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Guerre syndicale à l’américaine chez Sodexo

Les pratiques | publié le : 23.11.2010 | GUILLAUME LE NAGARD, CAROLINE TALBOT

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Guerre syndicale à l’américaine chez Sodexo

Crédit photo GUILLAUME LE NAGARD, CAROLINE TALBOT

Un rapport d’ONG accusateur, des pratiques antisyndicales avérées et la campagne de grande ampleur d’un puissant syndicat nord-américain : le groupe français de restauration collective, se disant pourtant soucieux de responsabilité sociale, traîne depuis un an un sérieux boulet, qui pourrait finir par menacer son chiffre d’affaires. Il a décidé de réagir.

Mauvaise passe pour Sodexo sur la scène publique. Sur plusieurs de ses sites, le leader français de la restauration collective s’est retrouvé confronté à la star américaine Danny Glover, notamment équipier de Mel Gibson dans la superproduction hollywoodienne L’Arme Fatale. C’est que, dans ses campagnes de communication, la Service employees international union (SEIU), puissant syndicat américain des services, dont l’acteur est un fidèle soutien, voit les choses en grand. Pour préparer son intervention à Paris en octobre dernier aux côtés de la CGT et de la CFDT il s’était aussi assuré l’aide d’une agence de relations publiques, plus habituée à gérer les budgets de grandes entreprises françaises.

Or, depuis un an, le SEIU, qui représente 1,8 million de salariés aux Etats-Unis, au Canada et à Porto Rico, accuse Sodexo de pratiques antisyndicales, campagne appuyée par des mobilisations et relayée en continu sur un site dédié : Cleanup Sodexo(1).

Dépôts de plainte

La multinationale française, qui compte 100 000 salariés aux Etats-Unis, a-t-elle été entraînée à son corps défendant en un combat douteux, dont les enjeux s’étendraient bien au-delà de ses murs et toucheraient aussi à la stratégie globale de la SEIU et à sa lutte contre un autre géant du syndicalisme américain, comme le plaide Michel Landel, patron du groupe de restauration ? Ou Sodexo prend-elle des libertés avec la liberté syndicale, comme le soutiennent non seulement la SEIU, mais aussi la CGT ? La centrale de Montreuil a en effet déposé une plainte auprès de l’antenne française de l’OCDE pour ce motif, le syndicat américain expédiant la sienne à l’antenne de Washington, pour la situation aux Etats-Unis et en Colombie.

Le dossier à charge paraît en tout cas consistant et documenté, d’autant plus depuis que l’ONG Human Rights Watch a publié, en septembre dernier, un rapport sur les pratiques antisyndicales aux Etats-Unis de multinationales d’origines européennes, dans lequel Sodexo (ainsi que Saint-Gobain notamment, lire p. 16) figure en bonne place.

Selon l’ONG, ces entreprises multiplient les obstacles face aux syndicats qui veulent faire leur entrée chez elles. Aux Etats-Unis, la loi permet à l’employeur de faire campagne avant des élections contre un syndicat qui souhaite s’implanter sur ses sites. Si une majorité de salariés s’exprime malgré tout en faveur de ce syndicat, celui-ci est certifié représentatif par l’agence nationale chargée des relations du travail (NLRB). Les employeurs choisissent de plus en plus cette voie, selon Human Rights Watch, alors qu’il leur est aussi permis de reconnaître volontairement un syndicat, dès lors que celui-ci prouve que les salariés y ont adhéré. En revanche, il est interdit dans tous les cas de menacer ou de licencier les salariés syndiqués ou s’apprêtant à voter en faveur d’un syndicat.

Quatre licenciements

Human Rights Watch relève que les cadres de Sodexo ont bataillé ferme contre les syndicalistes de Unite et de la SEIU sur plusieurs sites. Dans une entreprise de nettoyage industriel à Phoenix, dans l’Arizona, les 200 salariés du groupe ont pris langue avec les syndicalistes en 2003. Quatre meneurs ont été licenciés et l’encadrement du groupe a expliqué aux autres salariés les “risques” encourus pour leur carrière, selon l’ONG. La justice s’en est mêlée ; deux ans plus tard, Sodexo a dû réintégrer les licenciés.

Hormis ce cas de violation du national labor relation act (qui définit le droit syndical américain), l’ONG a produit des documents internes de Sodexo, destinés aux cadres et expliquant comment réagir face à une tentative d’“unionisation” de leur établissement. Rien d’illégal, mais un comble, relève l’auteur, pour une entreprise signataire du Global compact des Nations Unies, dans lequel sont expressément mentionnées la liberté d’association et la négociation collective, ainsi que des principes de Sullivan, qui encouragent les mêmes pratiques. « En réalité, Sodexo utilise des manières très américaines pour éviter la syndicalisation dans ses établissements », insiste Renee Ascher, porte-parole de la SEIU.

Mais, depuis quelques semaines, et après deux alertes sur la question des droits humains émises par la société de notation extra financière Vigeo, la multinationale française a décidé de contre-attaquer, alors que cette campagne pourrait finir par lui faire manquer des marchés publics, dont celui des Marines américains, en cours de négociation. Elle a lancé le site Inside Sodexo(2) pour mettre en avant ses bonnes pratiques, et vient de réaliser une enquête mondiale sur l’engagement de ses salariés.

Lutte d’influence

Dans une interview aux Echos le 26 octobre, puis lors du point presse sur les résultats du groupe, le 10 novembre, Michel Landel a développé les arguments contenus dans sa lettre de réponse de juillet dernier à Human Rights Watch : « Nous ne sommes pas dans un schéma de conflit social, mais dans une lutte d’influence d’un syndicat qui essaie de passer outre aux élections syndicales en imposant un accord au détriment des autres. Nous n’avons pas de problème avec les autres syndicats. » Là où la SEIU souligne que Sodexo préfère des élections pour faire campagne agressivement, le groupe rétorque donc que cette organisation voudrait priver les salariés du choix de leur syndicat. Et de souligner les 330 accords signés dans l’entreprise aux Etats-Unis avec 30 syndicats, ainsi qu’un taux de syndicalisation de 18 %, bien supérieur à celui de la moyenne du secteur privé. Argument balayé par la SEIU, qui met en avant la syndicalisation nettement plus élevée des deux autres géants de la restauration collective, Compass (29 %) et Aramark (31 %).

En revanche, force est de constater que l’histoire syndicale chez Sodexo aux Etats-Unis est complexe et troublée. La campagne de la SEIU a démarré en 2009, au terme d’un accord de quatre ans (2005-2009) par lequel l’entreprise s’était engagée à ouvrir un certain nombre de sites aux syndicats.

Des dissensions syndicales anciennes

Les deux principales organisations, Unite Here et la SEIU, avaient alors créé une section conjointe : Service United Workers. Mais, par la suite, les deux syndicats se sont violemment disputé la paternité de cette nouvelle organisation. Sodexo s’estime victime d’une guerre de territoire, la SEIU souhaitant fédérer le plus possible de salariés pour peser sur ce secteur concentré et soumis à de fortes pressions concurrentielles.

De fait, ce syndicat vient lui aussi d’être attaqué devant la NLRB, pour les conditions de travail inéquitables qu’une organisation affiliée, la section de Rochester de Workers United, a imposées dans un accord d’établissement à deux syndiqués de Unite Here. Derniers feux d’une guerre ancienne, semble-t-il. « Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que nous n’étions pas d’accord », dit aujourd’hui Paul Schwalb, directeur adjoint de la branche restauration collective de Unite Here. Si les deux organisations restent en compétition, elles s’arrangent pour ne pas faire campagne sur les mêmes sites. Mais Paul Schwalb indique aussi que le groupe français « n’a pas montré d’hostilité » lors des campagnes de syndicalisation.

Dernier argument de Sodexo face à Human Rights Watch : les initiatives de Phoenix auraient été prises par des cadres connaissant mal la politique de l’entreprise ; de tels cas avérés seraient « isolés et exceptionnels ». Le groupe a fait réaliser un audit mondial de ses pratiques par la société Deloitte, qui n’a relevé, selon Michel Landel, que quelques défauts ou méconnaissances isolées des procédures.

Un accord-cadre international en vue

Surtout, il négocie depuis plusieurs mois avec l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) un accord-cadre international sur la représentation et la liberté d’association. « Nous avons bon espoir d’aboutir cette année », indique Elisabeth Carpentier, la DRH. Une nouvelle réunion de l’UITA avait lieu cette semaine à Genève. La SEIU, tout comme la CGT ou la CFDT en France, y sont affiliées. « La suite dépendra de l’attitude de Sodexo », prévient Jean-Michel Dupire, patron de la fédération des services de la CGT. Un tel accord, s’il ne réglerait peut-être pas à lui seul le contentieux américain, constituerait certainement un signe d’apaisement. En attendant, la SEIU et Danny Glover prévoient de nouvelles visites médiatisées sur les sites du groupe français.

L’essentiel

1 Le syndicat américain SEIU mène une campagne internationale spectaculaire contre Sodexo, qu’il accuse de pratiques antisyndicales aux Etats-Unis et en Colombie.

2 Un rapport de l’ONG Human Rights Watch pointe ce type de comportement aux Etats-Unis dans des sociétés européennes pourtant acquises aux principes de la RSE… dont Sodexo.

3 Sodexo se juge victime d’une campagne de dénigrement, accuse la SEIU de viser une hégémonie syndicale, et négocie un accord-cadre international sur la représentation des salariés.

RECTIFICATIF

Dans l’article intitulé “A chacun son club RH” paru dans Entreprise & Carrières n° 1023 du 09.11.2010, contrairement à ce qu’indique le site de DéciDRH, Pierre-Marie Argouarc’h (Française des jeux) a démissionné de tous ses mandats chez DéciDRH et n’était plus membre de ce mouvement au moment de la parution de l’article.

(1) <cleanupsodexo.org>

(2) <www.inside.sodexo.com>

Auteur

  • GUILLAUME LE NAGARD, CAROLINE TALBOT