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CE QUI SE NÉGOCIE POUR LES JEUNES

Enquête | publié le : 13.05.2014 | ÉLODIE SARFATI

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CE QUI SE NÉGOCIE POUR LES JEUNES

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Recrutements, alternance, intégration : avec les contrats de génération, les entreprises ont dû se pencher sur leur politique d’emploi en faveur des jeunes. Sans révolutionner les pratiques, les accords ont parfois abouti à renforcer des actions ou à fixer de nouvelles orientations.

Place aux jeunes. Quatre ans après les accords seniors, le dialogue social d’entreprise s’est enrichi, avec les contrats de génération, d’un nouvel objet, celui de l’emploi des moins de 26 ans. Objectif du législateur ? Pousser les entreprises à « réinterroger leurs pratiques » en la matière, créer un mouvement de « mobilisation », par des « engagements concrets de progrès » autour de « l’entrée de [la] jeunesse dans la vie active et la place que lui font [les] entreprises ». Le tout dans l’espoir notamment d’accroître le volume de recrutements de jeunes en CDI, avec ou sans aide financière de l’État (celle-ci étant réservée aux entreprises de moins de 300 salariés).

La situation des jeunes sur le marché du travail est connue : plus exposés au chômage (22,8 % fin 2013), ils sont aussi plus touchés par la précarité : un tiers des moins de 25 ans en emploi sont en CDD ou en intérim - trois fois plus que la moyenne.

Des objectifs limités

Alors, quelques mois après les premières signatures, comment les partenaires sociaux dans les entreprises se sont-ils emparés de la question de l’emploi des jeunes ? En janvier dernier, le ministère du Travail estimait à 320 000 les engagements d’embauches de jeunes en CDI sur trois ans, issus des accords d’entreprises et de branches. Mais ce chiffre ne dit pas grand-chose des efforts consentis par les entreprises. À GDF Suez, l’objectif de 8 000 recrutements de moins de 35 ans en trois ans laisse William Viry-Allemoz, le coordinateur groupe CFE-CGC, non signataire de l’accord, sur sa faim : « C’est un chiffre inférieur à ce qui était fait les années précédentes, où le groupe a recruté 10 000 personnes de cette tranche d’âge entre 2010 et 2012. Pour nous, l’intérêt de cette négociation était d’aller plus loin. »

En passant de 22 % à 25 % la part de jeunes de moins de 26 ans dans les embauches, Philippe Hervieux, le DRH de la Compagnie des Fromages et RichesMonts, admet qu’il ne s’agit pas d’une « inflexion majeure. Nous avons été prudents, car c’est difficile de se projeter. Nous devons en outre garder des potentiels d’embauches en CDI pour nos intérimaires, et veiller à ne pas déséquilibrer par le bas la pyramide des âges ».

À La Poste ou à Carrefour Hypermarchés, les objectifs chiffrés d’embauches de jeunes en CDI (respectivement 60 % des recrutements réservés aux moins de 30 ans et 21 % aux moins de 26 ans) correspondent peu ou prou aux taux déjà existants. « Plutôt que de s’engager sur un chiffre élevé et de ne pas l’atteindre, nous avons déterminé un objectif pragmatique que nous avons la volonté de tenir », justifie Pascal Monin, DRH du groupe de grande distribution. Et si l’accord de Carrefour Hypermarchés met résolument l’accent sur l’alternance - 10 000 alternants en trois ans et 50 % de transformation en CDI - il s’agit en fait d’une reprise d’engagements contenus dans le “pacte social” signé dans le cadre des NAO sept mois plus tôt.

En matière d’emploi des jeunes, ces négociations auraient-elles été vaines ? À RTE, filiale d’EDF, l’accord ne modifie pas non plus les pratiques de recrutement des jeunes, déjà ancrées dans les habitudes, mais les négociations auront tout de même permis, selon le DRH Bertrand Signé, de « parler de manière plus explicite avec les organisations syndicales des besoins de l’entreprise, de se donner de la visibilité grâce à une approche pluriannuelle des recrutements, et de préparer plus en amont le remplacement des départs à la retraite ». L’accord signé en septembre 2013 prévoit 1 200 recrutements en trois ans, dont 50 % réservés à des moins de 25 ans.

De leur côté, les syndicats signataires voient dans ces accords l’opportunité de garantir un certain nombre d’embauches. C’est ce qui a motivé la signature de Jean-Louis Maury, délégué syndical central CGT de RTE. Il regrette néanmoins de « n’avoir pas pu inscrire dans l’accord que les recrutements de jeunes se fassent avant le départ des anciens, au risque de perte de savoir-faire ».

Quelques actions originales

Dans certains cas, on prévoit tout de même de rajeunir les recrutements, comme dans le groupe Seb (lire p. 27). À la Maif, la négociation a abouti à la mise en place d’une politique originale de recrutement d’étudiants en CDI (lire p. 28). Les accords « ouvrent des mandats au DRH pour mener des actions en direction des jeunes », constate de son côté Didier Poussou, le DRH du groupe Polylogis.

Bien souvent, la négociation a conduit les entreprises à se pencher sur l’alternance pour la développer, ou encore favoriser la transformation en CDI de contrats d’alternance comme chez Natixis (lire p. 25) ou Arkema. « Certaines organisations syndicales ont souhaité étendre à 30 ans la borne d’âge pour les recrutements de jeunes, confie la directrice du développement RH du groupe chimique, Dominique Massoni. Mais le contrat de génération doit amener à s’interroger sur l’insertion des plus jeunes, qui démarrent dans la vie active. C’est pourquoi nous avons proposé dans l’accord de renforcer l’alternance et de réserver à d’anciens alternants un tiers des postes ouverts aux débutants. »

Enfin, les négociations ont souvent aussi permis de remettre à plat les méthodes d’accueil et d’intégration des jeunes. En général dans les groupes, pour les harmoniser et mieux les diffuser. Mais aussi, parfois, pour les adapter, notamment lorsque les recrutements se font par le biais d’emplois d’avenir (lire l’article ci-dessous).

Au-delà des outils, la négociation a pu ouvrir à d’autres réflexions. Issue de l’accord, une formation managériale sur la mixité et les relations intergénérationnelles au sein des équipes est par exemple en préparation chez RTE. Qui a aussi prévu que les jeunes puissent « faire partager » leurs savoirs (en matière de nouvelles technologies ou de langues étrangères par exemple) aux salariés expérimentés. Pour l’heure, cette « coopération horizontale » reste à organiser, mais, estime Bertrand Signé, l’écrire dans l’accord permet d’ores et déjà de « donner une autre image des jeunes ». De son côté, La Poste réfléchit au repérage des jeunes « susceptibles de pouvoir transmettre leurs compétences numériques », indique Yves Arnaudo, directeur du développement RH. Changer les représentations, c’est bien l’une des vertus de ces accords intergénérationnels,selon Bernard Masingue, directeur de projets à Entreprise & Personnel : « Alors que les entreprises veulent encore des jeunes immédiatement opérationnels, le contrat de génération réaffirme la pluralité des modes d’apprentissage et la responsabilité des entreprises dans le processus d’inclusion des jeunes. Il invite à reconnaître et à accompagner le temps d’acquisition des compétences. Seulement, il ne suffit pas de signer des accords, cela demande une vraie mobilisation de l’entreprise. »

Un pilotage sérieux

Alors que les entreprises de moins de 300 salariés sont à leur tour assujetties à l’obligation de négocier sur les contrats de génération, Nicole Raoult, directrice du cabinet Maturescence, s’interroge aussi sur la concrétisation des engagements pris : « Quels moyens se donne-t-on pour la diffusion des mesures, la sensibilisation des cadres ? Il faut un pilotage et un appui sérieux à l’intérieur de l’entreprise pour que les accords deviennent crédibles. » Et qu’ils deviennent efficaces, car, en attendant, les jeunes peinent toujours à entrer sur le marché du travail. En témoigne le recul massif (- 10 %) de l’apprentissage en 2013.

L’ESSENTIEL

1 La plupart du temps, les engagements pris en faveur de l’emploi des jeunes dans les accords contrat de génération formalisent les pratiques plus qu’elles ne les modifient.

2 Néanmoins, la négociation a conduit certaines entreprises à renforcer des dispositifs comme l’alternance ou l’intégration des jeunes embauchés.

3 Après les grandes entreprises, celles de 50 à 300 salariés vont elles aussi devoir négocier des accords contrat de génération, sous peine de pénalité, avant mars 2015.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI