Un peu plus d’un an après l’adoption de la loi Rebsamen réformant les IRP, les rares entreprises qui appliquent le texte constatent –directions comme élus du personnel-, que leur dialogue social a gagné en qualité et a retrouvé un sens qui s’était perdu dans le formalisme.
Instance des délégués de proximité (IDP)” ; “comité HSCT-DP” ; “DUP nouvelle formule” ; “comité d’hygiène, sécurité, environnement, conditions de travail-développement durable (CHSECT-DD” ; “comité économique et social”. Les entreprises n’ont pas fait dans la poésie lorsqu’elles ont choisi le nom de la nouvelle instance issue de la fusion de leurs institutions représentatives du personnel (IRP), rendue possible par la loi Rebsamen. Ces démarches sont encore pionnières, un peu plus d’un an après le vote du texte qui autorise de telles fusions moyennant un accord collectif.
"Sortir le dialogue social du formalisme". Promulguée en août 2015, la quatrième loi du quinquennat a l’ambition de « sortir le dialogue social du formalisme pour améliorer sa qualité », rappelle Ivan Béraud, secrétaire général de la F3C-CFDT. Outre la possibilité de fusionner les IRP, elle oblige les entreprises à regrouper les 17 informations-consultations récurrentes en trois blocs (stratégie, situation économique, politique sociale) et à faire de même avec les négociations obligatoires (salaires, qualité de vie, GPEC).
Un peu plus d’un an après son adoption, un peu moins d’un an après la parution des décrets, le bilan de la loi Rebsamen est quantitativement très faible, mais qualitativement intéressant : elle fait sens pour les directions comme pour les représentants du personnel. Le nombre d’accords d’entreprises qui en sont issus se compte sur les doigts des deux mains. À notre connaissance, seuls Korian, Solvay, La Mondiale, Crédit mutuel Arkéa, Groupe Up et un entrepôt d’Etam ont négocié la fusion de leurs IRP. De leur côté, Réseau transport d’électricité (RTE) et Coca-Cola ont négocié l’articulation de leurs informations-consultations.
Lente progression. « Plusieurs accords ont déjà été conclus dans ce nouveau cadre, preuve que les salariés et les entreprises s’en emparent », estimait le ministère du Travail cet été. C’est optimiste, car selon plusieurs observateurs, les partenaires sociaux en entreprise ont encore une connaissance très lacunaire de la loi et, en conséquence, la pratiquent rarement.
« Sur une cession de formation à la loi Rebsamen regroupant une trentaine de nos militants, seuls trois ou quatre étaient concernés par le regroupement des “infos-consults”, pourtant obligatoire », relate Ivan Béraud, dont la confédération vient de lancer un spoc (formation en ligne) sur la loi. « La connaissance du texte progresse chez les élus et dans les directions, mais c’est lent, constate, de son côté, Christophe Doyon, directeur général du cabinet d’expertise auprès des comités d’entreprise Secafi. Les dispositions obligatoires sont rarement appliquées ».
Les lois s'enchaînent. Les causes dans ce retard à l’allumage sont à rechercher du côté des décrets, tardifs ; de l’enchaînement des lois sur le dialogue social, et du contenu même de la loi. Notamment, la fusion des IRP ne peut intervenir qu’à la fin des mandats. Par ailleurs, en voulant changer les pratiques habituelles des partenaires sociaux, le législateur provoque des résistances.
« La fusion des IRP et le regroupement des négociations inquiètent les mandatés, constate Ivan Béraud. J’ai aussi le sentiment que les directions d’entreprise préfèrent en rester au dialogue social formel plutôt que d’avoir en face d’elles des représentants du personnel qui vont les chercher sur le fond. » Le regroupement des informations-consultations pose en outre des problèmes concrets : « Comment traiter les très nombreux thèmes de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise », s’interroge Catherine Ferrière, Pdg du cabinet d’experts auprès des CE Tandem. Le bloc “politique sociale” des informations-consultations regroupe à lui seul une bonne douzaine de thèmes traités jusque-là séparément.
"Une bonne loi". Catherine Ferrière remarque également que la loi ne fixe pas de calendrier à ces consultations : « Si les élus ne s’en emparent pas, elles peuvent être repoussées en fin d’année voire au début de l’année suivante, ce qui reviendrait, par exemple, à consulter les élus en 2017 sur les chiffres de la politique sociale de 201.5 . « La loi Rebsamen est une bonne loi, mais les acteurs ne sont pas prêts, nous n’en verrons les effets bénéfiques que dans quelques années », analyse Michèle Rescourio-Gilabert, directrice du développement de DS & O et consultante à Entreprise & personnel. « Je suis pessimiste, je crains qu’il ne faille en passer par la Cour de cassation pour faire appliquer la loi », déclare Ivan Béraud.