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"Il y a un risque de professionnalisation du militantisme"

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 12.10.2015 | Emmanuelle Souffi

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À l'occasion de ses 120 ans, la CGT organise les 14 et 15 octobre deux jours de réflexions sur l'histoire et l'avenir du syndicalisme. L'ex-numéro deux de la centrale pointe l'ambiguité du dialogue social à tout prix, qui éloigne les militants du terrain.

Le syndicalisme est-il atteint par la même crise de confiance que les partis politiques ?

On ne peut pas le nier. Toutes les forces organisées, les institutions, sont concernées par cette défiance. En France, le syndicalisme n’a jamais été un syndicalisme de syndiqués mais de militants, de mobilisation. Il est reconnu comme tel par les salariés qui votent massivement aux élections professionnelles. On ne peut pas dire la même chose des scrutins politiques où les catégories populaires s’abstiennent car elles ne se sentent pas concernées. Une des missions du syndicalisme, c’est justement de rendre visible ceux qui ne le sont pas.

Les syndicats ont perdu beaucoup d'adhérents…

Notre système social se caractérise par un paradoxe : nous avons l’un des plus faible taux de syndicalisation en Europe, mais l’un des plus forts taux de couverture par des conventions collectives. Depuis les années 70, le nombre de syndiqués est insuffisant. Il y a eu un choc brutal dans les années 80, lorsque la CGT et la CFDT ont vu leurs effectifs diviser par deux avec les restructurations dans les grands secteurs industriels. Or, les droits sociaux acquis par les salariés des grosses entreprises servaient de locomotive à l’ensemble du salariat. Aujourd’hui, un sur deux travaille dans une entreprise de moins de 50 salariés… Depuis la fin des années 90, la désyndicalisation est stoppée. La CGT enregistre 40000 à 50000 adhésions nouvelles tous les ans. Parmi elles, 46 % de femmes et 18 à 20% de moins de 30 ans.

Les défilés avec des mots d’ordre fourre-tout ont-ils encore une utilité ?

Les mouvements sociaux massifs donnent de la visibilité et jouent sur les adhésions. Idem pour les conflits dans les entreprises, comme celui des femmes de ménage, qui permettent d’accroître la syndicalisation. Mais le salariat étant très fragmenté, les discours globalisateurs compliquent notre capacité à fédérer sur des points et des revendications communes.

N’y-a-t-il pas un risque d’institutionnalisation des syndicats ?

Notre difficulté, c’est d’être implanté dans une diversité d’entreprises suffisante pour permettre aux salariés d’avoir un contact avec la CGT. Ce qui nous manque le plus, ça n’est pas des délégués mais des syndiqués qui font vivre le syndicat. Comme dans la classe politique, il y a un risque de professionnalisation du militantisme. Les directions ont compris l’enjeu. Dans les années 80, c’était l’affrontement direct. Aujourd’hui, elles utilisent le dialogue social comme un moyen d’institutionnaliser les représentants syndicaux. Tout le temps syndical est happé par des réunions au détriment du terrain. C’est une stratégie des directions pour nous éloigner de notre mission de base, celle d'une forme d’éducation populaire.

Les syndicalistes doivent-ils pouvoir cumuler, comme en politique ?

C’est un sujet de débat en interne… Si nos élus restent longtemps en fonction, c’est pour conserver leur travail. À la différence des militants CFDT, les nôtres sont licenciés dès qu’ils perdent leurs mandats. Derrière la question du cumul et de la durée des mandats se pose celle de leur devenir dans l’entreprise et de leur réinsertion.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi