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Les nouvelles classifications de la métallurgie suscitent des crispations

GRH - Gestion des ressources humaines | publié le : 03.01.2024 | Benjamin d'Alguerre

Les nouvelles classifications de la métallurgie suscitent des crispations

Les nouvelles classifications de la métallurgie suscitent des crispations.

Crédit photo pinkrabbit/Adobe stock

La nouvelle grille des classifications de la métallurgie est entrée en vigueur au 1er janvier 2024. Et déjà, les premiers couacs se font entendre dans les entreprises ayant insuffisamment préparé leurs salariés au changement. Le temps est compté pour corriger le tir.

Le 3 janvier 2024, chez la cinquantaine de salariés de Trouillet Mobilité Sécurité (TMS), le dernier fabricant français de fourgons blindés, situé à Attignat dans l’Ain, l’ambiance était plus à la grogne qu’aux souhaits de bonne année. La cause ? La découverte des nouvelles fiches emplois distribuées aux salariés par la direction en accord avec la grille des classifications entrée en vigueur au 1er janvier. Terminées les anciennes typologies des métiers (électromécaniciens, chaudronniers, etc.) et la mention de l’ancienneté jusqu’alors en vigueur, et bienvenue à une grille rénovée subdivisée en groupes et classes d’emploi – échelonnés de A-1 pour les plus bas niveaux de rémunération à I-18 pour les plus élevés – établie selon six critères classant et dix degrés de classification difficilement compréhensibles pour les non-initiés. Exit également le statut intermédiaire d’agents de maîtrise (les anciens contremaîtres) abandonné au profit des seules catégories de « cadres » (de F à I selon la nouvelle grille) et de « non-cadres » (de A à E). Charge aux entreprises depuis le début de l’année de dispatcher ces salariés au statut médian entre les deux nomenclatures restantes. Alors forcément, dans les rangs des métallos, le mécontentement est de mise. « Les salariés ont l’impression que certaines cotations ont été distribuées à la tête du client », juge Grégory Khiati, membre du bureau fédéral de la FTM-CGT.

Le sentiment d'être tirés vers le bas

Comme ceux de TMS, 1,6 million de salariés de la métallurgie viennent de basculer, en ce début d’année 2024, sur la nouvelle grille des classifications de la branche, établie selon les règles de l’accord signé le 7 février 2023 entre l’UIMM et trois syndicats de salariés (FO, CFDT et CFE-CGC) après cinq années de négociation. Un premier volet de l’accord, portant sur la prévoyance, la protection sociale et les accidents du travail, était déjà rentré en application au 1er janvier 2023 sans trop de heurts. Mais le second, concernant les classifications, lui, suscite quelques crispations. « On constate une certaine tension sociale sur la question des fiches emploi : les nouvelles cotations ne sont pas toujours comprises, confirme Tristan Girard, directeur de la practice performance du changement et des organisations chez LHH. Certains salariés se sentent déclassés : dans la métallurgie, beaucoup de gens polycompétents se sont retrouvés placés dans une case et ont le sentiment qu’on les tire vers le bas. » En cause : un manque d’information des salariés sur le contenu de l’accord et sur les nouvelles règles du jeu par les services RH. Si certaines, comme Airbus ou General Electric, ont pris le sujet à bras-le-corps plusieurs mois à l’avance et ont engagé de grandes campagnes pédagogiques auprès de leur personnel, d'autres ont considéré l’information aux salariés comme un élément plus… secondaire.

Résultat : les protestations sociales se sont multipliées durant la fin de l’année 2023. Chez Arcelor-Mittal, Safran, Renault ou Atos, la contestation a gagné les équipes, le plus souvent relayée par la CGT – seul syndicat représentatif dans la branche non-signataire de l’accord – qui a d’ailleurs fait de la protestation contre la nouvelle convention collective l’un de ses arguments de campagne aux élections professionnelles pour le renouvellement des CSE. Avec un certain succès : chez Renault Trucks, les cégétistes ont réalisé en 2023 un score de 25,38 %, soit une progression de presque sept points par rapport au scrutin précédent. À l’inverse, la CFE-CGC, syndicat signataire, a reculé de 4,47 points. « La convention collective leur a fait mal », confirme Grégory Khiati. Chez Airbus ou Arcelor-Mittal aussi, la mobilisation cégétiste a payé et le syndicat contestataire a marqué des points.

« Des populations attachées à leurs titres et métiers »

Pourtant, les syndicats signataires avaient prévenu les directions : la mise en place de la nouvelle grille de classifications allait demander un travail de pédagogie colossal pour être parées à l’heure H. « Ne pas informer les salariés – ou mal le faire – risque de susciter du mécontentement et des crispations sociales au sein des entreprises négligentes », prévenait Fabrice Nicoud, secrétaire général de la CFE-CGC Métallurgie, en octobre dernier. Son organisation avait même formé 2 000 de ses militants à servir d’évangélisateurs de la nouvelle donne auprès de leurs collègues. FO et CFDT avaient également déployé leurs équipes pour rencontrer les salariés et les informer sur le contenu de la nouvelle convention collective qui engage la branche pour plusieurs décennies. Et il y avait gros à jouer. Car si les salaires ont été préservés – la branche ne compte aucun minima inférieur au Smic – et des primes instaurées pour compenser la perte de la mention d’ancienneté sur les fiches d’emploi, l’identité professionnelle des métallos en a pris un coup. « Ce sont des populations très attachées à leurs titres et à leurs métiers. Et tout à coup, on leur impose de nouveaux titres et une nouvelle classification, de telle sorte qu’ils se retrouvent ‘’B4’’ ou ‘’F11’’ sans forcément savoir à quoi cela correspond, explique Pierre Chevalier, directeur du pôle conseil chez Statim Management, un cabinet qui accompagne PME, TPE et ETI dans leur transformation. Forcément, cette situation est troublante et propice aux interrogations. »

Rattraper le coup

Il faut dire que le chantier de la rénovation de la convention collective nationale de la métallurgie constituait un travail considérable. « La seule question des classifications a occupé dix mois de négociation à elle seule », rappelait Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM, en juin 2023. L’enjeu était cependant colossal : remplacer près de 80 conventions préexistantes – dont les plus anciennes dataient des années 1950 ! – par un nouveau texte plus en accord avec l’évolution des métiers et des besoins des entreprises de la métallurgie. Bref, une véritable révolution culturelle au sein d’une branche historiquement organisée… « Les anciennes classifications dataient de plusieurs décennies : elles imprègnent encore fortement les consciences. Le changement n’allait pas de soi », confirme Tristan Girard. Pour autant, même s’il n’existe pas à l’heure actuelle de statistiques sur le mécontentement des salariés, le directeur de la practice performance du changement et des organisations chez LHH l’estime en réalité inférieur « à 15 % des entreprises qui font appel à nous ». Pour Pierre Chevalier, les entreprises qui sont en retard pour l’échéance du 1er janvier 2024 peuvent encore se mettre en conformité, à condition « qu’elles communiquent avec leurs salariés au-delà de la seule information-consultation du CSE » afin de les informer de la nouvelle méthodologie. « Elles n’éviteront pas les contestations, mais pourront les limiter », juge l’expert RH. Problème : celles qui n’ont pas suffisamment pris le sujet à bras-le-corps n’ont qu’un mois avant l’édition des prochains bulletins de paie, qui comprendront obligatoirement la mention des nouvelles cotations. Pour les retardataires, janvier 2024 risque de ressembler à un sprint final pour se montrer d’équerre en temps et en heure…

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre