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Dans quelles conditions ?

Enquête | publié le : 04.02.2014 | VIRGINIE LEBLANC

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Dans quelles conditions ?

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

C’est acté : les salariés travailleront plus longtemps. Pour les plus exposés aux contraintes physiques de leur métier se pose la question de leur départ anticipé de l’entreprise et de ses conditions. Et les DRH auront à mieux prévoir les parcours professionnels pour mieux protéger leurs salariés.

Alors que la loi sur les retraites promulguée le 20 janvier confirme l’allongement de la vie professionnelle, déjà instauré par la précédente réforme de 2010, elle prévoit aussi des mesures d’accompagnement pour les salariés les plus exposés à des métiers difficiles. Ainsi, le compte personnel de prévention de la pénibilité a pour but d’inciter les entreprises à réduire au maximum l’exposition de leurs salariés à des situations de pénibilité et de permettre aux salariés subissant des conditions de travail pénibles d’accéder à des postes moins exposés grâce à la formation, de réduire leur durée de travail ou de partir à la retraite de manière anticipée. « C’est une avancée majeure, une revendication de plus de dix ans qui prend enfin forme, se réjouit Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT*. On pourra articuler réparation, gestion des carrières et compensation, et ne pas rester dans la fatalité. Et si on fait le lien avec l’accord relatif à la qualité de vie au travail, c’est l’approche santé et sécurité qui évolue. »

Reste que la fédération CGT de la construction continue de plaider pour la retraite à 55 ans pour les métiers pénibles: « Aujourd’hui, dans nos professions, à 55 ans, on est trop vieux pour travailler et trop jeune pour la retraite », scande-t-elle sur son site en appelant à une journée d’action ce 4 février.

Réparation et prévention

En associant réparation et prévention, la nouvelle réglementation n’aborde pas la question des expositions passées. « Les salariés les plus âgés en fin de carrière ont entendu parler d’un dispositif qui, en réalité, ne les concernera pas, insiste Gérard Rodriguez, conseiller confédéral de la CGT*. Il y aura une pression sociale très forte pour obtenir la réparation. Les actions de prévention n’auront plus aucun effet à leur égard. »

Dès 2009, dans la chimie, le lien a été fait entre pénibilité et retraite. « Cela a créé des tensions sociales et, chez Solvay, nous n’avons pas pu attendre la loi, se souvient Jean-Christophe Sciberras*, président de l’ANDRH et DRH de Solvay. En juin 2010, un accord a été signé, qui stipulait notamment que trente ans d’activité en travail de nuit posté donnaient droit au bénéfice de deux ans de départ anticipé. » Un dispositif de réparation qui a été adopté par Arkema et certaines entreprises pétrolières. Chez Fleury-Michon et Renault, dans des contextes et selon des modalités très différentes, les directions utilisent aussi la voie des départs anticipés, aux côtés de dispositifs de prévention, pour soulager les salariés exposés à des métiers usants (lire pp. 23 et 24). Mais toutes les entreprises ne sont pas prêtes à en assumer le financement.

« Nous avions proposé un volet rétrospectif dans le compte pénibilité, mais il n’a pas été retenu, notamment pour des questions de gestion financière et administrative, souligne Serge Volkoff, ergonome, chercheur au Centre d’études pour l’emploi et membre du Conseil d’orientation des retraites (COR). Certains seniors pourront être incités à rester plus longtemps dans un poste pénible afin de cumuler des points pour partir plus tôt, alors qu’ils n’auraient pas forcément adopté cette attitude et auraient peut-être cherché à se préserver. »

Conditions de travail

En attendant les effets de la nouvelle réforme, les entreprises ont-elles adopté des stratégies de prévention au regard de l’allongement de la vie professionnelle ? « Nous ne recevons pas de demandes directes en ce sens – si on exclut les grands groupes –, observe Laurent Caron, chargé de mission à l’Aract Picardie. Mais cela ne veut pas dire qu’elles n’aient pas de réflexion sur les questions du vieillissement et de la gestion des âges. En revanche, il n’y a pas de stratégie constituée. C’est plutôt la question du maintien dans l’emploi des salariés qui les préoccupe depuis quelques années. »

En termes de prévention, l’amélioration des conditions de travail dans leur ensemble aura des effets bénéfiques pour tous les salariés, même si des solutions individuelles doivent intervenir pour les salariés en situation d’inaptitude. « On ne peut pas déconnecter la pénibilité de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, des mesures en faveur des seniors, de la formation et de la qualité de vie au travail », souligne Faroudja Kicher, directrice du développement social de Sita France (lire p. 26).

« Depuis de nombreuses années, les entreprises ont pris en compte le sujet de la sécurité, observe Nicole Raoult, dirigeante du cabinet Maturescence**. Plus récemment, elles ont su aussi répondre aux exigences légales relatives aux plans de prévention de la pénibilité, diagnostiquer les facteurs de risques et, en regard, construire des plans d’action. »

Et, si un risque n’est pas tout à fait supprimable, « il est possible de créer les conditions pour que les salariés puissent en atténuer certains effets », précise Serge Volkoff. Par exemple, dans le cas du travail de nuit, il est possible de jouer sur sa durée, sur les formes de rotations horaires, accorder le droit de s’assoupir pendant la nuit et organiser des formations à l’hygiène de vie et à la nutrition (lire Entreprises & Carrières n° 1171).

Limiter les expositions

Pour Jean-Jacques Ferchal, fondateur du cabinet de conseil Ingenieris’k et ancien responsable de la santé sécurité chez Renault, il existe de nombreuses actions concrètes pour améliorer la vie au travail, et les managers sont au cœur de cette démarche pour obtenir la performance : « Je les incite à dialoguer avec les opérateurs à l’aide d’un outil très simple, un questionnaire qui va leur permettre de les écouter en leur demandant des explications sur leur travail. Cela permet d’identifier les différences entre le travail prescrit et le travail réel et de comprendre leurs marges de manœuvre et leurs difficultés. Souvent, la solution qui va les soulager dans l’exécution de leur tâche est connue d’eux. » Un travail de terrain toujours riche d’enseignements.

Clear Channel a ainsi décidé de revoir l’organisation du travail de certains de ses afficheurs, sur la foi d’une étude poussée sur leur charge de travail, toujours en cours. Des affichages jus­qu’alors répartis sur deux jours peuvent être étalés sur trois (lire p. 25). Et une réflexion est lancée sur les évolutions possibles vers d’autres activités afin de limiter dans le temps les expositions aux travaux les plus difficiles.

Autre piste qu’auront à explorer davantage les entreprises, même si elle est plus difficile à mettre en place : la reconversion. « Dans le rapport Moreau, nous avons fait état du cas des Pays-Bas, rappelle Serge Volkoff. Dès l’embauche, on contractualise des éléments de formation pour envisager la reconversion. En analysant les accords seniors, on a vu que ces possibilités de reconversion n’étaient pas forcément anticipées, par exemple quand des postes de jour se libèrent. »

De son côté, Nicole Raoult fait remarquer que « les RH n’ont pas toujours la capacité d’accompagner des projets de vie à des âges avancés. Où sont les conseillers fin de carrière ? Quelles sont les entreprises qui ont réalisé les bilans d’étape professionnelle ? » s’interroge-t-elle.

Le sociologue Serge Guérin propose de « penser autrement les carrières et d’adapter le travail au cycle de vie ». Ludovic Bugand, chargé de mission à l’Anact (lire p. 26), évoque aussi cette idée reprise par une entreprise: « Penser l’organisation non pas en termes de temps de travail mais de cycle de vie au travail, de façon à mieux intégrer la diversité des populations au regard de leur âge, de leur aspiration ou de leur état de santé. » Vaste programme.

* Propos recueillis lors du colloque organisé par l’ANDRH et Technologia le 8 janvier 2014 “Pénibilité, un enjeu de prévention”.

** Nicole Raoult a écrit, avec François Guérin, l’ouvrage Prévenir la pénibilité, des engagements aux plans d’action, Éditions Liaisons, 2013.

L’ESSENTIEL

1 Les salariés exposés à des postes pénibles le seront de plus en plus longtemps, du fait de l’allongement de la vie professionnelle. Certaines entreprises, à côté de mesures de prévention des risques, organisent des dispositifs de départs anticipés.

2 Le compte de prévention de la pénibilité, qui entrera en vigueur en 2015, allie les approches de prévention, de réparation et de compensation.

3 Les entreprises auront intérêt à porter leur réflexion non seulement sur l’amélioration globale des conditions de travail mais aussi sur l’adaptation des itinéraires professionnels.

Conditions de travail des quinquas : 13 expériences d’entreprises

→ Début 2013, l’Aract Picardie a publié un recueil d’expériences d’entreprises pour améliorer les conditions de travail et prévenir la pénibilité, intitulé “Préserver les seniors : une richesse de l’entreprise”. À l’origine de ce document, une commande du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), désireux d’obtenir une évaluation qualitative des domaines d’action des entreprises en matière de conditions de travail et de prévention de la pénibilité, découlant des exigences de la loi sur l’emploi des seniors. Plus de la moitié des 13 entreprises dont les expériences sont relatées sont situées en Picardie.

→ Trois grandes catégories d’expériences sont présentées. La première concerne des dispositifs ou actions qui permettent d’évaluer les contraintes, de qualifier les populations ou de suivre les effets des actions prévues. La seconde catégorie d’initiatives concerne des actions sur les situations de travail, dont la portée se veut collective. La dernière a trait à des parcours professionnels avec des actions relatives à l’intégration des seniors, au tutorat et au maintien dans l’emploi. En outre, le document présente neuf fiches de facteur de pénibilité et les liens avec le vieillissement.

→ L’étude montre que les entreprises partent de ce qui se fait déjà en leur sein: il n’y a pas vraiment de coupure “avant/après” l’accord ou le plan d’action, en matière de conditions de travail. « Dans tous les cas, recommande le document, il convient de réfléchir à la cohérence des démarches et actions dans les différents domaines, que ce soit au sein de l’accord/plan seniors ou en lien avec d’autres thèmes (document unique, pénibilité, stress et RPS, égalité professionnelle, GPEC) ».

→ Quatre grandes orientations sont préconisées: l’amélioration globale des conditions de travail, qui limite les effets d’usure professionnelle, élargit les marges d’action dans l’affectation des salariés de différents âges et accroît les possibilités de développer des stratégies de préservation ; l’intérêt d’actions ciblées sur les personnels présentant des limitations de capacités ; la diversité dans la réalisation effective de l’activité, selon l’âge et diverses formes d’expérience ; et, enfin, l’adaptation des itinéraires professionnels de façon à limiter les expositions longues à des contraintes pénalisantes.

→ Étude réalisée avec l’Anact, l’Aract, des chercheurs du Créapt, de l’Ires et des universitaires. Disponible sur <www.cestp.aract.fr/>

Des dispositifs pour les salariés fragilisés

Que faire pour les salariés qui ne peuvent plus trouver leur place dans l’entreprise ? Spécialisé dans l’accompagnement des salariés fragilisés en fin de carrière, le cabinet Homega propose de « redonner une carrière professionnelle à des personnes qui ne peuvent plus exercer leur activité, souvent en raison de leur âge ou d’une inaptitude », explique son président Gervais Hans. La formule est née lors de la fermeture d’Arcelor, afin d’accompagner les personnes les plus fragiles et les plus âgées. L’idée est de créer un dispositif, une société, un atelier, une association dans lesquelles ces salariés sont détachés ou mutés, et peuvent finir leur carrière en exerçant une activité utile. « Nous avons par exemple fait travailler des salariés sur la numérisation de documents, du second oeuvre de bâtiment, ou de la petite logistique. Des travaux réalisés en parallèle de la production, mais pas au même rythme », explique Gervais Hans.

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  • VIRGINIE LEBLANC