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"Il faut transformer la culture managériale des organisations syndicales et patronales"

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 30.10.2015 | Anne Fairise

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La doctorante en science politique* a dressé, pour le Conseil économique social et environnemental, un panorama de la place des femmes dans les syndicats et le patronat. Elle les appelle à transformer le modèle d’investissement militant, notamment par la limitation du cumul des mandats.  

Votre rapport révèle que la part des femmes dans les exécutifs des syndicats et du patronat reste très faible, autant qu’elle l’est dans les partis politiques. Comment l’expliquer?

Il faut faire un distinguo entre les partis politiques, qui se sont déjà vus imposer des mesures législatives contraignantes, pour partie contournées, et le monde syndical ou patronal qui n’était soumis à aucune mesure contraignante jusqu’à la loi relative au dialogue social et à l’emploi de 2015**. Cela n’a pas empêché certains syndicats de salariés de prendre les devants et de se donner volontairement des obligations pour faire une place aux militantes dans leurs exécutifs. Dès les années 1980, la CFDT s’est engagé sur le principe de quotas (d’un tiers) au sein de ses instances confédérales. La CGT a adopté en 1999 le principe de parité à l’échelon confédéral et reste la seule grande confédération à avoir mis en place cette règle. Aucun parti politique, hormis le parti écologiste, n’a jamais été dans cette logique volontariste, avant de se voir imposer de nouvelles règles électorales imposant la parité dans les années 2000 (stricte parité des candidatures lors des scrutins de listes aux conseils régionaux depuis 2000 ; introduction en 2015 du scrutin binominal paritaire lors des élections des conseils départementaux, NDLR).

Même dans les organisations ayant pris une longueur d’avance, la représentation des femmes reste faible…

Mais elle a sensiblement progressé. En 2015, la commission exécutive de la CGT, comme celle de la CFDT, compte une moitié de femmes. Il est vrai que, dès que l’on quitte le niveau confédéral, la proportion de femmes en responsabilité décline considérablement. Les confédérations ne peuvent imposer la parité aux échelons territoriaux, autonomes dans leurs organisations. La mise en oeuvre des mesures de mixité interne dépend beaucoup de la bonne volonté des responsables locaux. A la CGT, malgré la parité dans les organes de direction les plus hauts, la féminisation globale des instances de direction n’est assurée qu’à 30%. Reste qu’en l’absence de mesures contraignantes ou d’actions positives, il y a très peu d’avancées.

Quelle est la situation ailleurs qu'à la CGT et la CFDT, les plus vertueuses en terme de parité ?

Les autres syndicats, qui sont réfractaires à l’égard des mesures coercitives et comptent sur la mobilisation interne et sur la formation syndicale des militants, ont des difficultés à faire évoluer la place des femmes dans leur organisation. Bien que tous enregistrent une progression de la part des femmes parmi leurs adhérents, hormis FO. Mais il y a, ou il y a eu, des figures emblématiques comme Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC depuis 2013 ou, côté patronat, Laurence Parisot qui a présidé le Medef. Dans les organisations patronales, les évolutions sont plus encore le résultat de quelques volontés individuelles. Laurence Parisot explique que, lorsqu’elle était en poste, elle a choisi systématiquement de désigner des femmes aux postes dont la nomination lui était dévolue. Cela s’est arrêté avec son départ. Le Medef peine à se féminiser. En 2015, son conseil exécutif affiche un taux de féminisation de 17%. Mais il y a quelques évolutions. La nouvelle équipe de la CGPME, constituée en 2015, comporte quatre femmes sur onze membres [contre une seule dans l’équipe précédente, NDLR]. Des réseaux de femmes, comme « Entrepreunariat au féminin », font évoluer l’organisation.

Y a-t-il une explication particulière à la sous-représentation des femmes dans les instances patronales ?

Elle est le reflet du mode d’adhésion aux organismes patronaux, qui n’est pas individuel mais relève d’affiliations d’entreprises, le plus souvent indirectes. Mais cela ne suffit pas à expliquer cette sous-représentation. En 2012, les femmes constituaient environ 30% de la catégorie socioprofessionnelle établie par l’Insee, qui regroupe les artisans, les commerçants, les chefs d’entreprise de plus de dix salariés, mais elles ne représentaient que 13,7% des instances dirigeantes des confédérations patronales. L’argument souvent avancé est celui du manque de candidatures ou d’ambition des femmes. Mais il peut être battu en brèche par l’existence de réseaux internes de femmes dans les organisations. En outre, l’exercice même de leur activité professionnelle a souvent conduit les femmes cheffes d’entreprise à trouver des solutions pour gérer les responsabilités familiales, qui pèsent sur elles comme sur les autres femmes. Il faut donc questionner les organisations, plutôt que chercher des raisons du côté des femmes. Ce qui m’a surprise, c’est la faible reconnaissance de l’existence d’une inégalité. Les organisations patronales ne souhaitent pas mettre en œuvre de mesures spécifiques pour faire accéder les femmes aux responsabilités internes, à quelques exceptions près comme la Fédération française du bâtiment (FFB) qui mène des actions volontaristes depuis les années 1990.

Quels freins avez-vous identifiés ?

Il y en a de nombreux. Mais certains traversent toutes les organisations. Côté syndical comme patronal, le modèle de référence historique du militant est celui d’un homme surinvesti. C’est l’image du leader omniprésent qui se consacre pleinement à ses mandats. Cette culture du présentiel est un frein pour les femmes, plus investies dans les tâches ménagères qui restent inégalement réparties dans les couples. Car l’accès aux responsabilités se fait aussi parce que, présent, on a pu être sollicité pour d’autres postes. C’est pourquoi il est important de diversifier les modèles d’investissement militant, et de revoir la pratique de cumul des mandats qui contribue à créer des figures de leaders paraissant irremplaçables. Cette forme d’engagement répond de moins en moins aux aspirations des citoyens. Il faut transformer la culture managériale des organisations syndicales et patronales.

Pour impulser un changement, vous suggérez des solutions pratiques dont les organisations doivent se saisir. Lesquelles doivent-elles privilégier ?

La situation entre les organisations est très différente. La priorité n’est pas le même pour la CGT et la CFDT, qui ont mis en place des actions positives de longue date et doivent aujourd’hui diffuser les pratiques dans les territoires, et les autres organisations. Pour tous, revoir la pratique de  cumul des mandats est essentiel pour faire progresser la part des femmes. La CFTC les a déjà limités dans le temps et la CFE-CGC y réfléchit. Pour le patronat, la constitution de réseaux féminins déjà mise en oeuvre à la CGPME et à l’UPA me semble être une bonne méthode, à accentuer. Ces réseaux permettent de donner une visibilité aux femmes, constituent des lieux d’information de l’existence de différents mandats et sont souvent un vivier de futures élues dans les instances territoriales. 

 

*Au CESE, Claire Guichet représente la Fage (fédération des associations générales étudiantes), reconnue comme une organisation étudiante représentative, qu’elle a présidée entre 2008 et 2010. Elle y est membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité (DDEFE).

** La loi relative au dialogue social et à l’emploi impose, en 2015, pour les élections professionnelles des listes reflétant le nombre de femmes et d’hommes de chaque collège électoral et alternant les candidats de chaque sexe.

Auteur

  • Anne Fairise