employabilité de son salarié, et ce dernier est le seul à pouvoir mobiliser le CPF qui est sa “chose”. Pourquoi opposer les dispositifs alors qu’il est de l’intérêt conjoint des deux parties de les articuler ? Articuler plan et CPF serait pédagogiquement et socialement intéressant, mais juridiquement pas simple. De plus, le renforcement de l’aspect certifiant des listes CPF ne facilite pas son intégration dans le plan. Le manque de plasticité est regrettable. Cela témoigne toujours d’un manque de confiance entre partenaires sociaux sur la question de la gestion interne des entreprises en France.

Nous verrons si entreprises et partenaires sociaux se saisiront de la réflexion sur une gestion interne du CPF. Dommage que son éventuel abondement par l’entreprise ne soit pas assorti d’une incitation fiscale.

Auteur

  • L. G.