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Comment sécuriser les mobilités externes

Enquête | publié le : 22.02.2011 | ÉLODIE SARFATI

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Comment sécuriser les mobilités externes

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Prêt de main-d’œuvre, mobilités intragroupe, droit au retour… pour sécuriser les changements d’emploi et éviter des ruptures trop brutales, des entreprises expérimentent d’autres formes de mobilité, y compris hors de leurs frontières.

Comment accompagner les transitions professionnelles sans faire passer les salariés par la case chômage ou le licenciement contraint ? Deux ans après le début d’une crise qui n’en finit pas de finir, et alors que de nombreux accords de GPEC sont, cette année, en renégociation, la question de la mobilité se pose avec une acuité renforcée. Elément, au même titre que la formation, de l’employabilité des salariés, elle peut prendre des formes multiples, qui conjuguent changement et sécurisation.

Confrontées à des baisses de charge, certaines entreprises ont ainsi expérimenté des dispositifs de mobilité temporaire. Notamment le prêt de main-d’œuvre, formule remise au goût du jour par les partenaires sociaux pendant la crise (lire encadré p. 22). Certaines l’ont organisé à l’échelle de l’entreprise, comme Renault (lire p. 23) ou Arcelormittal. Depuis 2008, le groupe sidérurgique organise des détachements temporaires entre ses différents sites « pour répondre aux fluctuations internes d’activité », précise Jean-Pierre Mullié, directeur de la coordination RH France. D’une durée de un à six mois, ces détachements ont été « plus abondants pendant la crise », ajoute-t-il, quoique limités géographiquement pour éviter des déplacements trop importants et trop coûteux.

Ajuster les ressources aux besoins

Du coup, Arcelormittal a engagé une réflexion pour tenter de développer ces mouvements temporaires avec d’autres entreprises, à l’intérieur des bassins d’emploi. D’une part en adhérant à des groupements d’employeurs, d’autre part en développant le prêt de main-d’œuvre interentreprises. « Nous voyons dans ces dispositifs beaucoup d’opportunités pour notre gestion de l’emploi, à la fois pour ajuster nos ressources à nos besoins, et pour offrir à nos salariés la possibilité de diversifier des expériences de nature à développer leurs compétences », prédit Jean-Pierre Mullié.

Soitec, entreprise de microélectronique du pôle Minalogic, à Grenoble, a fait l’expérience de ce double avantage. Pendant quinze à dix-huit mois, indique la DRH Corinne Margot, elle a détaché 20 salariés – opérateurs, techniciens ou ingénieurs – au CEA voisin, profitant notamment d’une loi de 2006 autorisant l’expérimentation de prêt de salariés à l’échelle des pôles de compétitivité. Dans son volet défensif, le prêt de main-d’œuvre a permis à l’entreprise de préserver ses compétences le temps d’une mauvaise passe, et aux salariés concernés de garder leur poste – mais 70 autres postes ont tout de même été supprimés par le biais de départs volontaires. Dans une perspective plus durable, cet outil s’est intégré dans la politique de gestion des carrières de Soitec. Après son entretien de retour, un opérateur est passé technicien, un ingénieur process est devenu ingénieur prototype… « C’est une formule gagnante pour tout le monde », résume Corinne Margot.

Des garde-fous juridiques nécessaires

Le prêt de main-d’œuvre est toutefois une solution limitée en volume, puisqu’elle implique la coïncidence des besoins entre deux entreprises, qui doivent se connaître, échanger et se faire confiance. Il nécessite également des garde-fous, juridiques et opérationnels, garantissant notamment le volontariat des salariés. D’où l’intérêt de le mettre en œuvre à une échelle plus large, sur la base d’un cadre précis et partagé.

En Haute-Savoie, une expérience en cours développe le prêt de salariés à l’échelle du territoire (lire p. 26). La loi de 2006 n’ayant pas été prolongée en 2011, Soitec se rapproche d’autres partenaires, notamment au sein du pôle de mobilité régional (PMR) de Grenoble.

Un outil de GPEC

Pour Marie-Laurence Boulanger, avocate associée au cabinet Fromont Briens, le prêt de main-d’œuvre est sans conteste un outil de GPEC, en ce qu’il « étend les perspectives d’évolution pour les salariés ». C’est d’ailleurs ainsi que l’aborde l’accord GPEC de la branche métallurgie de mai 2010, qui incite les entreprises à « favoriser » le prêt de main-d’œuvre, notamment entre donneur d’ordres et sous-traitant. Il rappelle qu’il peut déboucher sur un « transfert définitif » par voie de « mutation concertée » entre le salarié et les deux entreprises, garantissant par exemple la reprise de l’ancienneté du salarié.

Une approche pour le moins novatrice, tant les entreprises sont, en France, « marquées par la culture du marché interne de l’emploi, consistant à aménager les carrières à l’intérieur des entreprises », schématise Bernard Gazier, professeur au Centre d’économie de la Sorbonne. Mais une approche néanmoins nécessaire pour développer l’employabilité des salariés : « L’emploi pérenne et durable au sein de la même entité n’existe plus : dans ce contexte, certains salariés pourront évoluer au sein de la même entreprise, d’autres non. C’est pourquoi il est nécessaire d’anticiper et d’accompagner les mobilités, internes mais aussi externes », rappelle Annick Sers, directrice Ile-de-France du cabinet Horémis.

Face à cette incitation permanente à la mobilité, les salariés restent prudents, dès lors qu’ils n’ont pas d’autre choix que de rompre leur contrat de travail pour changer d’employeur. Pourtant, les entreprises peuvent lever ces freins, d’abord en développant la mobilité au niveau des groupes. « Très peu de GPEC de groupes sont négociées, regrette Me Boulanger, ce qui est une aberration. »

Même analyse de la part d’Henri Rouilleault. L’ancien directeur général de l’Anact a remis fin janvier à Xavier Bertrand un rapport contenant 41 propositions pour « renforcer l’accompagnement des transitions professionnelles ». L’une d’elles est de favoriser la négociation de groupe : « La réalité du système productif se passe de plus en plus à ce niveau, et la mobilité gagnerait à être définie dans ce cadre pour offrir davantage de possibilités aux salariés. » La réflexion est en cours chez Safran, qui négocie un accord GPEC de groupe. D’autres entreprises s’y sont lancées, comme les trois mutuelles (GMF, Maaf, MMA) réunies au sein de Covéa (lire p. 24).

Revenir dans l’entreprise en cas d’échec

Une autre proposition du rapport reprend l’idée d’une « mobilité externe sécurisée et contractualisée » en l’étendant au-delà même des frontières de l’entreprise ou du groupe. Henri Rouilleault propose d’étendre à toutes les professions la « période de mobilité » créée par les partenaires sociaux de la métallurgie dans l’accord précité. Celle-ci vise à permettre aux salariés de tester un nouvel emploi, tout en ayant la possibilité de revenir dans leur entreprise d’origine en cas d’échec. « En matière de formation, le DIF a trouvé sa place dans une zone mixte de co-investissement, entre le CIF, relevant de la seule initiative du salarié, et le plan de formation de l’entreprise. De même, il y a un espace pour une mobilité coconstruite, relevant d’une double négociation : collective pour en déterminer le cadre et les règles, et individuelle, autour du parcours du salarié », relève Henri Rouilleault.

La période de mobilité prendra-t-elle sur le terrain ? Florence Buisson-Vincent, directrice juridique emploi formation à l’UIMM, assure que les entreprises à qui l’accord a été présenté se sont montrées intéressées. « Elles savent qu’elles auront de plus en plus besoin de compétences nouvelles, construites par la découverte de nouveaux environnements. Elles ont donc intérêt à susciter ces mobilités. »

Compétences nouvelles

Des accords de GPEC commencent à intégrer ces nouvelles formes de mobilité, comme celui signé récemment chez Renault (lire p. 23). Pour Alain Dermenjian, secrétaire fédéral de la CFDT Métallurgie, « le droit au retour limite d’abord les risques de mobilité forcée. De plus, quand le salarié sait qu’il peut revenir, il s’engage plus facilement ». En attendant d’être rassuré par l’état du marché de l’emploi : d’après l’Apec, 9 % des cadres en poste avaient volontairement quitté leur entreprise en 2008. Ils n’étaient plus que 5 % en 2009.

L’essentiel

1 La crise a montré l’intérêt de certains dispositifs de détachement temporaire, en interne ou en externe, pour limiter le chômage partiel et éviter des licenciements.

2 Ces outils peuvent s’insérer dans une politique de GPEC, en permettant aux salariés de varier les expériences dans un cadre sécurisé.

3 Pour inciter à la mobilité externe, la branche métallurgie a institué une “période de mobilité” qui donne un droit au retour aux salariés.

La sécurisation dans les textes

→ Le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif est autorisé par l’article L. 8241-2 du Code du travail. Néanmoins, les entreprises doivent être vigilantes et encadrer ces détachements « par des conventions précisant l’objet et la durée du transfert, ainsi que le partage des responsabilités – administratives, disciplinaires, opérationnelles –, souligne Me Pierre Lubet, avocat au cabinet Altana. Surtout, l’entreprise prêteuse doit refacturer uniquement le salaire et les charges, pour ne pas risquer une condamnation pour prêt de main-d’œuvre illicite ».

→ L’accord national interprofessionnel (ANI) du 8 juillet 2009 sur la gestion sociale des conséquences de la crise sur l’emploi détaille les principes du recours au prêt de main-d’œuvre (convention, consultation des IRP…), présenté comme un outil pouvant « éviter le licenciement et le chômage partiel ». Il incite les entreprises et les groupes à faciliter et à sécuriser les mobilités internes en mettant en place une « période expérimentation mobilité », assortie d’un droit au retour.

→ C’est cette sécurisation que prévoit l’accord GPEC de la métallurgie du 17 mai 2010. La « période de mobilité » assure au salarié de retrouver un emploi et une rémunération équivalents au poste occupé en cas d’échec. En cas de réussite, la rupture du contrat peut se faire par démission sans préavis ou par rupture conventionnelle.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI