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Les ex-Conti n’en ont pas fini avec leur conflit

Pratiques | Retour sur… | publié le : 17.07.2012 | STÉPHANIE MAURICE

À Clairoix (Oise), les blessures ne sont pas refermées pour les anciens salariés de Continental, qui attendent toujours le jugement des prud’hommes. Dans un bassin d’emploi sinistré, moins de la moitié d’entre eux ont retrouvé un emploi, malgré un accompagnement de plus de deux ans.

Les anciens Continental devront patienter. Ils attaquaient le motif économique de leur licenciement devant le conseil des prud’hommes de Compiègne. Celui-ci a décidé de reporter son délibéré au 26 novembre prochain. Ils étaient 526 à attendre la décision, le 25 juin, mais les juges ont préféré opter pour le rapatriement de 150 dossiers supplémentaires, déposés au tribunal de Soissons, pour se déterminer sur l’ensemble.

PSE aux termes avantageux

L’affaire est emblématique : les Conti ont occupé le front de l’actualité sociale pendant toute l’année 2009, avec manifestations à répétitions, dégradations dans la sous-préfecture de Compiègne, et finalement, un PSE aux termes avantageux pour les 1 113 salariés licenciés : prime extralégale de 50 000 euros par personne et congé de mobilité de deux ans, une durée exceptionnelle.

Mais la blessure de la fermeture de l’usine de pneumatiques, en janvier 2010, reste toujours aussi vive. Pour beaucoup des anciens ouvriers de l’usine, « la trahison » de la direction, ainsi qu’ils la désignent, remonte à l’accord du 12 septembre 2007. « Nous étions à 37,5 heures de présence pour 35 heures de travail effectif. Nous avons accepté de passer à 40 heures de présence pour 37,5 heures de travail effectif, contre l’embauche en CDI de 130 intérimaires et un investissement dans l’outil de travail de 38 millions d’euros », rappelle Antonio Da Costa, secrétaire CFTC du comité d’entreprise. La CFTC, majoritaire à l’époque, est l’un des deux syndicats signataires, avec la CFE-CGC. « Pour nous, nous sauvions l’usine », insiste Antonio Da Costa. « Il s’agissait bien d’un accord de pérennité, ce qui était clairement indiqué », précise Me Alexandra Soumeire, l’un des avocats des ex-Conti. Malgré les efforts consentis par les salariés, la fermeture de l’usine est annoncée le 11 mars 2009, en présence des dirigeants allemands du groupe, dont le siège est à Hanovre.

Sauvegarder la compétitivité

La direction de Continental France plaide la bonne foi. « Nous étions alors au cœur d’une crise dont personne ne peut nier la profondeur et le caractère inédit, explique Philippe Bleurvarcq, DRH de l’usine de Clairoix. Mais en 2009, nous étions en surcapacité de production, avec des chutes de vente considérables. Nous devions passer par des mesures d’ajustement pour sauvegarder la compétitivité. » L’argumentaire ne convainc pas les ex-salariés. Antonio Da Costa rappelle les bénéfices de la division pneus tourisme et petits utilitaires de Continental France en 2008 : 27 millions d’euros, dont 17 millions pour le site de Clairoix. Sont mises en parallèle la fermeture de l’unité française et l’augmentation de la production constatée dans une usine roumaine du groupe. « Pendant un an, nous avons mis au point les robots-machines dernier cri, ce qui a fait baisser notre productivité, sans que l’on nous dise qu’ils étaient programmés pour aller ailleurs », reprend le syndicaliste. « Nous avons investi 20 millions d’euros dans l’outil de travail à Clairoix entre 2007 et 2008, se défend Philippe Bleurvarcq. Ce qui montre la bonne volonté de Continental. »

Opération boursière hasardeuse

En fait, le groupe Continental se trouvait dans une situation financière délicate liée à son rachat en 2008, via une OPA hostile, par Schaeffler, un groupe familial allemand. À la suite d’une opération boursière hasardeuse, où il a dû acheter beaucoup plus d’actions de Continental qu’il ne l’avait prévu, Schaeffler s’est retrouvé endetté à hauteur de 22 milliards d’euros. « Il fallait que Continental crache du profit comme jamais pour rembourser cet emprunt », ironise Me Fiodor Rilov, l’un des défenseurs des salariés. Il espère faire reconnaître la maison mère allemande, Continental AG, comme co-employeur des salariés de Clairoix, usine de sa filiale française.

Les avocats des ex-Conti mettent également en cause la qualité de l’accompagnement des congés mobilité, même s’ils reconnaissent leur durée exceptionnelle, deux ans à 78,04 % du salaire net. « La cellule Altedia devait proposer à chaque salarié deux offres valables d’emploi – c’est-à-dire avec un niveau de rémunération qui ne soit pas inférieur à 80 % du salaire brut initial – ni éloigné de plus de 50 km de leur domicile pour les non-cadres, de 100 km pour les cadres », précise Me Soumeire, pour qui ce contrat n’a pas été respecté. À la fin du congé, au 31 décembre 2011, seuls 464 salariés (42 % des effectifs) étaient en situation d’emploi (CDI ou CDD de plus de six mois, ou création d’entreprise). En cause, un bassin d’emploi sinistré, avec des salaires plus bas que ceux des ex-Conti, et des ouvriers monospécialisés et âgés. La direction de Continental évoque aussi la mauvaise réputation de ses anciens salariés, gagnée, estime-t-elle, durant le conflit : « Nous notons une dissémination considérable des emplois retrouvés, dans plus de 500 entreprises différentes. Les chefs d’entreprise ne voulaient pas embaucher plus d’un ou deux Contis. »

Début 2012, elle accepte cependant de prolonger de six mois l’accompagnement par Altedia, pour ceux qui le souhaitaient. Une option choisie par 328 personnes sur les 483 inscrites à Pôle emploi Picardie au 31 mai 2012. Face au nombre important d’ex-salariés encore accompagnés, le 29 juin dernier, après une réunion ex-Conti, direction et représentants de l’État, Continental France a encore prolongé la cellule de reclassement, sans donner de date butoir de fermeture.

Auteur

  • STÉPHANIE MAURICE