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Le forfait-jours : que de chausse-trapes !

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 30.10.2012 |

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Le forfait-jours : que de chausse-trapes !

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Non seulement la loi encadre strictement le forfait-jours mais la Cour de cassation est venue contraindre l’employeur à un quasi-contrôle du temps de travail, antinomique avec ce type de durée du travail fondée sur la flexibilité. Or, les employeurs ne sont pas toujours en règle avec ces obligations nouvelles si bien que les contentieux pour heures supplémentaires font florès. Les sommes en jeu sur 5 ans (durée de la prescription) sont considérables. À l’approche de la fin d’année, il n’est pas inutile de rappeler les obligations qui s’imposent à l’employeur

Depuis la loi du 20 août 2008, doit être organisé chaque année avec le salarié en forfait-jours un entretien annuel portant sur la charge et l’organisation de son travail, l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération(1). Ces 4 sujets doivent être abordés durant l’entretien d’évaluation ou séparément ; une trace écrite doit être conservée aux fins de preuve. Mais cet entretien annuel est très insuffisant.

L’employeur s’imagine souvent que le cadre au forfait-jours n’étant soumis à aucun horaire, il ne doit pas vérifier son temps de travail. Erreur ! La Cour exige que le principe du forfait soit prévu par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, que l’employeur s’assure du respect par le salarié des temps de repos (11 heures par nuit et 35 heures par semaine) et qu’une convention individuelle de forfait soit signée avec le salarié(2). L’employeur doit en outre avoir en place des mesures garantissant que “l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé”(3). Un cadre ne doit pas travailler régulièrement 70 heures par semaine au prétexte qu’il est “au forfait” !

Comment s’en assurer sans contrôler le temps de travail ? Le plus simple est de faire remplir au salarié un formulaire auto-déclaratif mensuel dans lequel il recense ses journées ou demi-journées de congés (CP, “RTT”…) et de lui faire signer un engagement de respecter ses temps de repos journaliers.

Encore faut-il que ces décomptes ne soient pas simplement classés au dossier mais fassent l’objet d’une revue attentive entre l’employeur et le salarié. Il est ainsi conseillé de prévoir deux ou trois entretiens au cours de l’année pour faire un point sur l’organisation et la charge de travail et l’amplitude des journées d’activité.

Si l’employeur ne formalise pas correctement les entretiens annuels obligatoires ou ne s’assure pas de ce que le salarié bénéficie de ses repos journaliers et hebdomadaires, il prend le risque que la convention de forfait soit privée d’effet même si l’accord collectif sur la réduction du temps de travail (de branche ou d’entreprise) et les conventions de forfait signées avec les salariés sont conformes à la jurisprudence de juin 2011.

Bien sûr, c’est au salarié de produire tous éléments permettant de convaincre le juge de l’existence des heures supplémentaires, mais la charge de la preuve est partagée et l’employeur doit être en mesure de démontrer le contraire. En outre, la Chambre sociale, dans un arrêt de principe, vient de considérer que la charge de la preuve du respect des seuils et plafonds incombe au seul employeur, ce qui s’applique donc aux jours de repos(5).

Lorsque la convention de forfait est annulée, le risque financier pour l’employeur peut être substantiel : sur cinq ans, paiement de l’intégralité des heures supplémentaires (sur la base de 35 heures ou de l’horaire collectif) et indemnisation pour perte des repos compensateurs afférents, ce qui modifie rétroactivement toutes les sommes assises sur le salaire de base versées durant la période (variable, bonus, primes…); si le contrat de travail est déjà rompu, le salarié a droit en outre à un rappel d’indemnités de congés payés, de préavis et de licenciement et à une indemnité pour travail dissimulé égale à six mois de salaire.

Opter pour le forfait-jours est devenu un exercice périlleux qui doit faire l’objet d’une vigilance accrue tant les obligations entourant ce dispositif sont maintenant nombreuses et leur non-respect particulièrement coûteux. Encore une fois, les employeurs se trouvent face à des obligations nouvelles imposées par la Cour de cassation, en pratique rétroactives, qui créent un effet d’aubaine pour les salariés licenciés.

Viviane Stulz, avocate associée au Cabinet Actance, membre fondateur d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

(1) Article L. 3121-46 du Code du travail.

(2) Cass. Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107.

(3) Cass. Soc. 26 sept. 2012, n° 11-14.540.

(4) Article L. 3171-4 du Code du travail.

(5) Cass. Soc. 17 oct. 2012 n° 10-17.370.