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La bataille juridique de Plastalliance contre la nouvelle définition de l’abandon de poste se poursuit au Conseil constitutionnel

Règlementation du travail | publié le : 17.06.2023 | Benjamin d'Alguerre

Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance

Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance.

Crédit photo DR

La fédération patronale de la plastugie n’en a pas fini avec la nouvelle définition juridique de l’abandon de poste. Après une première victoire en référé contre le Questions/Réponses du Gouvernement, Plastalliance engage désormais une QPC. Explication avec son secrétaire général, Joseph Tayefeh.

Le 8 juin dernier, le Conseil d’État donnait raison à votre fédération dans sa procédure en référé contre le Questions/Réponses du ministère du Travail sur les abandons de postes. Que trouviez-vous problématique dans ce document ?

Joseph Tayefeh : L’interprétation que faisait le ministère du Travail sur le caractère impératif de la présomption de démission en cas d’abandon de poste d’un salarié nous posait problème. À nous et à de nombreuses entreprises toutes branches confondues, d’ailleurs. Dans sa rédaction d’origine, le Questions/Réponses actait le principe que toute absence injustifiée de quinze jours de la part d’un salarié et suivant une mise en demeure de l’employeur valait démission automatique, ne laissant plus à l’employeur que l’alternative du licenciement disciplinaire. Si l'on avait suivi les directives du texte du ministère, un employeur confronté à un abandon de poste n’aurait eu que deux options : ne rien faire ou considérer que le salarié avait de facto présenté sa démission. Cela place l’entreprise dans une situation d’insécurité juridique. Un exemple : une entreprise constate l’absence d’un salarié durant quinze jours et adresse au salarié absent ses documents de fin de contrat comme le recommande le Q/R. Maintenant, imaginons qu’à cause d’un retard postal, l’entreprise en question reçoive l’arrêt de travail pour maladie ou tout justificatif valable dudit salarié le lendemain ou le surlendemain… Que se passe-t-il ensuite ? Le salarié est-il toujours présumé démissionnaire ? Le juge prendra-t-il en compte la date d’envoi du salarié absent ou celui de sa réception par l’employeur ? Ce genre de situation n’a rien d’anecdotique et arrive régulièrement et, dans les conditions prévues par le Q/R, cela ouvrait un risque de voir nombre de démissions présumées pour abandon de poste requalifiées en licenciements abusifs par les prud’hommes, transférant ainsi le risque juridique sur l’employeur.

L’Unédic, dans une étude dévoilée la semaine dernière fait état de 82 000 abandons de poste ayant donné lieu à indemnisation en 2022. La plasturgie est-elle particulièrement touchée ?

J. T. : Sans doute pas plus et pas moins que d’autres branches, mais nos entreprises constatent effectivement une multiplication des absences injustifiées et des abandons de poste depuis la pandémie de Covid-19, lesquels ont pu aller jusqu’au licenciement disciplinaire. C’est en partant du constat de cette recrudescence que nous avons attaqué le Q/R en référé devant le Conseil d’État. Nous avons obtenu gain de cause puisque le ministère du Travail le retirait de son site le 29 mai, quelques jours après le dépôt du référé par notre avocat, mais attention : les dispositions problématiques sont encore présentes dans le Code du travail numérique. En outre, nous avons attaqué une deuxième fois et une question prioritaire de constitutionnalité sera déposée devant le Conseil d’État pour cause d’inégalité de traitement entre salariés en CDI et en CDD puisqu’en effet, à ce stade, la présomption de démission pour abandon de poste ne s’applique qu’aux CDI. La même faute, c’est-à-dire un abandon de poste non justifié, pourra faire l’objet d’une rupture pour faute grave en CDD, ce qui ne serait pas possible en CDI, selon la doctrine du ministère du Travail qui reste apparemment inchangée malgré le retrait du Q/R. Selon nous, c’est illégal et nous serons très attentifs aux conclusions qu’en tirera le Conseil constitutionnel d’ici la fin de l’année. Par ailleurs, il y a une grande incertitude pour des abandons de postes sanctionnées par une rupture pour faute grave dans un CDD quand ce CDD serait in fine requalifié en CDI. La rupture disciplinaire initiale restera-t-elle valide ?

Force ouvrière et, depuis le 19 juin, la CGT, la FSU et Solidaires, ont également attaqué la nouvelle définition juridique de l'abandon de poste. Pensez-vous comme ces organisations syndicales que « la démission ne se présume pas » ?

J. T. : C’est en tout cas ce qu’en dit toute la jurisprudence de la Cour de cassation avant la création de la présomption de démission. La nouvelle donne juridique va à l’encontre de cela en instaurant une présomption de démission qui transformerait l’absence d’acte… en acte de démission claire et non équivoque. Philosophiquement, c’est assez contestable. En outre, ça signifierait qu’un salarié se rendant coupable d’actes autrement plus graves (harcèlement moral ou sexuel, vol, etc.) pourrait se faire licencier pour faute grave, voire lourde, en ayant malgré tout droit à l’indemnisation de Pôle emploi, alors que celui qui se contente d’un simple abandon de poste n’y serait pas éligible puisque considéré comme démissionnaire ? Cela crée un sérieux problème d’équité.


À lire également : « La démission ne se présume pas » (Patricia Drevon, FO)

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre