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CHSCT : le coût de l’expertise en question

Entreprise & Carrières | Dialogue Social | publié le : 13.04.2015 | Hubert Heulot

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Dans le cadre de la réforme en cours du dialogue social, les pistes ne manquent pas pour redéfinir le droit du CHSCT à recourir à des experts. Il s’agit d’un abcès de fixation pour les représentants du patronat. Mais l’utilité de l’instance n’est pas remise en cause.
 

Trop chères, trop lon­gues, de piètre qualité, instrumentalisées par les représentants du personnel pour s’opposer aux projets des directions, les expertises commandées par le CHSCT suscitent l’ire de nombreux chefs d’entreprise. « Elles concentrent une certaine acrimonie, voire une exaspération des directions », constate Pierre-Yves Verkindt, professeur de droit social à la Sorbonne. Ce dernier a rencontré de nombreux acteurs de la santé au travail pour rédiger son rapport, “Les CHSCT au milieu du gué”, commandé par Michel Sapin, alors ministre du Travail, après l’accord national, en 2013, sur la qualité de vie au travail.

Focalisation sur les dérives de l'expertise Dans son « état des lieux », remis le 28 février 2014, Pierre-Yves Verkindt va jusqu’à estimer que la focalisation sur les dérives de l’expertise entraîne un tel biais dans l’appréciation de l’institution du CHSCT que toute réforme la concernant « sera difficile tant que la question de l’expertise ne sera pas traitée ». Alors que la négociation entre les partenaires sociaux sur la réforme du dialogue social en entreprise a achoppé, fin janvier, sur le CHSCT, le gouvernement, qui a repris la main, va devoir y apporter une réponse dans le projet de loi présenté le 15 ou le 22 avril en Conseil des ministres. Fin mars, le ministre du Travail, François Rebsamen, a consulté les partenaires sociaux en réunions bilatérales. Ensemble, ces derniers ont également rencontré le Premier ministre le 25 février. Manuel Valls a alors dessiné un CHSCT dont les compétences étaient conservées : désignation des experts et possibilité d’aller en justice. Il proposait également de créer la possibilité d’intégrer, par accord d’entreprise, le CHSCT dans une délégation uni­que du personnel, élargie aux entreprises de 200 à 300 salariés.

Égalité des armes Le rapport de Pierre-Yves Verkindt ne remet pas en cause le principe de l’expertise. Son intérêt est reconnu par les plus critiques à son égard. L’« égalité des armes », notamment en matière d’accès à l’information, nécessaire à tout débat à l’intérieur d’un collectif humain, et l’apport à l’entreprise pour nourrir sa stratégie de prévention, font consensus. Le professeur rappelle toutefois l’objectif limité de l’expertise : alors que le CHSCT est dépositaire de ce qu’il appelle le « travail réel », tâche d’autant plus importante que « les pratiques managériales tendent à en éloigner les décideurs », les membres du CHSCT sont « les premiers experts de leurs conditions de travail et de celles des salariés qu’ils représentent… l’expertise n’apportant qu’une aide à la constitution de ce savoir ». Mais Pierre-Yves Verkindt dresse un constat sévère : « Des pratiques d’expertise insuffisamment contrôlées nuisent au moins autant à l’institution toute entière du CHSCT qu’à la seule expertise. » Il détaille : « C’est du côté de la crédibilité des experts que se joue l’essentiel du psychodrame, souvent surjoué, qui ­caractérise le débat. »

Régulation du secteur Et il prévient sur les remèdes : « Certaines critiques – coût, utilité – ne pourront être résolues que par une volonté des acteurs de travailler eux-mêmes à la régulation du secteur. » C’est ce qui a suscité la création, fin 2014, du syndicat des experts agréés de CHSCT (SEA-CHSCT). À son programme, déontologie et maîtrise des honoraires. Pour les appliquer, une commission de conciliation bâtie en son sein, sur le modèle de celle qui fonctionne bien dans l’ordre des experts-comptables, pourra être saisie par toutes les parties prenantes d’un CHSCT et rendra des avis pour sortir des conflits. « 5 % seulement des expertises sont concernées, souligne Dominique Lanoë, président du SEA-CHSCT. Sur les honoraires, il ne s’agira évidemment pas d’arbitrer mais plutôt de raisonner éventuellement un collègue. » Pierre-Yves Verkindt préconise, quant à lui, le maintien de l’agrément des experts par l’État alors que d’autres suggèrent la libéralisation de la profession et donc la sélection de ses membres par le marché. Mais au lieu de la diversité actuelle des durées d’agrément, il suggère une première licence de deux ans puis des renouvellements de quatre ans en quatre ans. Surtout, il appelle à nouveau à l’autodiscipline des experts de CHSCT.

Financement par le comité d’entreprise Avec ces corrections à la marge, Pierre-Yves Verkindt, comme le jeune SEA-CHSCT, sont loin de satisfaire l’ANDRH. Jean-Paul Charlez, son président, prône, à l’instar du Medef, la fusion du CHSCT dans le comité d’entreprise. Celui-ci financerait les expertises sur son budget de fonctionnement, « généralement sous-utilisé », quitte à l’augmenter. « Il n’est pas sain que les questions de santé et de sécurité au travail soient examinées en dehors du reste de la vie de l’entreprise », explique-t-il. Position inver­se de celle d’Alain Alphon-Layre, secrétaire national de la CGT, pour qui les considérations économiques primeraient ainsi toujours sur les conditions de travail. Martine Keryer, secrétaire nationale de la CFE-CGC, espère que le projet de loi renforcera la co-construction, bien entamée, entre employeurs et salariés de la santé au travail, plutôt que d’en faire un sujet d’affrontements. Le gouvernement va maintenant devoir trancher.

 


 

Des pistes pour limiter les coûts

La Dares dénombre 1 400 expertises CHSCT par an pour 24 000 CHSCT, sans compter ceux de la Fonction publique. Pierre-Yves Verkindt, professeur de droit social à la Sorbonne, estime que ce volume n’est pas abusif. Leur coût est en moyenne de moins de 80 000 euros, selon l’association SEA-CHSCT, donc loin des 300 000 euros parfois cités pour certaines très grandes entreprises. Le professeur rappelle une particularité de l’expertise du CHSCT. Elle ne s’effectue pas sur pièces préexistantes, comme celle de l’expert-comptable du comité d’entreprise. Elle nécessite souvent de construire sa base d’analyse pour recueillir l’information (en relation avec les conditions de travail) qu’elle va utiliser. « Il en résulte un rapport au temps fondamentalement différent de celui de l’expert-comptable », conclut-il

Il suggère trois pistes pour limiter ce coût : que l’État incite les experts de CHSCT à s’autoréguler ; la réduction du montant des honoraires par les juges (arrêt du 15 janvier 2013 de la chambre sociale de la Cour de cassation) ; la limitation à une expertise unique, dans les entreprises à sites multiples, par le recours à l’instance de coordination des CHSCT créée dans la loi sur la sécurisation de l’emploi de juin 2013. ♦


 

Auteur

  • Hubert Heulot