logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

INDIVIDUALISER SANS DISCRIMINER

Enquête | publié le : 13.03.2012 | CÉLINE LACOURCELLE

Image

INDIVIDUALISER SANS DISCRIMINER

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Entre la crise qui réduit les marges de manœuvre budgétaires et l’exigence d’équité, rappelée si nécessaire par la jurisprudence, les entreprises élaborent pour leurs cadres des packages salariaux complexes, afin de récompenser de manière ciblée la performance et les compétences.

La rémunération des cadres, éternel casse-tête des périodes de ralentissement de l’activité ? Sans doute, à observer la multitude de pratiques des entreprises, contraintes de recruter et de fidéliser sur un marché en panne de talents. Une chose est sûre : l’individualisation se confirme. En témoigne la dernière enquête de rémunération de Mercer France concluant à la quasi-disparition des augmentations générales pour les cadres, attestée par un autre état des lieux, dressé par le cabinet Robert Walters, pointant des écarts de rémunération de plus en plus manifestes entre cadres, surtout en faveur des experts. Pour Jean-Luc Haas, secrétaire national CFE-CGC, la pratique est aujourd’hui consommée : « Quand elles ne sont pas sur des pratiques mixtes, avec du collectif et de l’individualisé, du variable et du fixe, les entreprises misent tout sur l’individuel. » Leurs moyens ? Ils varient au gré des modes, des conjonctures et des recadrages des juges.

Études de rémunération externes

Quelques principes restent toutefois immuables, à l’instar de l’augmentation annuelle au mérite. « Les chiffres en la matière varient peu, on se situe autour de 3 %, observe Aïda Mkoun, responsable aux activités de benchmark de Hay Group. Mais ce n’est pas 3 % pour tout le monde, les entreprises utilisent les extrêmes dans leur différenciation, entre 0 % pour les moins performants et 10 %, voire 15 % pour ceux qu’elles veulent retenir. » Avec, en guise d’indicateurs, les études de rémunération externes.

Selon une étude européenne de Deloitte, publiée en février dernier, 88 % des entreprises les utilisent comme principal outil de prise de décision. Histoire de vérifier que leurs collaborateurs sont payés au juste prix, et surtout pas en dessous, à l’heure où la gestion des potentiels arrive en tête de leurs préoccupations. À cela s’ajoute une dose de variable, à la manière des Anglo-saxons, sur des postes traditionnellement écartés de tels mécanismes, dans les services fonctionnels notamment. Le montant des bonus versés représente, selon Deloitte, une part significative de la masse salariale (entre 10 % et 20 % en moyenne). Une réalité confirmée par l’Insee dans son panorama 2012 “Emploi et salaires”. La conséquence, selon certains, de la crise qui a largement entamé, voire gelé les augmentations générales. Cette part variable grimpe aussi du fait de certains composants collectifs, comme la participation et l’intéressement. Ces périphériques bénéficient d’une véritable cote d’amour. Et pour cause : « Ils sont fiscalement plus intéressants pour l’entreprise et le salarié. Et, dans une certaine mesure, ils peuvent participer à une forme de fidélisation », commente Laurent Hürstel, directeur associé de Robert Walters.

Rémunérations indirectes encadrées

Reste quelques recettes indémodables. Les usages diffèrent selon les moyens des entreprises, entre l’amélioration de la couverture santé, les compléments pour la retraite et les emblématiques voitures de fonction dans le peloton de tête des avantages plébiscités par les salariés. Toutefois, ces rémunérations indirectes sont aujourd’hui strictement structurées et encadrées selon des règles internes, obéissant au grade et non à l’individu. C’est sans doute la grande nouveauté : les entreprises souhaitent faire valoir des systèmes plus équilibrés et plus justes.

Le temps du cafeteria plan ou salaire à la carte du début des années 2000 est également révolu, trop compliqué à mettre en œuvre sans risque. L’explication ? « Une plus grande prudence des entreprises face à des juges qui s’invitent de plus en plus dans leur politique salariale », conclut Alain Ménard, avocat associé du cabinet Racine.

Davantage de litiges

Les contentieux se multiplient (lire p. 24). À cause, ici, d’un système de variable incompréhensible ; là, de différences de traitements injustifiés, ou encore de coups de pouce échappant aux cotisations sociales. La peur d’un redressement par l’Urssaf a conduit la direction de BNP Paribas à revoir à la hausse, à compter de cette année, le taux préférentiel des crédits consentis à son personnel, inférieur de 30 % à celui servi à la clientèle. « Il y a le respect du droit et, plus récemment, l’appréciation des juges sur ce qu’ils considèrent comme abusif ou disproportionné », complète Me Cyril Catté, du cabinet Gibier, Souchon, Festivi, Rivierre.

Du coup, les excès ne passent pas inaperçus. Dernièrement, Air France a dû revoir les tarifs ultrapréférentiels de ses billets d’avion réservés à ses dirigeants. Ceux de Seb se sont vus privés, par les actionnaires du groupe, de stock-options et d’actions gratuites en 2011. Trop élitistes et peu populaires, ces stock-options, en vogue dans les années 2000, sont globalement en perte de vitesse, car elles n’ont pas généré les effets escomptés, selon Laurent Hürstel. « Sur le nombre de salariés éligibles, peu d’entre eux ont pu les transformer en rémunération concrète. » Pas certain donc qu’une plus grande fiscalisation de ces produits, comme l’envisagent certains candidats à la présidentielle, ait un quelconque impact.

Iniquité entre PME et grands groupes

Mais, pour Jean-Luc Haas, l’équilibre, s’il est recherché en interne, est largement mis à mal au sein de la population cadre. « Les périphériques, les bonus ou encore les avantages en nature créent de l’iniquité entre les collaborateurs de PME et ceux des grandes entreprises. À cela, s’ajoutent les écarts de grilles entre branches. »

Les entreprises plus modestes n’ont d’autres choix que de faire preuve de créativité et imaginer des éléments de reconnaissance non monétaires. Patricia Szenik, consultante senior du groupe Axcess, experte en ingénierie sociale et en développement RH, observe ainsi des propositions en matière de home working et de services aux salariés. Aïda Mkoun note, pour sa part, la multiplication des programmes de développement ou des accompagnements de type coaching. Une réponse en phase avec les demandes des salariés, notamment ceux de la fameuse génération Y.

L’ESSENTIEL

1 S’il est difficile de dessiner à grands traits la rémunération des cadres en raison de la diversité des pratiques, une constante émerge : l’individualisation, totale ou partielle, aujourd’hui généralisée.

2 Les variables, qui n’alourdissent pas durablement la masse salariale, sont élargies à des fonctions de plus en plus nombreuses. L’épargne salariale et la voiture de fonction restent très populaires.

3 Ces politiques de rémunération se fondent sur l’équité. Une manière d’être en phase avec certaines valeurs internes mais aussi et surtout d’échapper à la sanction des juges.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE