L’appétence des entreprises à se doter d’une raison d’être ou à se constituer en sociétés à mission risque-t-elle de connaître un sérieux ralentissement? C’est ce que redoute France Stratégie, le think tank placé dans l’orbite de Matignon pour tirer le bilan des politiques de l’État, dans son deuxième rapport du comité de suivi et d’évaluation de la loi Pacte paru le 30 septembre dernier. Depuis 2019, les employeurs ont la possibilité d’intégrer des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux dans ses objectifs au-delà des seuls gains financiers et s’y tenir, sous le contrôle d’un organisme tiers indépendant (OTI) désigné par le Comité français d’accréditation (le Cofrac). Sur le papier, la mayonnaise prend : selon le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), on comptait en septembre 300 sociétés passées sous ce statut. Et si, parmi elles, on recense de grands comptes (La Poste, la MAIF, Danone, Rocher, le Crédit Mutuel…), l’entreprise à mission n’est pas qu’un privilège de riches puisque « 69 % d’entre elles sont des PME de moins de 50 salariés » relève l’Observatoire des sociétés à mission.
Sauf que l’entreprise à mission reste à ce jour encore largement un objet mal considéré dans les sphères patronales et dirigeantes. Et les soupçons de social-washing ou de green-washing ont toujours la vie dure. « Le risque que l’adoption d’une raison d’être soit perçue comme une pure opération de communication est bien identifié. D’après l’enquête BVA (2021), près de 46 % des dirigeants estiment que cette adoption correspond avant tout à une opération d’affichage et que les modes de contrôle ne garantissent pas l’organisation d’actions concrètes », note France Stratégie. Pire : le caractère vertueux de l’entreprise adopté par ses dirigeants peut se voir parfois totalement balayé par la recherche de l’intérêt financier immédiat des actionnaires. En témoigne le cas de Danone, premier groupe français à avoir adopté ce statut, où les fonds activistes actionnaires sont parvenus à obtenir l’éviction du PDG Emmanuel Faber (et le renouvellement presque complet du conseil d’administration) pour cause de non-rentabilité. Ou Suez, où l’invocation de la raison d’être de l’entreprise pour empêcher l’OPA de Veolia, n’a pas apaisé les appétits du groupe piloté par Antoine Frérot. Deux exemples susceptibles de remettre sérieusement en doute l’intérêt pour une entreprise de se constituer en société à mission et donner un sérieux coup de frein aux vocations éthiques.