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CONFLITS RELATIONNELS : Les atouts DE LA MÉDIATION

L’enquête | publié le : 23.12.2014 | V. L.

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CONFLITS RELATIONNELS : Les atouts DE LA MÉDIATION

Crédit photo V. L.

Les conflits relationnels en entreprise peuvent coûter cher. Ambiance dégradée, services désorganisés et absentéisme à la hausse sont autant de signaux d’alerte qui peuvent traduire une rupture de communication entre les salariés. Or les entreprises n’ont pas toujours les bons outils pour agir. La médiation professionnelle, sans être la réponse à toutes les situations, en fait partie.

Lorsqu’elle intervient en entreprise pour débloquer des situations dans un service où la communication est totalement rompue, il y a le feu. Les différentes tentatives d’apaisement n’ont pas fonctionné, et Laure Veirier, médiatrice et directrice associée d’Interstices médiation, se positionne comme le tiers qui va aider les parties à restaurer leur relation. « De plus en plus de préventeurs et de médecins du travail s’intéressent à la médiation et la recommandent, tout comme les avocats », avance-t-elle. D’autant que « les conflits relationnels dans les organisations ont un coût financier et humain. Ils prennent une importance de plus en plus grande et les entreprises ont une responsabilité au titre de leur obligation de sécurité », constate Laure Veirier.

AUTONOMIE ET RESPONSABILITE DES PARTICIPANTS

L’intérêt de la démarche ? C’est « un processus de communication éthique qui repose sur l’autonomie et la responsabilité de ses participants. Le médiateur, tiers indépendant, impartial, sans pouvoir, favorise, par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement des situations difficiles », explique Michèle Guillaume-Hofnung*, professeure des facultés de droit, directrice de l’Institut de médiation Guillaume-Hofnung (IMGH) et directrice du diplôme d’université “La médiation de l’université” Paris 2.

Les parties en conflit se retrouvent sur un pied d’égalité, peu importe la hiérarchie, et le tiers médiateur ne prend pas de décision à leur place, ce sont elles qui construisent l’issue de leur différend. Pour y parvenir, le médiateur utilise divers outils et techniques. Par exemple : « Il identifie les désaccords non-dits pour les mettre en débat avant qu’ils ne deviennent des conflits ouverts ; il autorise les protagonistes à “vider leur sac”, conduit les parties à écouter et à comprendre la position de l’autre, et il identifie des enjeux cachés », cite Valérie Schégin, médiatrice et consultante associée d’AlterAlliance.

Mais, « souvent, les RH qui peuvent proposer une médiation apparaissent comme les représentants de la direction, et les collaborateurs ne sont alors pas très enclins à s’exprimer », souligne-t-elle.

À la différence de la négociation, « nous aidons les parties à trouver leur intérêt réciproque, chacun sort de sa posture, indique Philippe Le Blon, DRH de l’AFP, et également médiateur au CMAP, Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (lire l’encadré ci-dessous). Les DRH auraient intérêt à mieux connaître ce processus. Mais il faut avoir conscience qu’il ne sera sans doute pas adapté à une entreprise où la culture de la confrontation prédomine. Au contraire, si l’entreprise est ouverte à l’écoute et à la recherche de voies d’apaisement dans les relations au travail, elle doit s’y intéresser. »

Lorsqu’il a créé les formations de médiateurs en 1999, Jean-Louis Lascoux, vice-président de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation, un réseau de 150 médiateurs professionnels en entreprises, se souvient qu’à l’époque, il n’accueillait « que des avocats et des représentants des professions juridiques. Aujourd’hui, 50 % des personnes que nous formons sont issues de la sphère RH, même si elles ne viennent pas forcément avec l’objectif de devenir médiateur. Elles sont aussi intéressées par le processus afin de modifier leur comportement lors de négociations ».

MÉDIATEURS INTERNES

Signe que la médiation commence à s’implanter davantage dans les entreprises, de plus en plus d’organisations créent des systèmes de médiation interne. « Alors qu’auparavant, j’étais sollicitée tous les deux ans pour mettre en place un système de médiation interne, aujourd’hui, j’ai quatre projets en cours », atteste Sylvie Adijès, médiatrice indépendante.

Depuis 2011, la SNCF a son propre réseau de médiateurs internes (lire p. 23). La Cramif (Caisse régionale d’assurance-maladie d’Île-de-France) et Amiens Métropole (lire p. 24) en sont aussi dotées. Même la Police nationale a créé cette fonction, avec des modalités propres à sa structure très hiérarchisée (lire p. 22).

Cet été, Corinne Leduc, chargée d’étude en prévention à l’Urssaf Île-de-France (environ 2 900 agents), a réussi à convaincre sa direction d’adopter le dispositif. Ancienne syndicaliste et ex-secrétaire du CHSCT, elle estime que cet outil est particulièrement utile pour « apurer l’aspect émotionnel des conflits et rétablir la qualité relationnelle ».

La coconstruction des solutions par les parties est à la source de l’apaisement engendré par les médiations. Maud Neukirch de Maistre, médiatrice et fondatrice d’Avenir médiation, donne l’exemple d’une intervention au sein d’une équipe RH : « Une salariée était en arrêt maladie depuis huit mois, et son manager était du coup débordé de travail lorsque la médiation a démarré. Un accord a pu être trouvé après deux séances. Les personnes ont pu dialoguer et exprimer ce qu’elles ressentaient. Elles se sont dit mutuellement qu’elles ne pouvaient plus travailler ensemble. À l’issue de cette médiation, la salariée a pu négocier avec la DRH, sereinement, son départ, via une transaction. Elle a même été recommandée par l’entreprise auprès de son futur employeur. Et le manager en poste a obtenu une embauche pour le soutenir. »

Autre exemple cité par Sylvie Adijès : « Un salarié ayant subi un grave burn-out est entré dans un processus de médiation qui a abouti à une rupture conventionnelle. Mais l’intérêt de la médiation est qu’elle a permis de dépasser le traumatisme : des excuses et des gestes symboliques ont été possibles, ce qui autorise la personne à aborder à nouveau le marché du travail, alors que d’autres victimes de burn-out y parviennent difficilement. »

La médiation a un effet de reconnaissance mutuelle et permet d’ouvrir des espaces où on parle du travail, selon Laure Veirier : « Ce qui est un des leviers essentiels de prévention des RPS : on travaille sur l’écart entre le travail prescrit et le travail réel. Mais ce n’est pas sans risques : les entreprises acceptent implicitement d’entendre que le conflit entre deux personnes peut prendre sa source dans l’organisation du travail et le mode de management. »

D’où, parfois, chez certains acteurs de la médiation et chez les salariés, une méfiance vis-à-vis de la médiation interne. Pour Michèle Guillaume-Hofnung, celle-ci est « par définition un “ersatz” de médiation qu’il faudrait mieux appeler conciliation », qui peut être utile, mais ne peut pas respecter les mêmes exigences. « Le principe de confidentialité est fondamental et on est difficilement crédible lorsqu’on est soumis à une hiérarchie bien identifiée, souligne-t-elle. Le médiateur doit fonctionner dans un processus de non-pouvoir. » À noter qu’en 2009, une dizaine d’associations de médiateurs avait adopté un code national de déontologie. De son côté, Jean-Louis Lascoux recommande d’écarter l’application du règlement intérieur afin que le médiateur interne ne représente pas l’autorité de l’entreprise.

En tout état de cause, pour que la médiation soit efficace, « il faut que les protagonistes aient une attente concernant le processus et qu’ils entrevoient des intérêts partagés à poursuivre leur coopération, constate Valérie Schégin. Il est également nécessaire de prendre le conflit à temps, le plus en amont possible, ce qui est encore rare. »

ANTICIPER LES TENSIONS

C’est pourquoi il est utile d’anticiper les tensions qui vont émerger. Laure Veirier propose des “médiations de projets” afin de permettre aux entreprises d’accepter la dimension conflictuelle de projets comme les restructurations, par exemple.

Un dispositif qui, dans son ensemble, laisse la CGT méfiante : « On assiste de plus en plus, dans tous les domaines des risques professionnels et en particulier les RPS, à un empilement de dispositifs patronaux, dont la médiation, les cellules d’écoute et les aides d’urgence en parallèle de l’intervention des IRP, témoigne Jocelyne Chabert, conseillère fédérale. L’objectif est d’affaiblir les prérogatives des IRP et surtout des CHSCT. »

BÉRANGÈRE CLADY, JURISTE ET RESPONSABLE DES PROCÉDURES AU CMAP
« Le salarié est acteur du processus »

Le CMAP, Centre de médiation et d’arbitrage de Paris, créé en 1995 à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, propose, à côté de la médiation interentreprises (litiges commerciaux) et de médiations collectives, un dispositif de médiation intra-entreprise. Bérangère Clady, juriste et responsable des procédures au CMAP, explique comment le réseau de médiateurs de l’organisation intervient.

« Nous sommes sollicités dans des situations de blocage : un service où la moitié des personnes sont en arrêt maladie, un conflit entre deux salariés ou entre un salarié et son supérieur hiérarchique, un conflit entre plusieurs services, des allégations de harcèlement moral, etc. Nous recevons souvent des appels de DRH, d’avocats et de chefs d’entreprise, plus rarement de salariés. Les DRH ne connaissent pas bien le processus, c’est pourquoi nous commençons par discuter de l’opportunité de la médiation. Nous conseillons aussi le DRH sur la façon de proposer la démarche dans son entreprise, car le médiateur, même extérieur, risque d’être perçu comme un prestataire de l’entreprise. On insiste sur le fait que le salarié comprenne sa place, qu’il est acteur du processus. À la suite de notre saisine officielle, nous écrivons aux personnes concernées pour leur proposer un rendez-vous afin de répondre à leurs questions et nous leur laissons le temps de la réflexion pour accepter ou refuser la médiation. Nous leur rappelons la confidentialité de la démarche. Ensuite, nous désignons un médiateur de notre réseau, qui a passé préalablement un examen et a au minimum dix ans d’expérience professionnelle. En réalité, ce sont même trois personnes qui sont proposées à une commission de médiation indépendante présidée par un haut magistrat. Le médiateur retenu organise ensuite les réunions avec les salariés séparément puis les réunions plénières. C’est lui qui décide de la fin des médiations, qui durent entre une dizaine d’heures et trente heures, si plusieurs services sont concernés, par exemple ».

V. L.

EN CAS DE LITIGE, LA MÉDIATION JUDICIAIRE EST UNE VOIE À EXPLORER

Le recours à la médiation peut intervenir dans le cadre d’une procédure judiciaire. Une médiation judiciaire et non « conventionnelle », sera alors proposée aux parties à un litige par un magistrat. Elle sera toujours confiée à un tiers.

Maud Neukirch de Maistre, médiatrice, fondatrice d’Avenir médiation, réalise des permanences de médiation dans les chambres sociales à la cour d’appel de Paris, soit en audience, soit en double convocation (c’est-à-dire sur invitation du juge avant l’audience): « Les parties choisissent d’accepter ou non la démarche. Si elles sont d’accord, une ordonnance du juge nomme un médiateur. Le coût pour les parties varie entre 800 et 1 500 euros, partagé à parts égales, sauf meilleur accord ». Deux tiers des dossiers traités en médiation trouvent un accord. « Il faudrait que l’information sur la médiation devienne obligatoire, afin que les parties en comprennent les bénéfices pour la résolution de leur conflit », suggère-telle.

Béatrice Brenneur(1), aujourd’hui médiatrice interne au Conseil de l’Europe, a été pionnière pour promouvoir le recours à ce mode de règlement des litiges lorsqu’elle était présidente de la cour d’appel de Grenoble, entre 1996 et 2005 (lire Entreprise & Carrières n° 981). Elle est également fondatrice du Groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme) et de la Conférence internationale de la médiation pour la justice (CIMJ)(2).

Plus de 1 000 médiations ont été menées sous son égide à Grenoble, dont 80 % ont abouti à des accords. La magistrate triait alors son contentieux avant de proposer la médiation. « Les salariés ont besoin d’écoute, observe-t-elle, ils saisissent les tribunaux à force de ne pas être écoutés. La souffrance exprimée peut être “dégonflée” en médiation, elle permet de s’écouter », souligne-t-elle.

Selon elle, l’implication des juges fait beaucoup dans la promotion de la médiation, qui se développe notamment à Lyon, Toulouse, Rouen, et Paris.

(1) Auteur de Stress et souffrance au travail : un juge témoigne, L’Harmattan, 2010.

(2) Pour en savoir plus : <www.gemme.eu/fr>; <www.cimj.com/fr>.

* Auteure de La Médiation, Que sais-je ?, PUF, 6e édition, 2011.

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  • V. L.