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Hôtel-Dieu : une mobilité à visibilité réduite

Pratiques | publié le : 03.09.2013 | CAROLINE COQ-CHODORGE

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Hôtel-Dieu : une mobilité à visibilité réduite

Crédit photo CAROLINE COQ-CHODORGE

Hôpital parisien historique, l’Hôtel-Dieu vit une restructuration de grande ampleur. Une cellule de mobilité tente d’accompagner les agents dans un contexte incertain.

« Notre rôle est d’aider les agents à ne pas s’y perdre, de leur permettre, même dans un temps contraint court, de se repositionner de la façon la plus autonome qui soit, en rapprochant leurs souhaits en matière de projet professionnel des changements qui interviennent autour d’eux. » C’est ainsi que Françoise Bordas, conseillère en ressources humaines, psychologue du travail, décrit l’objet de la cellule de mobilité de l’Hôtel-Dieu dont elle est membre. Elle reçoit dans son bureau, avec vue sur le parvis de Notre-Dame de Paris, dans le concert des cloches de la cathédrale.

En cet été 2013, le plus vieil hôpital de France vit des heures chahutées (lire l’encadré p. 13). Le rythme des transferts de la quasi-totalité des services d’hospitalisation, qui ont débuté en 2010, s’accélère depuis le début de l’année : parmi les services d’hospitalisation, seule l’ophtalmologie doit rester sur place jusqu’en 2016 ou 2017. Tous les autres ont déjà déménagé ou se préparent à le faire, la plupart à l’hôpital Cochin, qui appartient au même groupe hospitalier, situé à moins de 3 km.

Les transferts encadrés

« Aucun poste n’est supprimé. Des emplois seront même créés dans le nouvel Hôtel-Dieu, » assure Christian Poimboeuf, le DRH de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Les transferts sont encadrés par une charte de mobilité : l’emploi des agents est garanti, ils sont prioritaires pour toute affectation dans le service transféré ou dans un autre service du groupe hospitalier. Et, s’ils souhaitent rejoindre un autre groupe hospitalier, ils peuvent compter sur une lettre d’appui de la DRH.

La cellule d’accompagnement des mobilités dont fait partie Françoise Bordas a également été créée : « Cette cellule comprend toutes nos compétences en ressources humaines : deux conseillers en RH, qui sont psychologues du travail, le responsable de la formation continue, les assistantes sociales du personnel, explique Marie-Pierre Ferec, DRH du groupe hospitalier Paris-Centre (qui regroupe notamment l’Hôtel-Dieu et les hôpitaux Cochin et Broca). Des cadres supérieurs de santé représentant la direction des soins en font également partie. Elle se réunit tous les mois pour faire le point sur les mesures d’accompagnement individuelles et collectives. »

L’accompagnement collectif des transferts de service débute « environ six mois avant le déménagement, décrit Marie-Pierre Ferec. L’organisation cible est présentée aux équipes : le projet médical, les locaux dans lesquels leur service va s’implanter, l’organisation des soins prévue en lien avec l’encadrement ». Puis les agents reçoivent un courrier individuel « de positionnement » leur demandant « de formuler des choix, des priorités », poursuit la DRH. Il comprend une fiche du poste proposé dans le nouveau service. Les agents ont généralement un mois pour y répondre, un délai qui « demeure bien entendu souple », souligne-t-elle. Ils sont invités à indiquer s’ils acceptent ce poste, ont un autre projet, et/ou s’ils veulent prendre rendez-vous avec la cellule de mobilité.

Selon la direction, durant le premier semestre 2013, sur les 362 agents concernés par la restructuration, plus de 200 ont demandé un entretien. Ces échanges sont très divers : soutien psychologique, retour sur l’expérience de l’agent et valorisation de son parcours professionnel, aide à la décision, éclairage sur les postes vacants dans le groupe hospitalier ou dans d’autres hôpitaux de l’AP-HP, aide sociale, etc.

Mais, pour Alain Bain, technicien de laboratoire et élu CFDT, la cellule de mobilité est trop peu sollicitée : « Elle ne va pas voir les agents, c’est à eux de faire la démarche », regrette-t-il. Un rapport a été commandé par le CHSCT au cabinet Émergences en 2011. Il relève que cette démarche, fondée sur le volontariat, apparaît aux agents comme « un changement de culture radical pour l’assistance publique, qui était jusqu’ici une institution protectrice ». Marie-Pierre Ferec assume : « On n’est pas dans une rupture professionnelle majeure. Les agents doivent prendre en main leur parcours professionnel. »

Des fiches de poste imprécises

Le manque de précision des fiches de poste est également reproché par les syndicats à la direction : « Il a fallu nous battre pour obtenir que soient précisés les horaires de travail, qui restent souvent flous », explique Alain Carini, infirmier et élu CGT au CHSCT.

