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« La fatigue des forces de police mise en avant par la préfecture pour interdire une manifestation est un moyen de droit inédit »

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 22.06.2016 | Emmanuelle Souffi

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Avant de se rétracter à la mi-journée, la préfecture de Paris avait décidé d’interdire la manifestation des opposants à la loi travail du 23 juin. Une première rappelle l’avocat Alexandre Ebtedaei qui souligne la faiblesse des sanctions en cas de défilés non autorisés.

L’Etat a-t-il déjà interdit une manifestation syndicale ?
C’est une première ! Il faut remonter à la période de l’après guerre où, de 1954 à 1967, les défilés du 1er mai ont été interdits. Récemment, des rassemblements politiques n’ont pas pu se tenir : en novembre durant la COP 21 ; en février 2016 à Calais à l’appel d'organisations de l’extrême droite proches du mouvement Pegida en Allemagne ; en juillet 2014 dans le quartier de Barbès à Paris en soutien à la Palestine. Ces arrêtés frappent tout type d’organisation, quelque soit sa couleur ou son appartenance politique.

Quels sont les arguments du préfet ?
Ses motifs reposent sur la nécessité de maintenir l’ordre public. Le Conseil d’Etat exige que l’interdiction ne soit pas générale et que le préfet démontre en quoi il n’est pas en mesure d’assurer la sécurité et le maintien de l’ordre public du fait de circonstances exceptionnelles. La fatigue des forces de police mise en avant par la préfecture de police de Paris pour justifier l’interdiction est un nouveau moyen de droit, inédit, auquel le juge administratif, en cas de contestation, risque d’être sensible car il se surajoute à d’autres difficultés (menace terroriste, Euro 2016). Ce qui s’est passé le 14 juin avec les dégradations à l'hôpital Necker a beaucoup choqué l’opinion publique. Si le juge estime que l’Etat n’a pas les moyens d’assurer la sécurité des tiers et des manifestants, il confirmera la décision du préfet, ce qu’il fait généralement.

La justice a-t-elle déjà annulé une décision d’interdiction ?
Il y a un précédent : le 12 novembre 1997, le conseil d’Etat avait annulé l’interdiction préfectorale motivée par la visite du premier ministre chinois à Paris. Aucune manifestation ne devait se tenir durant cette période, notamment un rassemblement pro-tibétain devant l’ambassade de Chine. Le Conseil a estimé que l’interdiction était disproportionnée et qu’il appartenait à l’Etat d’assurer la sécurité devant l’ambassade chinoise.

Les syndicats peuvent-ils contester la décision du préfet ?
Ils peuvent déposer un référé liberté, comme tout citoyen qui estime que l’administration a pris une mesure contraire à ses droits. Le tribunal administratif dispose alors de 48 heures pour se prononcer. Les organisations ont certainement déjà préparé un recours en ce sens. Soit elles sont légalistes et attendent la décision de la justice quitte à reporter la manifestation avec l’adoubement du juge. Soit elles manifestent quand même et forcent la main du juge. Il ne faut pas oublier qu’il y a encore un an, la CGT était à l’agonie après le scandale de l’affaire Lepaon. Aujourd’hui, elle s’est refaite une virginité sur le terrain de la lutte. Plus le gouvernement résiste, plus elle gagne en visibilité.

Qu'auraient risqué les opposants à la loi travail s'ils avaient quand même manifesté le 23 juin ?
L’article 431-9 du code pénal punit ceux qui organisent une manifestation non déclarée ou interdite de six mois de prison et 7500 euros d’amende. Cet article n’a jamais été appliqué vis à vis d’une centrale. On imagine mal le procureur poursuivre la CGT. Ce serait donner une formidable tribune politique aux opposants au projet de loi travail. A titre individuel, ceux qui manifestent encourent une contravention de première classe de 11 euros pour refus d’obéir à des instructions de la police. Vu le nombre de participants et la faiblesse des montants à recouvrir, il y a peu de chance que des PV soient notifiés.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi