Retour sur le colloque organisé par la revue Travail et Emploi autour de la discrimination syndicale en France et à l’étranger. Au progrès concernant la mesure de la discrimination syndicale dans l'hexagone, répond une intensification des politiques antisyndicales au niveau mondial...
« Il y a les employeurs qui me disent : « Ici, c'est chez moi, donc c'est moi qui décide des règles ». Ils veulent imposer aux salariés le moment où ils doivent prendre leurs heures de décharge syndicale. Ceux qui disent : « Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça », et qui interprètent l'engagement syndical de leurs salariés comme une punition.
Ceux, enfin, qui choisissent l'option « plus tu te syndiques, plus je sévis », qui promettent aux salariés une prime de 300 euros s'ils convainquent leur CE de renoncer à l'expertise demandée ou qui tentent de licencier les syndicalistes... », détaille, au micro, Cécile Maire, responsable régionale de la CFDT pour la métallurgie en Normandie.
Habitude de pratiques discriminatoires
Ce 7 juin, dans les locaux du ministère du travail, la dirigeante syndicale clos, par son témoignage, le premier tour de parole du colloque « La discrimination syndicale en question: situation en France et panorama international ». Le sujet est l'un des parents pauvres de la recherche sur les interactions professionnelles.
Pour remédier à ce problème, la DARES et le réseau thématique « relations professionnelles » de l'Association française de sociologie ont décidé d'y consacrer les n°145 et 146 de la revue « Travail et Emploi ». Juristes, sociologues, économistes, politistes ont travaillé à la production de connaissances sur le sujet, mais aussi à l’interrogation du concept de discrimination.
Nicolas Hatzfeld, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Evry, raconte comment la discrimination syndicale a été reconnue par la justice pour la première fois. Trois ouvriers de PSA Sochaux et encartés à la CGT, frappés par les inégalités d'évolution de leurs salaires et de leurs carrières par rapport à celle de leurs collègues non syndiqués, ont intenté, à la fin des années 1990 une série de procédures judiciaires contre leur direction.
Après avoir perdu les deux premières en appel, la direction de PSA a fini par ouvrir une négociation qui donne lieu à une remise au niveau des salaires, un rattrapage sur 12 ans et la mise en place d'une concertation pour éviter qu'une telle situation se reproduise.
« Il s'agit d'une rupture, car durant trente ans, encadrement comme syndicalistes s'étaient habitués à une situation de pratiques discriminatoires », analyse Nicolas Hatzfeld. Surtout, la méthode fait école et provoque des débats dans le milieu syndical: faut-il compter sur la justice bourgeoise pour qu'elle dise le bon droit ?
Discrimination objective, discrimination subjective
Thomas Breda a cherché, avec son collègue Jérôme Bourdieu à objectiver cette discrimination syndicale. Les deux économistes et statisticiens ont établi, à partir de l'enquête REPONSE de la DARES, qu'en 2004 comme en 2011, un délégué syndical était payé 10% de moins qu'un non syndiqué, à travail, diplôme, âge et sexe égaux par ailleurs.
Les syndiqués dans leur ensemble, sont eux payés en moyenne 3 à 4% de moins que les non-syndiqués. Ils accusent également un retard en terme de promotion. Ces écarts s'expliquent notamment, selon les auteurs, par une discrimination stratégique : les employeurs ont intérêt à dissuader les autres salariés de s'engager dans la défense de leurs droits.
« Cette réalité objective de discrimination converge avec le sentiment de discrimination perçu par les salariés syndiqués, représentants du personnel compris », répond le sociologue Etienne Penissat. Les représentants syndiqués se sentent plus discriminés que les représentants non syndiqués.
Cette sensation est d'autant plus forte que l'entreprise dans laquelle le syndicaliste évolue est grande, et d'autant plus aussi que l'activité syndicale y est intense et le niveau de conflictualité important. Enfin, ce sentiment est d'autant plus prégnant que la personne qui le ressent connaît le droit.
C'est par ce biais du droit que Frédéric Guiomard et Inès Meftah ont abordé le thème imposé par Travail et Emploi. Ils ont travaillé sur les contentieux portant sur la discrimination syndicale ayant fait l'objet d'un appel entre 2012 et 2014.
Leur nombre est faible, environ 600 par an, mais ils constituent un contingent important de l'ensemble des plaintes pour discrimination: 24%, contre 6% pour les discriminations homme-femme.
Inès Meftah met en exergue la porosité entre la notion de discrimination syndicale et la rupture dans l'égalité de traitement d'une part, et la confusion entre harcèlement moral et discrimination syndicale d'autre part. Frédéric Guiomard souligne la tension entre le collectif et l'individuel que soulève, pour les syndicats, l'idée d'une action en justice pour discrimination syndicale.
Du syndicalisme en régime « semi-autoritaire »
La seconde partie du colloque, consacrée à la situation internationale, a consisté en un exposé d'Isil Erdinc sur les mécanismes de discriminations des syndicalistes socialistes en Turquie, mis en place par le pouvoir et son relais syndical islamo-conservateur entre 2002 et 2015.
Et ce, malgré la perspective de l'entrée dans l'union européenne, qui exigeait du pays une libéralisation politique. La chercheuse montre notamment que le syndicat socialiste cherche à sortir de l'isolement en faisant appel aux instances syndicales internationales et à des groupes politiques locaux.
Enfin, Jean-Marie Pernot, chercheur en sciences politiques, a livré une synthèse magistrale des contributions venant du Royaume-Uni, du Canada et de l'Espagne. Au Royaume-Uni, malgré un « âge d'or » du syndicalisme après la seconde guerre mondiale, Steve Jefferys montre la persistance de la pratique de la « liste noire ».
Et du recours à des agences spécialisées pour démasquer les syndicalistes et les neutraliser avant qu'ils n'obtiennent l'accréditation du syndicat dans leur entreprise. « Malgré l'arrivée au pouvoir du Labour dans les années 1990, la reconnaissance mutuelle entre patronat et syndicats a continué de s'émousser. Le recours à la justice est devenu trop cher, le droit de grève a été considérablement pressuré », rend compte le politiste.
Entre terreur et substitution
Au Quebec, Mélanie Laroche et Marie-Eve Bernier ont mis sur pied une base de données classant les actions « anti-syndicales » en quatre catégories. D'abord, celles qui s'apparentent à une « politique de substitution », qui consiste à mettre en place un rapport directe entre ressources humaines et salariés, par le biais d'enquêtes de satisfaction, d'améliorations unilatérales des conditions de travail, pour démontrer l'inutilité du syndicat.
Second type d'action anti-syndicale, la politique d'accréditation de syndicats modérés contre un « mauvais » syndicalisme. Vient ensuite la « stratégie de la peur », calquée sur les Etats-Unis, ou toute velléité d'organisation se solde par des représailles, des menaces de lock-out ou un lock-out réel.
Enfin, la « stratégie de blocage », par l'usage des agences spécialisées contre l'accréditation, par des pétitions hostiles aux syndicats, ou même par des menaces physiques. « Alors que le Québec est regardé comme un territoire où le syndicalisme est dans une meilleure position qu'en France, les auteures nous montrent que la situation se dégrade fortement, suivant ainsi l'influence des Etats-Unis », explique encore l'auteur de la synthèse.
Enfin, en Espagne, Enrique Martin-Criado et Pilar Carvajal-Soria montrent comment le Corte Ingles, puis l'ensemble des supermarchés (dont El Campo, le Auchan espagnol, ou Carrefour), ont favorisé le développement de syndicats « maison ». La direction mène une politique de chantage aux bons horaires pour s'assurer que les salariés n'adhèrent pas aux syndicats historiques et indépendants du patronat.
Empêcher le développement d'une représentation autonome
« Partout, on observe une politique grandissante de différenciation. Les employeurs ne mènent plus de bataille contre le syndicalisme en tant que tel, mais préfèrent le détourner à leur profit, et opèrent un tri entre les « bons » syndicats, acquis à leur cause, et les mauvais », explique Jean-Marie Pernot.
Au Canada, cette politique est menée au niveau de l'entrepreneur, en Espagne, au niveau du groupement d'entreprises, et en Turquie, par le gouvernement lui même. « L'enjeu central de ces politique est d'empêcher le développement d'un syndicat indépendant », poursuit le chercheur.
On n’observe pas une autre politique en France. « La loi de 2016 est pro-syndicale. Elle accroît le nombre d'heures de délégation, de négociation, finance mieux la formation syndicale, permet de faire une validation des savoirs acquis.
Mais ceux qui entreront dans ces mécanismes devront accepter le primat de la négociation sur les autres types de syndicalisme. Ainsi, ces nouvelles règles, loin d'être neutres, poussent les syndicats qui ne veulent pas se conformer à ce moule dans les marges... mettant ainsi une fois de plus en danger l'autonomie de représentation des travailleurs », conclut le chercheur.