Le rythme de la restructuration est aussi mis en cause : « Ce qui se passe est très violent, poursuit Alain Carini. L’hôpital Saint-Vincent de Paul a été fermé en dix ans, l’Hôtel-Dieu en trois ans, et nous devons nous positionner en un mois. » Marie-Pierre Ferec reconnaît que ce rythme est rapide, mais elle estime que cela permet de limiter la période d’incertitude, « encore plus difficile à vivre », engendrée par les restructurations.

En réalité, la mobilité est vécue de manière très diverse par le personnel de l’Hôtel-Dieu. Celle du corps médical est naturelle : elle fait l’objet d’une discussion directe entre les chefs de service et les médecins, qui y voient généralement une opportunité d’évolution de carrière. Les infirmières changent elles aussi facilement d’hôpital : à l’AP-HP, leur turnover est de 20 % par an.

La mobilité est bien moins évidente pour les paramédicaux de moindre qualification, les personnels techniques et administratifs. « Certaines personnes sont déstabilisées, notamment celles qui ont exercé le même métier dans le même hôpital depuis des années. C’est une minorité non négligeable », explique Françoise Bordas. Ces agents découvrent souvent l’exercice du CV, généralement réclamé par leur futur service, même si le poste est assuré. La cellule propose son aide : « Lorsqu’il est bien compris, le CV peut se révéler un exercice intéressant, qui permet à l’agent de revenir sur son parcours professionnel, de le valoriser, de reprendre confiance quant à ses capacités », poursuit la conseillère.

Au final, la plupart des personnels suivent leur service. Ceux qui profitent de leur mobilité le font à l’intérieur de la fonction publique hospitalière, généralement au sein de l’AP-HP. Françoise Bordas cite de rares exemples de reconversions : des peintres qui ont suivi une formation pour devenir plombier, toujours au sein de l’AP-HP, un technicien de laboratoire passé dans le privé. Mais elle note une évolution positive : « Nombre d’agents ont passé un cap. Ils s’investissent davantage dans leurs projets. »

Sauf que l’environnement continue, lui, à rester incertain. Le 10 juillet, la ministre de la Santé Marisol Touraine a décidé de reporter la fermeture des urgences, programmée le 4 novembre, « en raison de la dégradation du contexte social ». Les lettres de positionnement étaient pourtant déjà parties. Le transfert est donc suspendu. En 2010, 2 000 personnes travaillaient à l’Hôtel-Dieu. Il en reste aujourd’hui 600 selon les syndicats. Et combien en 2014 ?

L’ESSENTIEL

1 En 2010 a débuté la restructuration de l’Hôtel-Dieu. D’ici à la fin de l’année, 2 000 agents doivent être transférés à l’hôpital Cochin tout proche.

2 Une cellule de mobilité accompagne les agents qui le souhaitent. Au premier semestre 2013, 200 personnes y ont été reçues.

3 Le contexte social est tendu : de nombreuses incertitudes entourent la reconversion de l’hôpital, et la ministre de la Santé a suspendu brutalement le transfert des urgences.

Une triple contestation sociale, médicale et politique

Fin juin, à l’invitation du cabinet de conseil Nile, la directrice générale de l’AP-HP Mireille Faugère défend le nouveau projet médical de l’Hôtel-Dieu, qui va devenir « une structure de soins sans rendez-vous, sans lits d’hospitalisation, fonctionnant 24 heures sur 24. C’est un projet risqué parce qu’il est innovant ».

Elle admet que la restructuration se déroule dans un contexte difficile : « Je comprends le désarroi, les craintes, la difficulté à se projeter dans le futur. » En 2012, deux avis de « danger grave et imminent » ont été consignés au CHSCT, liés aux risques psychosociaux engendrés par les transferts. L’inspectrice du travail a estimé que cette « alerte » n’était pas « dénuée de fondement ». Il existe en parallèle une opposition au projet médical, qui s’est cristallisée autour du transfert des urgences. Un médecin urgentiste, Gérald Kierzek, a même rédigé un contre-projet, soutenu par les syndicats.

Cette mobilisation a fait plier la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui a annoncé le 10 juillet le report du transfert des urgences. À quelques mois des élections municipales, l’avenir de l’Hôtel-Dieu devient aussi un enjeu politique.

Auteur

  • CAROLINE COQ-CHODORGE