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« Les espaces mal aménagés peuvent signifier la négation du savoir-faire »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 20.07.2010 | CHRISTELLE FLEURY

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« Les espaces mal aménagés peuvent signifier la négation du savoir-faire »

Crédit photo CHRISTELLE FLEURY

Le lieu de travail n’est pas un espace comme un autre : on ne le choisit pas et il ne nous appartient pas. Pourtant, les directions ont intérêt à prendre du temps pour le penser et l’aménager de manière que les salariés puissent y effectuer leurs tâches le plus sereinement possible.

E & C : Qu’est-ce qui est propre au lieu de travail et comment a-t-il évolué, selon vous, ces dernières années ?

Elisabeth Pélegrin-Genel : Ce qui caractérise avant tout le lieu de travail, c’est l’absence de choix. On choisit généralement sa maison – même si les critères répondent parfois à des logiques d’ordre économique, psychologique… non choisies – et on peut choisir d’aller ou non dans un espace public. Ce n’est pas le cas pour le travail. De plus, le lieu de travail n’appartient pas au salarié et on lui fait comprendre implicitement qu’il n’a pas à agir dessus : les bureaux deviennent collectifs, les murs ne peuvent plus être décorés. Il reste parfois la photo des enfants en fond d’écran… Et encore ! On peut maintenant être amené à prêter son ordinateur et, par conséquent, à ne plus y laisser traîner d’informations personnelles. Le lieu de travail est pensé comme un lieu de passage… dans lequel on passe pourtant beaucoup de temps.

E & C : Cela signifie-t-il qu’on se sent forcément mal au bureau ?

E. P.-G. : Non, pas forcément. Beaucoup de gens considèrent que cette évolution permet de séparer nettement vie professionnelle et vie privée. En fait, on se détache de plus en plus de l’espace de travail. La part d’intime ne se voit plus dans l’aménagement du bureau : elle se trouve dans le téléphone mobile ou la clé USB, qui sont des éléments qu’on ne prête pas. Du moins pas encore.

Par ailleurs, le lieu de travail a aussi évolué de manière positive : on a gagné en mobilité. Faire une pause café ou cigarette n’est plus considéré comme du temps volé à l’employeur : des espaces plus grands et mieux faits qu’auparavant sont prévus pour cela – souvenons-nous de la machine à café placée dans un coin de couloir près de la photocopieuse, si possible juste en face du bureau du chef. Par contre, on a perdu en espaces privatifs, qui permettent de se réunir à deux ou trois pour régler des problèmes en face-à-face. Le mail a sans doute beaucoup contribué à ce changement : on évite de plus en plus la confrontation ; et il y a moins de petites salles de réunions placées à l’abri des regards et des oreilles des autres.

E & C : Qu’est-ce qui différencie un lieu de travail bien fait d’un lieu de travail mal fait ?

E. P.-G. : L’espace mal fait est celui qui ne prend pas en compte le travail. C’est aussi un lieu moche, car l’esthétique a une importance pour que les gens se sentent bien, et puissent donc travailler mieux. Au contraire, un espace bien pensé dispose de beaux volumes, d’une lumière et d’une sonorisation agréables, et il est pratique pour les tâches qui doivent y être accomplies. Ainsi, les couloirs aux murs et moquettes gris, qui ouvrent sur toute leur longueur sur des bureaux identiques, correspondent à des clichés négatifs – qui existent malheureusement – qui rendent le travail ennuyeux ! Le lieu de travail mérite du soin. On aménage bien les espaces publics, on peut donc prendre de la peine pour l’aménagement des bureaux.

E & C : Comment les directions et DRH devraient-elles envisager les lieux de travail de leurs collaborateurs ?

E. P.-G. : Les directions réfléchissent avant tout en termes de coût. Pourtant, un lieu de travail bien fait participe à l’image de marque de l’entreprise – certaines en sont d’ailleurs conscientes et font des efforts dans ce domaine. Mais il n’y a pas que l’image ! Certes, le lieu ne peut pas, à lui seul, faire que le travail se passe bien ; mais il y contribue. C’est pourquoi les directions et les DRH doivent accepter, notamment dans le cadre d’un déménagement ou d’un réaménagement, de “perdre du temps” à demander aux gens comment ils travaillent et ce dont ils ont besoin pour travailler. Il faut pour cela identifier le bon niveau de management, qui pourra répondre pertinemment aux questions pratiques.

Mais les DRH craignent souvent d’engager des discussions à ce sujet, de peur qu’elles ne tournent à la remise en cause de l’organisation du travail, du management, etc. Ces débats sont pourtant nécessaires, même – et peut-être surtout – s’ils s’avèrent conflictuels ! Car s’il n’y a pas de discussion préalable sur une modification de l’espace de travail, on peut être sûr que cela générera une inquiétude pendant des mois avant, pendant et après le changement, qui gênera forcément le travail lui-même. Sans compter que, sans débat ouvert, les changements vont se faire en fonction des influences respectives des services, et ceux qui se seront le mieux débrouillés obtiendront la meilleure part, pas forcément pour un meilleur fonctionnement de l’entreprise.

Au final, les empoignades à propos du nombre d’armoires ou du placement du bureau d’untel seront d’autant plus violentes que le sujet aura été nié. Car alors, les salariés y verront le signe de la non-reconnaissance de leur travail et de leur savoir-faire. Les DRH doivent donc considérer ces discussions comme nécessaires : à elles d’expliquer ensuite qu’il y a des choses non négociables – par exemple l’espace attribué à tel service – mais que d’autres le sont, par exemple la disposition de l’espace ou l’emplacement des armoires. Sur ce sujet comme dans beaucoup d’autres, mieux vaut finalement un processus clair avec des discussions ouvertes.

PARCOURS

• Elisabeth Pélegrin-Genel est architecte et urbaniste, spécialiste des constructions durables et des bâtiments à énergie positive, enseignante vacataire à l’école d’architecture de Toulouse. Elle est présidente de l’association Archinov et consultante experte des lieux de travail.

• Elle a publié notamment Des Souris dans un labyrinthe (La Découverte, 2010) et L’angoisse de la plante verte sur le coin du bureau (ESF, 1994).

LECTURES

• Le travail du consommateur, Marie-Anne Dujarier, éditions La Découverte, 2008.

• Penser l’architecture, Peter Zumthor, éditions Birkhäuser, 2007.

• Espèces d’espaces, Georges Pérec, éditions Galilée, réédition 2000.

Auteur

  • CHRISTELLE FLEURY