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Le double échec de la négociation va peser lourd

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 26.01.2015 | Stéphane Béchaux

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S.B.

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Le Medef a acté, le 22 janvier, l’impossibilité de proposer un projet d’accord sur la réforme du dialogue social. Un échec qui tient tout à la fois au contenu des discussions qu’à la méthode. Explications.

Raté. Au terme de 2,5 mois de discussions très agitées, les partenaires sociaux ont échoué à s’entendre sur la réforme du dialogue social, que le ministre du Travail François Rebsamen appelait de ses vœux. Un gros couac pour les partisans de la démocratie sociale, obligés de convenir que la négociation collective ne peut pas tout. Et une patate chaude pour le gouvernement, qui hérite maintenant du dossier.

Parmi les nombreux différends entre patronat et syndicats, la création du « conseil d’entreprise » a tenu une place centrale. Cette instance unique réunissant le comité d’entreprise (CE), les délégués du personnel (DP), les délégués syndicaux (DS) et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) posait aux syndicats deux problèmes majeurs.

Enorme lobbying

Le premier, la disparition du CHSCT comme entité autonome, dotée d’une personnalité morale. Avec, à la clé, l’impossibilité pour ses représentants d’ester en justice ou de faire réaliser des expertises aux frais de l’employeur. Une perspective qui a valu aux possibles syndicats signataires (CFDT, CFTC, CFE-CGC) de très fortes remontées des militants de terrain pour s’y opposer. Sans parler de l’énorme lobbying mené par les cabinets d’expertise – en tout premier lieu Technologia, mais aussi Secafi et Syndex –, menacés de perdre une partie importante de leur activité.

Second problème, la question des moyens accordés aux représentants du personnel. Selon des calculs internes au camp patronal, la fusion des instances dans ce nouveau "conseil d’entreprise" devait aboutir à supprimer quelque 70% des heures de délégation. Une réduction astronomique, impossible à avaler pour les syndicats.

D’autant moins que le projet d’accord concocté par le Medef n’offrait pas grand-chose, en contrepartie. Sinon la création de "commissions régionales paritaires interprofessionnelles" pour assurer la représentation des salariés des TPE. Des structures aux prérogatives très vagues, dont la capacité d’action apparaissait bien limitée, quand bien même la CGPME s’y opposait fermement. « Ce projet n’était pas vendable. Comment les syndicats auraient-ils pu expliquer à leurs troupes qu’il méritait signature ? » s’interroge le DRH d’un grand groupe industriel.

Interminables interruptions

L’échec de la négociation signe aussi celui de la méthode. « Le Medef a sous-estimé le durcissement de sa base  patronale. Il est parti de trop loin et n'a pas pu, ensuite, faire les concessions nécessaires. En l’absence de mandat clair, son négociateur a dû revenir en permanence vers ses instances », souligne un dirigeant d’une grosse fédération industrielle. Lâchée par la CGPME, la délégation patronale a multiplié les interruptions de séances, parfois interminables. De surcroît, elle a usé et abusé de bilatérales avec la seule CFDT, ce qui a eu le don d’irriter très profondément les autres centrales syndicales.

À tel point que Force ouvrière, emboîtant le pas de la CGT, exige aujourd’hui un changement des règles de la négociation interprofessionnelle. En optant pour un lieu neutre – le Cese, par exemple – et l’obligation d’étudier tous les projets d’accord sur la table, et pas seulement celui du Medef. Une revendication reprise par le ministre du Travail lui-même. « Cet échec doit nous amener à réfléchir sur des pratiques de négociation, conduisant à toujours partir d’un texte patronal très éloigné des attentes des uns et des autres, ce qui rend plus difficile l’émergence d’un compromis », explique-t-il.

Tangage à l’Assemblée

Celui-ci se retrouve maintenant en première ligne. « Le gouvernement prendra donc ses responsabilités pour moderniser le dialogue social dans l’entreprise », précise la rue de Grenelle. François Rebsamen recevra, dans les prochains jours, les partenaires sociaux pour tirer le bilan de la négociation en vue d'une réunion prévue le 19 février à Matignon. Dans les services du Président de la république et du Premier ministre, on fait savoir qu'une loi prendra le relais des discussions infructueuses. Mais aucune déclaration officielle n’est venue le confirmer.

Une telle perspective n’enchante pas, en tout cas, l'exécutif . Sur ce sujet hautement symbolique des seuils sociaux, il ne sera pas simple de dégager une majorité parlementaire. « Le gouvernement ne pourra pas s’appuyer sur un texte ayant fait l’objet d’un certain consensus. Il va avoir un réel problème de légitimité. Ça va tanguer à l’Assemblée », prévient déjà un haut fonctionnaire du ministère du Travail.

Auteur

  • Stéphane Béchaux