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Jean-Bernard Lévy met les syndicats d’EDF sous pression

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 16.02.2015 | Anne Fairise

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Quatre séances de négociation prévues, des documents remis sur table, une communication directe aux 30000 cadres… La nouvelle direction d'EDF bouscule les pratiques du dialogue social interne. Explosif

Faut-il y voir les premiers signes de la culture du résultat que Jean-Bernard Lévy compte déployer chez EDF ? Son nouveau président, qui a rouvert deux mois après sa nomination le dossier des forfaits-jours pour les cadres, a décidé de mettre les syndicats sous pression. Le 6 février, dès le lendemain de la première des quatre réunions plénières programmées d’ici mi-avril, les 30000 cadres concernés ont été informés des propositions de la DRH... 

La goutte de trop pour la CGT, la CFE-CGC et FO, qui se sont constitués en intersyndicale. Faut-il comprendre « que les organisations syndicales ne seraient pas représentatives de ceux qui les ont élus ? » interrogent-elles, dans un communiqué commun. En accusant la direction de « ne pas donner aux représentants des salariés les bases et les conditions d’un vrai dialogue social ».

Dans leur collimateur: « le nombre limité de réunions de négociations »  les « documents remis en début de séance, (qui) impos(ent) une appropriation trop rapide empêchant toute préparation et analyse approfondie du texte » et, surtout, « cette nouvelle méthode qui consiste à communiquer directement et très rapidement aux salariés concernés ». Résultat, les trois syndicats se retrouvent, ce lundi 16 février, pour décider de la riposte. 

Vieux serpent de mer

La méthode, il est vrai, détonne dans une maison habituée à multiplier les précautions pour faire vivre « sa longue tradition de concertation ». Sur l’emblématique accord d’aménagement du temps de travail de 1999, qui a été LA vitrine de la politique de partage du travail, les tentatives n’ont pas manqué. L’introduction d’un forfait-jours pour les cadres d’EDF SA, au régime du décompte horaire hebdomadaire depuis 1999, est un très vieux serpent de mer. 

Une première tentative, portant sur un forfait de 200 jours, a échoué en 2009 sous le président Pierre Gadonneix. Son successeur Henri Proglio, qui ambitionnait en avril 2013 d’« harmoniser et rationaliser les pratiques », n’a pas eu plus de chance, malgré une longue série de séminaires et de réunions préparatoires. Cette deuxième négociation sur l’introduction d’un forfait-jours (de 212 jours) a achoppé en mai 2014, sous la double opposition de la CGT et de la CFE-CGC.

À en croire un saignant rapport de la cour des comptes, paru en 2013, il est pourtant urgentissime d’engager une « réflexion sur l’organisation du travail dans la perspective d’une meilleure disponibilité et de gains de productivité ». Les principes de l’accord de 1999 (des cycles horaires permettant de libérer des journées pour faciliter l’embauche) « ne sont plus adaptés aux enjeux industriels », expliquent les sages de la rue Cambon. 

Conséquences dommageables aux finances d’EDF? Une durée annuelle de travail des agents d’EDF SA de 1.548 heures, inférieure à la durée de référence de la branche (1570 heures) et à celle inscrite dans le Code du travail (1607 heures). Sans compter un nombre important d’heures supplémentaires par agent. Car, en vertu du statut des Industries électriques et gazières (IEG), les heures supplémentaires sont celles au-delà de l’horaire programmé dans la journée, et non au-delà de la durée hebdomadaire du travail.

Nouveau forfait à 212 jours

Or, dans les centrales nucléaires, seuls établissements où le badge est de rigueur et où travaillent la moitié des cadres, les dépassements sont légion. Depuis 2010, l’inspection du travail harcèle la direction pour les multiples infractions au repos de 11 heures entre deux jours de travail. Selon la CGT, une dizaine de PV pour travail dissimulé ont même été dressés en 2014 ! Révélateur, Dominique Minière, directeur délégué de la production et de l’ingénierie participe aux nouvelles négociations. 

Elles débutent bien mal selon les syndicats, tous vent debout contre la nouvelle proposition de forfait-jours à 212 jours. Comme lors de la précédente négociation, la direction l’a assorti d’une augmentation  individuelle allant jusqu’à 6% du salaire pour compenser la perte des JRTT. Qui est variable : les agents disposent de 23 à 32,5 jours de RTT selon les accords locaux négociés. 

« La direction revient avec des propositions quasi-identiques à celles faites il y a un an! Alors que nous étions arrivés à un point de désaccord, faute de disposer d’un état des lieux détaillé des réalités du temps travaillé par les cadres, de leur charge de travail effective, des métiers concernés... Et nous le réclamons toujours », martèle Dominique Raphel, négociateur de la CGT, première organisation (37,5% des voix), pour qui « il est impossible d’envisager une modification de la durée du travail sans repenser les organisations ni envisager des embauches, en assistance technique ou administrative ». Mais, déplore-t-il, « ce n’est visiblement par l’objectif de la direction, qui ne vise qu’un allongement du temps de travail ».  

Maîtrise des coûts

« Augmenter les heures travaillées de trois semaines n’est pas la solution! Il n’y a pas besoin d’un forfait-jour pour avancer sur l’organisation et la qualité de vie au travail. Mais la direction y voit un avantage : éviter l’embauche de 2000 personnes », commente Eric Lemoine, délégué syndical central CFDT. « S’il y a des problèmes de dépassements horaires dans le nucléaire, il faut trouver dans ce secteur la solution. Pourquoi élargir la négociation à tous les cadres ? Ils ne sont pas demandeurs. Depuis 15 ans, ils ont construit leur équilibre de vie, sur les récupérations en jours RTT», ajoute Frédéric Letty, DSC CFE-CGC, deuxième syndicat de l’électricien.

Pour EDF, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, l’enjeu est d’importance dans la production nucléaire. L’électricien va engager d’importants travaux pour rénover le parc et prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires au-delà des 40 ans. Un programme qui « nécessitera de dépenser en moyenne 5 milliards d’euros par an dans la maintenance nucléaire jusqu’en 2025, contre plus de 3 milliards actuellement », a expliqué Jean-Bernard Lévy dans un récent entretien. Sans cacher sa volonté de décupler les efforts pour maîtriser les dépenses opérationnelles. En passant, par exemple, à une comptabilisation par jour de travail chez EDF SA. Comme dans toutes les grandes entreprises. 

Auteur

  • Anne Fairise