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Les députés apprennent leur métier d’employeur

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 07.11.2016 | Manuel Jardinaud

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Après plus de dix-huit mois de discussions, les collaborateurs parlementaires ont obtenu des avancées sur leurs conditions d’emploi avec leurs patrons… députés. Pas simple dans une maison à la culture sociale balbutiante.

On peut manifestement voter les lois et ne pas bien les mettre en œuvre. De puis des lustres, les députés sont ainsi de mauvais employeurs pour leurs collaborateurs parlementaires. Au Palais-Bourbon, « certaines règles du Code du travail ne seraient parfois pas appliquées ou le seraient mal » et il y existerait « une forme de négligence à respecter les dispositions protectrices ». Qui parle ainsi de ce far west réglementaire ? Gilles Bélier et Aurélie Cormier Le Goff, deux avocats en droit social reconnus, auteurs en juin 2015 d’un rapport sur les modalités de mise en place d’un « texte fixant les conditions générales de travail et d’emploi des collaborateurs parlementaires ». En d’autres termes, les quelque 2 000 « petites mains » surdiplômées travaillant pour les 577 députés.

Pour remédier à ces dysfonctionnements, élus et collaborateurs ont entamé – et conclu – un long et laborieux processus de négociation d’un accord collectif. Un laboratoire du dialogue social à la sauce Bourbon. « Ici, il n’existe aucune convention collective, rappelle Elsa Foucraut, secrétaire générale du Syndicat national FO des collaborateurs parlementaires. Les députés recrutent librement et appliquent leurs propres règles. Il y a donc une multiplicité de situations : heures supplémentaires payées ou non, travail de nuit récupéré ou pas, formations octroyées ou non. »

Une jungle dans laquelle les élus règnent en maîtres. Pour le meilleur ou pour le pire. « Je n’ai pas de difficultés. Si un soir je dois rester tard, je peux venir plus tard le lendemain. Mais je sais que je suis minoritaire », témoigne une collaboratrice parlementaire. Ce que confirme un autre, qui parle de « brutalité », de « flou », de « rapport de force » et de « solitude » lors d’une première expérience avec une députée pas franchement inspirée par le social. Il y a ainsi pléthore d’histoires d’assistants devant accompagner leur patron à des dîners, participer à de énièmes réunions tardives ou prendre sur leur temps libre pour acheter un cadeau à Madame ou Monsieur Untel. Du « temps de travail de connivence », selon les mots de Michel Issindou, député PS de l’Isère.

Sujets très nouveaux

Le rapport remis par les deux avocats a été le premier pas vers la définition d’un cadre régulateur. Ses vingt-deux pages tracent des pistes, de la simple rédaction d’un document encadrant mieux le contrat de travail au rattachement à une convention collective existante en passant par la création d’une branche spécifique. Sans oublier une proposition finale qui « tourne un peu à l’usine à gaz avec une combinaison d’accords d’entreprise et de branche », juge Elsa Foucraut.

À partir du printemps 2016, le chantier d’un projet d’accord collectif est véritablement lancé. Ce qui oblige les parlementaires à créer une association de députés employeurs, présidée par Michel Issindou. Pour la première fois, les locataires du Palais-Bourbon se dotent d’une structure commune. Pas simple. « On sent une crainte de la part des députés », reconnaît l’élu isérois, qui peut ­néanmoins se targuer de l’adhésion de plus de 300 d’entre eux fin septembre, en majorité de gauche selon nos informations.

Élue de Loire-Atlantique, la questeure socialiste Marie-Françoise Clergeau se voit confier la déli­cate mission de négocier le texte. Les sujets sont ­multiples et très nouveaux pour ces élus qui, « en 2012, refusaient toute constitution d’une organisation d’employeurs », d’après l’intéressée. Au menu, temps de travail et forfait jours, salaires, droit syndical, indemnités de fin de mandat… De quoi effrayer plus d’un député habitué à régler ses affaires dans son coin.

« Nous avons dû venir avec notre propre texte car nous voulions aller vite. La questure et les administrateurs de l’Assemblée nationale, en appui, ne connaissent rien au droit social privé. D’où beaucoup de malentendus au départ, auxquels s’ajoute un traditionnel conservatisme », confie Elsa Foucraut, en première ligne de la négociation. Ce que reconnaît volontiers Marie-Françoise Clergeau.

Dès les premières séances, le champ des discussions se voit restreint. Les demandes syndicales sur un salaire minimal sont évacuées, tout comme celles relatives à l’exercice du droit syndi­cal. « Il a été difficile d’obtenir un mandat et un périmètre de la part des députés. On s’est donc limité à la négociation du forfait jours, à la prime de précarité et à la consolidation des acquis », justifie la négociatrice patronale en chef. Pas si mal, néanmoins. Car, outre les deux premiers volets, le troisième est, lui aussi, crucial : il s’agit de confirmer des dispositifs déjà appliqués, sur la prévoyance, la prime de repas, l’allocation de garde d’enfant, le maintien du salaire en cas de congé maladie et la désormais obligatoire complémentaire santé.

Zone grise

Comme l’Assemblée nationale ne fait rien comme les autres, des associations de salariés discutent aux côtés des syndicats. « On ne peut pas signer d’accords, bien sûr. Mais nous sommes associés au travail d’élaboration », confirme Marianne Darmon, coprésidente du Cercle des collaborateurs et attachés parlementaires, classé à gauche. Un privilège offert aussi à l’Association française des collaborateurs parlementaires, plutôt à droite.

Si les discussions ont patiné jusqu’à l’été, elles ont pris du corps à la rentrée. Jusqu’à l’ultime rendez-vous du 20 octobre, date butoir pour  conclure avant la dernière ligne droite de la législature. Si certains points de désaccord subsistent, notamment sur une clause de revoyure, les représentants des collaborateurs n’ont pas voulu prendre la responsabilité de casser ce nouvel ­édifice, si incomplet soit-il. La CFTC et la CFDT ont ainsi été les premières à annoncer leur signature. D’autant que la perspective de faire étendre l’accord par le ministère du Travail est enfin envisagée. Ce qui permettrait à tous les collaborateurs d’être couverts par le texte.

D’ici peu, les assistants parlementaires devraient donc pouvoir bénéficier d’un forfait annuel fixé à 208 jours via une convention individuelle signée avec leur député, d’un régime indemnitaire lors de la rupture de leur contrat de travail et de la pérennisation d’avantages sociaux, telles la prévoyance, une prime de repas et une allocation de garde d’enfant. Une avancée sociale certes limitée, mais néanmoins historique.

Auteur

  • Manuel Jardinaud