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Enquête

L’EMPLOI DES SENIORS RESTE AU SECOND PLAN

Enquête | publié le : 01.07.2014 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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L’EMPLOI DES SENIORS RESTE AU SECOND PLAN

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Jusqu’ici, rien n’y a fait : la situation des seniors sur le marché de l’emploi est de plus en plus critique. Et, dans beaucoup d’entreprises, on ne peut que constater une gestion a minima de cette population. La préretraite a d’ailleurs la vie dure. Même pour les employeurs soucieux de maintenir leurs collaborateurs en emploi jusqu’à l’âge légal, le pari est difficile. Reste à savoir si les nouvelles pistes évoquées par le ministre du Travail pourront porter leurs fruits.

Certes, le taux d’emploi (1) des 55-64 ans en France a fortement progressé depuis le début des années 2000 pour s’établir à 45,6 % en 2013 – un taux toutefois inférieur à la moyenne européenne, qui était de 48 % en 2012 (54 % pour les pays de l’OCDE). Mais cette population est aussi de plus en plus fragilisée sur le marché de l’emploi. En témoignent les derniers chiffres du chômage publiés le 28 mai : le nombre des demandeurs d’emploi de catégorie A de 50 ans ou plus en France métropolitaine s’est accru de 0,7 % en avril – et de 11,6 % sur un an (la hausse est de 3,5 % pour l’ensemble des demandeurs d’emploi de même catégorie).

La dégradation de la situation a conduit le ministre du Travail François Rebsamen à annoncer, début mai, la présentation d’un plan pour l’emploi des seniors pour la mi-juin. Dévoilées le 23 juin, les pistes évoquées (lire p. 5) ne contiennent pas de mesures chocs ou contraignantes, mais ont un objectif clair : faire en sorte que le passage à 50 ou 55 ans ne soit pas « le début de la fin ».

Faible niveau de rotation

Ce programme, qui doit être affiné lors de la prochaine conférence sociale, sera-t-il efficace ? Pas sûr. « Le marché de l’emploi français est le plus atone d’Europe et pèche par son absence totale de fluidité, considère Antoine Morgaut, directeur général Europe et Amérique du Sud du cabinet de recrutement Robert Walters. Et de rappeler que, selon l’Apec, 4 millions de cadres se partagent entre 150 000 et 200 000 offres d’emploi annuelles. « Ce qui veut dire que moins de 5 % de cette population change d’emploi chaque année. En matière de recrutement, les entreprises doivent faire des arbitrages, et les seniors sont victimes de ce faible niveau de rotation. C’est un traumatisme social, y compris pour les jeunes, qui perdent confiance en l’avenir. »

Il faut reconnaître que les entreprises, pourtant contraintes à partir de 2009 de négocier sur l’emploi des seniors (2), ne se sont guère emparées du sujet, comme l’indique un bilan de la Direction générale du travail présenté en novembre 2012 (3). Cette évaluation pointe le formalisme des démarches engagées, qui s’inscrivent majoritairement dans une perspective de maintien dans l’emploi et passent le recrutement à la trappe.

« Globalement, on a vu un manque de conviction des entreprises sur cette question, qui s’insérait dans un agenda social déjà bien chargé », convient Nicole Raoult, directrice du cabinet Maturescence. Malgré le manque de recul sur les mesures contenues dans les accords et plans d’action du contrat de génération, elle ne voit pas vraiment d’amélioration se dessiner. Bernard Masingue, directeur de projets à Entreprise & Personnel, non plus : « J’ai le sentiment que la situation de l’emploi des seniors ne bouge pas. Le contrat de génération est un outil de recrutement des jeunes et de maintien dans l’emploi des seniors. Mais comment peut-on seulement tenir cette comptabilité ? Personne n’en sait rien. »

Des objectifs modestes de recrutement

François Rebsamen évoque, entre autres, un doublement de la prime proposée dans le contrat de génération en cas de recrutement d’un senior. L’emploi des seniors ne figure cependant pas dans les priorités des DRH, guère enthousiastes quant aux vertus du contrat de génération, comme le montre le dernier baromètre Défis RH pour Entreprise & Carrières (n° 1198). Les éventuels objectifs de recrutement dans les accords de contrats de génération restent modestes : Eiffage, par exemple, entend réserver 5 % de ses recrutements en CDI à des salariés de 50 ans ou plus. À La Poste, l’objectif est de 4 % pour les plus de 45 ans. Tandis qu’à Carrefour, la part des embauches de salariés de 45 ans et plus représenteront 2 % de ceux-ci.

Nonobstant leur manque d’effets sur les enjeux de recrutement, les politiques gouvernementales semblent néanmoins commencer à se répercuter sur la situation des seniors en emploi. Le dernier baromètre seniors Entreprise & Carrières/Notretemps.com/ Groupe Menway (lire Entreprise & Carrières n° 1197) suggère une meilleure prise en compte des salariés de 45 ans et plus en termes de formation, de promotion, d’augmentation de salaire et d’information sur la retraite.

Des démarches auxquelles les DRH greffent, de plus en plus, des transitions “douces” vers la retraite, sous la forme d’une réduction d’activité, souvent avec maintien des cotisations sociales sur la base du temps plein, voire un petit complément de rémunération. Comme chez le chimiste Arkema, qui propose un temps partiel à 80 % pour le personnel de jour, avec un maintien de la rémunération à 85 % durant les deux années précédant le départ. La cessation anticipée d’activité via les comptes épargne temps rencontre également un certain succès. « Il me semble aussi que la polyvalence et la rotation sur les postes redeviennent une préoccupation pratique. C’est une solution organisationnelle pour permettre aux salariés de travailler jusqu’au bout dans de bonnes conditions », ajoute Nicole Raoult.

Forme physique

Reste que la notion de seniorité demeure extrêmement difficile à appréhender pour les entreprises. D’autant que les quinquas d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux d’hier, en termes tant de forme physique que de rapport aux nouvelles technologies. « Le ressenti de la seniorité a été repoussé, appuie Antoine Morgaut. Nous arrivons, aujourd’hui, à faire recruter des gens de 55 ans. C’était impensable il y a vingt ans. » Nicole Raoult l’admet volontiers : « Le terme senior n’est pas consensuel. Il rebute toujours, et les seuils diffèrent selon les contextes : un ouvrier senior n’a rien à voir avec un chef de projets senior. »

Difficile, dans ces conditions, de déployer des actions spéci­fiquement liées à l’âge « d’une façon sereine, saine et positive, estime la directrice de Maturescence. Le collaborateur senior convoqué pour un entretien de carrière va forcément se poser des questions ».

Chaque entreprise gère donc la question des seniors “à sa sauce”, en fonction de sa culture et de ses besoins propres. Avec « un énorme paradoxe entre le fait de répéter qu’il faudra travailler plus longtemps et ce qui se passe sur le terrain », observe Nicole Raoult.

Entreprises, syndicats et salariés en sont convaincus : rien de mieux qu’une préretraite financée par l’entreprise – du moins celle qui en a les moyens – pour rééquilibrer en douceur une pyramide des âges vieillissante et/ou réduire les effectifs en évitant les licenciements secs. C’est l’option choisie par La Redoute, mais aussi par Hewlett-Packard, dont le plan seniors a trouvé facilement son public (lire ci-dessous). Les mesures intergénérationnelles de PSA, logées dans le nouveau contrat social du constructeur automobile intègrent, elles aussi, un plan de départs en préretraite (lire p. 23).

D’autres entreprises embarquent la question seniors dans la problématique pénibilité, comme Gefco (lire p. 24), ou dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, comme Maaf (lire p. 25), avec un objectif de maintien dans l’emploi. Rares sont les entreprises à faire montre d’une réelle volonté d’intégrer des tempes grises dans le cadre d’une politique de diversité. CNP Assurances revendique ce choix, en utilisant le CDD seniors, que l’on croyait tombé aux oubliettes (lire p. 24).

Des compétences indispensables

À Areva, on ne peut tout bonnement pas se passer de certaines compétences. Et l’on n’hésite pas à appeler les retraités à la rescousse, en passant par une entreprise dédiée (lire p. 26).

Dans ses propositions, François Rebsamen insiste sur l’importance de changer le regard sur les seniors et de lutter contre les discriminations. Une orientation que l’Afnor sera d’ailleurs chargée de développer dans le label diversité. L’ennui, estime Bernard Masingue, « c’est que l’on continue de penser, tant du côté des salariés que des employeurs, que les plus de 55 ans se trouvent dans une employabilité dégradée – et coûtent aussi plus cher que les jeunes. D’où la volonté des seniors de sortir de l’emploi à la première occasion favorable, avant que leur situation ne se détériore encore. »

Pour le directeur de projets, la gestion des âges dans les entreprises ne pourra donc fonctionner qu’à la condition de « la considérer du point de vue des équipes élémentaires de travail et non pas de celui de la DRH, qui tient ses statistiques. On doit travailler sur une écologie des âges au bénéfice de la santé économique et sociale des entreprises. Encore faut-il que les instances représentatives du personnel changent aussi leur point de vue sur le travail des seniors. Or on ne les voit pas négocier sur la diversité des âges comme facteur de performance. »

(1) Rapport entre le nombre d’actifs occupés (ayant un emploi) et le nombre total d’individus dans la même classe d’âge.

(2) Le dispositif en faveur de l’emploi des salariés âgés prévoyait l’obligation pour les entreprises d’au moins 50 salariés d’être couvertes, à compter du 1er janvier 2010, par un accord de branche ou d’entreprise ou, à défaut, par un plan d’actions unilatéral.

(3) “Bilan de la négociation sur l’emploi des salariés âgés”, DGT, document n° 14 du COR (séance plénière du 21 novembre 2012).

L’ESSENTIEL

1 Le recrutement de seniors n’est pas la priorité des DRH. Le nombre des demandeurs d’emploi de plus de 50 ans ne cesse d’ailleurs d’augmenter, d’où l’annonce d’un plan seniors par François Rebsamen.

2 Les accords et plans d’actions repris dans les dispositifs intergénérationnels semblent toutefois avoir amélioré la situation des seniors au travail, avec des transitions douces vers la retraite.

3 Entre les employeurs qui réduisent leurs effectifs à coup de préretraite maison et ceux qui, au contraire, voient dans les seniors une profitable source de diversité, les situations sont variées.

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT