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Les grévistes perpétuels de la RATP

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 27.05.2015 | Eric Béal

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Le phénomène est invisible pour les voyageurs franciliens mais parfaitement connu de la direction. À la RATP, quelques dizaines de salariés se déclarent grévistes tous les jours depuis plusieurs années. Explication.  

À la RATP, la conflictualité est en baisse régulière. Elle s'élevait à 0,42 jour de grève par salarié en 2014, contre 0,54 en 2013. Mais elle pourrait être encore plus basse sans l'invention d'un nouveau statut, celui de… "gréviste perpétuel" ! Un phénomène invisible pour les voyageurs, qui concerne une infime minorité des 45000 salariés. Mais parfaitement connu de la direction.

Derrière cette situation abracabandesque, il y a la volonté des syndicalistes de combattre l'obligation légale pour les employés des services publics de transport d'être couverts par un préavis de grève… pour pouvoir se mettre en grève. "Nous avons inventé le préavis illimité pour contourner les contraintes de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs", avoue Philippe Touzet, ancien délégué syndical de SUD RATP.

Des grévistes toujours salariés

Cette loi donne cinq jours à la direction pour inviter les organisations syndicales à une négociation sur les causes de leur mécontentement, auxquels s'ajoutent "huit jours francs" pour permettre à la négociation de se dérouler. Un délai de treize jours incontournable entre la demande de concertation déposée par une organisation syndicale et le possible début d’une grève. Sans compter l'obligation pour chaque gréviste de déclarer son intention de se joindre au mouvement 48 heures avant sa participation effective. Des contraintes jugées trop lourdes par SUD, la CGT, FO et l'Unsa.

Ces quatre organisations syndicales ont donc déposé des préavis de grève illimité. Rien qu'entre 2011 et 2015, SUD en a déposé six, la CGT deux, FO et l'Unsa trois. Sans compter ceux déposés les années précédentes. Un seul de ces préavis, signé SUD, couvre l'intégralité des services de la RATP. Bien sûr, précise la direction de l'entreprise, "les salariés grévistes ne sont pas payés, conformément à la règlementation." Mais, précise-t-elle, "ils restent des salariés de l'entreprise et bénéficient à ce titre des avantages liés à cette qualité."

La direction déboutée par le juge

La direction générale n'a jamais contesté la régularité des préavis illimités devant les tribunaux, seul moyen de combattre le phénomène. Mais, en septembre 2010, elle a retiré de son serveur Intranet, le texte d'un préavis illimité déposé le 21 septembre 2009 sur le périmètre d'un dépôt de bus. Motif invoqué? Il n'y avait plus d'agents grévistes. Saisis par SUD  RATP, les tribunaux ont débouté la direction, en 2011. En considérant "qu'un employeur ne peut supprimer unilatéralement un préavis de grève sans en informer les organisations syndicales concernées et, à défaut d'accord, sans saisir le juge des référés de cette difficulté." Depuis, l'entreprise n'a pris aucune nouvelle initiative. Sans doute pour préserver la qualité de son dialogue social.

Personne ne semble capable de mesurer le nombre exact de ces salariés fantômes. Mais certains syndicalistes avouent mezzo voce qu'ils connaissent quelques uns de ces grévistes perpétuels. Des agents qui ont choisi d'abandonner leur poste pour travailler dans un autre domaine… tout en étant toujours officiellement salariés de la RATP. Un statut intéressant pour ces travailleurs, car il leur permet de bénéficier des services du comité d'entreprise, de la mutuelle, des centres médicaux ou des services sociaux liés à la régie.

Des "petits malins"

Parmi les cas cités, celui d'un salarié qui installe des climatiseurs en Afrique depuis des années et revient tous les six mois pour un check-up médical. Ou celui de cet agent parti refaire sa vie aux Etats-Unis, mais revenu en France le temps d'une intervention chirurgicale. "Ce sont beaucoup d'ex-salariés du département sécurité. Ce qui est étrange car ces collègues sont tous assermentés", relève Pascal Journaux, représentant CFDT.

S'ils assument pleinement leur stratégie pour contourner la loi du 21 août 2007, les syndicalistes ne sont pas très à l'aise avec les grévistes perpétuels. Le plus virulent contre "ces petits malins qui en profitent" ? Jacques Eliez, le délégué syndical central de la CGT. "Ce sont des voyous, s'énerve-t-il. Ils profitent du système et sont l'antithèse des valeurs que nous défendons." Et celui-ci de préciser qu'il "considère la grève comme une exception qui ne devrait pas faire l'objet d'abus." Les temps changent…

 

 

Auteur

  • Eric Béal