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Arrêts du 13 septembre 2023 : « Les employeurs ont tout intérêt à commencer à provisionner »

Droit du travail | publié le : 09.10.2023 | Benjamin d'Alguerre

Christine Artus, associée au sein du cabinet K&L Gates, à propos de l'arrêt du 13 septembre 2023 : « Les employeurs ont tout intérêt à commencer à provisionner »

Christine Artus, associée au sein du cabinet K&L Gates, à propos de l'arrêt du 13 septembre 2023 : « Les employeurs ont tout intérêt à commencer à provisionner »

Crédit photo Christine Artus

Associée au sein du cabinet K&L Gates, Christine Artus décrypte les conséquences des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 relatifs à l’acquisition de congés payés par les salariés en arrêt-maladie. Selon elle, les entreprises ont tout intérêt à s’y préparer… et les partenaires sociaux à engager rapidement une négociation pour y adapter la réglementation.

La décision rendue le 13 septembre dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation vous a-t-elle surprise ?

Christine Artus : Oui et non. Non, parce que le nouveau président de la chambre sociale de la Cour de cassation, Jean-Michel Sommer, a, depuis sa nomination en juillet 2022, marqué sa volonté d’appliquer les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et les directives de l’UE bien plus que son prédécesseur, Jean-Yves Frouin, qui privilégiait davantage l’application du Code du travail. Oui, parce qu’il existait déjà une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 novembre 2011 qui fixait à quinze mois la période de droit au report des congés payés sur laquelle nous pensions que la chambre sociale s’appuierait pour rendre sa décision. Or, cela n’a pas été le cas : la Cour de cassation a préféré suivre l’article 7 de la directive 2003/88/CE² du Parlement européen et du Conseil relative à l’aménagement du temps de travail et les congés. La décision peut étonner, car une directive n’a pas vocation à s’appliquer directement. Il appartient aux États membres de la transposer par la loi dans leur propre corpus juridique. Ceci étant, la Cour de cassation s’inscrit, par cette décision, dans les pas de la cour d’appel de Versailles qui, en juillet 2022, avait déjà rendu un avis similaire en matière d’acquisition de congés payés durant les périodes d’arrêt de travail même consécutives à des maladies non-professionnelles.

Quelles sont les conséquences très probables de cette décision pour les entreprises ?

C. A. : Les employeurs vont devoir rapidement effectuer des états des lieux des arrêts de travail, étudier le coût du rattrapage et commencer à provisionner pour pouvoir répondre aux sollicitations des salariés. Il est peu probable que les entreprises soient amenées à régler tous les arriérés en suspens d’un coup, mais il vaut mieux qu’elles s’y préparent, d’autant que la Cour de cassation a aussi fait sauter la limite de douze mois de la période de rattrapage des congés acquis pour raison d’absence pour accident du travail ou de maladie professionnelle prévue par le Code du travail (article L.3141-5) et, qu’en outre, elle a décidé que le délai de prescription des congés payés de trois ans ne s’applique que si l’entreprise n’a pas mis le salarié en position de les prendre. L’adaptation risque d’être difficile pour les entreprises.

Justement : face à la difficulté d’adaptation, quelles solutions ?

C. A. : Olivier Dussopt déclarait récemment que le Gouvernement avait organisé un groupe de travail pour y réfléchir. L’adaptation pourrait passer par une modification du Code du travail même si, dans l’immédiat, je ne vois pas de véhicule législatif pérenne sur lequel l’exécutif pourrait s’appuyer pour le faire. C’est, en revanche, un sujet dont les partenaires sociaux – sans doute à l’initiative du Medef – pourraient s’emparer en organisant rapidement une négociation interprofessionnelle dans le cadre de leur agenda social autonome. L’une des pistes qui permettrait de rendre l’adaptation des entreprises moins douloureuses pourrait être un retour au contenu de la décision européenne du 22 novembre 2011, que j’évoquais précédemment et qui fixait à quinze mois la durée maximale du report des congés payés. Il y a un équilibre à trouver entre, d’une part, l’intérêt des entreprises qui ne peuvent pas se permettre de laisser les salariés rattraper leurs congés sur une durée illimitée, mais aussi celui des salariés qui ne peuvent pas perdre les congés « raisonnables » auxquels ils ont droit. Dans cette situation, la « solution des quinze mois » serait sans doute la plus juste. On pourrait aussi imaginer qu’un salarié de retour d’une absence longue durée se voit proposer par son employeur de prendre immédiatement ses congés dans la foulée de son arrêt de travail. Comme s’il s’agissait d’une sorte de « congé de convalescence ». De toute façon, lorsqu’un salarié a été longuement absent, l’entreprise l’a sans doute remplacé par un CDD. Cela permettrait à l’entreprise de préparer le retour de son salarié dans de bonnes conditions et au salarié de revenir plus reposé.

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre