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Partage de la valeur, une négociation sous haute tension

Rémunérations | publié le : 10.11.2022 | Benjamin d'Alguerre

Partage de la valeur: une négociation sous haute tension

Partage de la valeur: une négociation sous haute tension.

Crédit photo Hyejin Kang - Adobe Stock

Les organisations syndicales et patronales ont débuté leur négociation sur le partage de la valeur selon un agenda soutenu qui devrait les mener jusqu’à la fin janvier. Deux sujets de « casus belli » ont d’ores et déjà émergé: la question salariale que les syndicats veulent absolument aborder lors des débats et celle du dividende salarié qui irrite les patrons de PME.

Partager la valeur dans l’entreprise. Oui, mais comment? Les partenaires sociaux, qui ont ouvert le 8 novembre dernier dans la soirée leur négociation sur le partage de la valeur savent qu’ils s’engagent dans des débats à hauts risques. La preuve: entre dix et douze séances de négociation ont été prévues à l’agenda, signe que les débats ont toutes les chances d’être complexes... et tendus. « La question des salaires va constituer un gros sujet de clash, c’est déjà évident », observe Luc Mathieu, négociateur pour la CFDT. De fait, la partie syndicale a choisi unanimement de s’affranchir du document d’orientation de la négociation élaboré par le ministère du Travail qui prévoit trois sujets de discussion – généralisation des dispositifs de partage de la valeur dans les entreprises, notamment dans les PME-TPE, démocratisation de la prime de partage de la valeur (PPV, ex-« prime Macron » portée jusqu’à un maximum de 6.000 euros) et orientation des dispositifs d’épargne salariale vers des investissements responsables, écologiques et solidaires – pour mettre la question salariale sur la table. « Les primes, c’est toujours bon à prendre, mais cela ne remplace pas le salaire en fin de mois. Quand vous allez voir votre banquier pour un prêt, c’est votre salaire qu’il regarde, pas la possibilité d’une prime en fin d’année », rappelait Frédéric Souillot, secrétaire général de Force Ouvrière à l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale.

« Effets pervers » des politiques de primes

La pomme de discorde est donc bien identifiée. Et les syndicats n’entendent pas lâcher en cours de route la question salariale dont le patronat, lui, n’entend pas discuter à ce stade. Luc Mathieu précise : « Il ne s’agit pas seulement de parler d’augmentations de salaires, mais d’embrasser l’ensemble des problématiques qui tournent autour de la question salariale: salaires minima hiérarchiques, rapport entre les rémunérations les plus hautes et les plus basses de l’entreprise, égalité hommes-femmes, part variable et transparence fiscale des entreprises ». Une série de dossiers que la CGT, de son côté, aurait préféré voir abordée au cours d’une grande conférence nationale sur les salaires. À Montreuil, on ne cache d’ailleurs pas son hostilité au document d’orientation gouvernemental qui limite le partage de la valeur aux seules politiques d’intéressement, de participation ou de primes. « Cette politique de primes induit des effets pervers, détaille Boris Plazzi, négociateur cégétiste en chef. Elles restent aléatoires et dépendent des résultats annuels de l’entreprise, elles ne reconnaissent pas les qualifications des salariés et, surtout, elles ne sont pas sources de cotisations pour le chômage, la maladie et la retraite. Les primes, c’est un coup de poignard dans le dos au financement de la protection sociale. »

Si les services du ministère du Travail tablaient initialement sur une conclusion de la négociation fin novembre, les partenaires sociaux ont réussi à obtenir trois mois de délai supplémentaire pour un bouclage annoncé au 31 janvier. Un sursis bienvenu car, au-delà, des passes d’armes attendues autour du sujet « salaires », les organisations syndicales et patronales vont aussi devoir plancher sur un nouveau calcul simplifié de la formule mathématique permettant aux entreprises de déterminer les montants à reverser aux salariés au titre de la participation. Pas simple, car il va falloir passer d’une formule actuellement déterminée comme suit: RSP = [½(B – 5% C)] x [S/V] à un calcul beaucoup plus accessible à un patron de TPE, dans l’optique de pouvoir déployer ce mécanisme de partage de la valeur dans les structures de moins de cinquante salariés.

La CPME contre la participation dans les petites boîtes

Un dernier projet qui hérisse la CPME. « S’ils veulent l’imposer, ils vont nous trouver en face », fulmine Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales au sein de la Confédération des patrons de PME. En cause, un dispositif selon lui inadapté aux petites boîtes « qui ne permet pas de faire aisément le lien entre les résultats de l’entreprise et les sommes effectivement versées ». Si la Centrale des petits patrons lui préférerait une formule de versement de primes calculée à partir du résultat de l’entreprise (et non de la « réserve de participation », calculée avant impôts), sa préférence va surtout à la PPV défiscalisée et désocialisée. Quant à l’hypothèse que cette participation dans les PME prenne la forme du « dividende salarié » sur le modèle du dispositif imaginé par l’ancien vice-président du Medef Thibault Lanxade, la CPME lui oppose une fin de non-recevoir claire et nette. « Ce serait faire fi des réalités économiques et juridiques des PME », estime Eric Chevée. En clair, l’application du dispositif créerait une confusion entre la trésorerie d’une holding – si petite soit-elle – qui lève des fonds et rémunère les actionnaires, et celle des sociétés qui y sont rattachées qui émettent les paiements des salariés. Et mettrait en danger un business model choisi par de nombreux patrons de PME. Surtout si, comme le souhaite la CFDT, le versement de dividendes aux actionnaires se retrouve conditionné au versement de dividendes aux salariés. « On aura vraiment beaucoup de mal à aller chercher un mandat auprès de nos adhérents pour négocier là-dessus », prévient le vice-président de la CPME. Sur ce point, le Medef lui conserve le silence. À voir si une fracturation du camp patronal sur ce sujet ne surviendra pas lors de la négociation.

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre