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Alain Olive : "Marine Le Pen prône la liberté syndicale totale pour abattre le système de représentativité"

Syndicats | publié le : 11.04.2022 | Benjamin d'Alguerre

Alain Olive.

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Qu’elle soit française ou européenne, l’extrême droite met de plus en plus en avant son volet social afin de séduire les classes populaires. Pourtant, les différents partis nationalistes demeurent arc-boutés sur leurs fondamentaux antisyndicaux comme le montre l’enquête L’extrême droite européenne contre les travailleurs publiée en mars 2022 par l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès. Entretien avec l’un de ses auteurs, Alain Olive, ancien secrétaire général de l'Unsa.

 

Pourquoi avoir réalisé cette enquête ?

Alain Olive : Pour deux raisons. La première, c’est qu’à la Fondation Jean Jaurès, nous prenons très au sérieux la montée de Marine Le Pen et du Rassemblement national qui furent déjà au second tour de la présidentielle de 2017. Or, si les positions politiques de ce parti sur l’immigration sont abondamment étudiées et font l’objet de nombreux rapports et articles, sa vision de la démocratie sociale demeurait un véritable angle mort. C’est afin d’en savoir plus sur ce sujet que nous avons engagé cette enquête. Une fois cette idée lancée, nous nous sommes rendu compte qu’il serait pertinent d’étendre cette étude à plusieurs pays européens. Nous avons donc étudié la situation allemande en collaboration avec la Fondation Friedrich Ebert, proche du SPD (parti social-démocrate allemand) et du DGB (confédération allemande des syndicats à laquelle adhère notamment IG Metall), afin d’étudier les relations entre les syndicats et l’AFD et avons procédé au même exercice avec des partenaires européens en Suède avec LO (Landsorganisationen i Sverige), la grande confédération des syndicats suédois vis-à-vis des Démocrates suédois, le principal parti nationaliste du pays, ainsi qu’en Italie sur les relations qu’entretiennent les syndicats transalpins avec les deux formations d’extrême droite, La Lega et Fratelli d’Italia.

La seconde raison, ce fut la présence de plusieurs figures syndicales (dirigeants d’unions territoriales ou de fédérations professionnelles) issues de l’Unsa, de la CFTC ou de la CFE-CGC comme têtes de listes du RN aux dernières élections régionales et départementales. Le phénomène n’a pas été massif mais il dit quelque chose sur l’efficacité de la stratégie de dédiabolisation engagée par Marine Le Pen. Quelle vision sociale son parti porte-t-il au point d’attirer à lui des personnalités venues des hautes sphères du monde syndical ? C’est ce que nous voulions savoir.

Et votre conclusion ?

A. O. : Il existe indéniablement un changement ton au RN sur le social. Marine Le Pen a su revêtir de nouveaux habits idéologiques, mais le vieux fond d’extrême droite du parti est en réalité toujours bien présent dans ses fondamentaux. Le maintien du concept de "priorité nationale" (anciennement "préférence nationale") dans son programme et le fait qu’elle souhaite l’intégrer dans le bloc de constitutionnalité français s’inscrit en porte-à-faux total avec la tradition syndicale attachée à la défense de tous les travailleurs, qu’ils soient nationaux ou étranger. De plus, lorsque l’on regarde la littérature du RN (et avant, celle du FN), on s’aperçoit que, dans la philosophie du parti, les syndicats restent perçus comme des perturbateurs de l’ordre social et jamais comme des facteurs de progrès. En dépit de son nouveau discours, le RN reste un parti attaché à l’idée d’une société ordonnée où le conflit et le compromis ne sont pas acceptés. C’est une vision sociale qui repose largement sur des fantasmes mais qui reste persistante au sein du RN. Les syndicats très marqués à gauche comme la CGT sont évidemment toujours vus avec hostilité, mais les réformistes ne sont pas considérés sous un meilleur jour. Il faut se rappeler que Marine Le Pen a qualifié la CFDT d’"idiote utile du macronisme". .

Pourtant, le FN et le RN ont déjà tenté de s’implanter dans le monde syndical…

A.O? : Oui. À la fin des années 1990, lorsque Bruno Mégret était encore le numéro 2 du parti, plusieurs tentatives de création de syndicats affiliés au FN dans la police, la pénitentiaire ou les transports avaient été menées. Sauf qu’ils s’étaient heurtés à la justice à cause de la notion de préférence nationale comprise dans leurs statuts qui pouvait entraîner des discriminations au travail et entrait donc en contradiction avec la raison d’être d’un syndicat. Un arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 1998 a interdit la qualification de syndicat à toute personne morale discriminant les salariés étrangers. Cela a cassé les pattes de ces organisations qui n’y ont pas survécu. Aujourd’hui, le RN a changé de stratégie : Marine Le Pen prône la liberté syndicale totale, ce qui constitue une tactique pour abattre le système de représentativité créé par la loi de 2008 et permettre à quiconque de créer un syndicat indépendamment de l’obligation faite à ceux-ci de respecter les règles républicaines. Ce serait un moyen de faire émerger des syndicats autonomes dans les entreprises et d'interdire aux organisations jusqu’ici représentatives d’être vectrices de dialogue social interprofessionnel ou de branches. Finalement, cela reviendrait à supprimer les syndicats existants. C’est un projet très dangereux pour la démocratie sociale.

Quid des positions d’Éric Zemmour sur le sujet syndical ?

A. O. : Lorsque nous avons engagé cette enquête à l’été 2021, il n’était pas encore rentré dans la course électorale. Mais globalement, sur les questions de démocratie sociale, Éric Zemmour ne dit rien. Les CSE ? Le paritarisme ? Le rapport entre loi et contrat ? Je mets quiconque au défi de trouver une seule référence à ces sujets dans son programme ou dans celui de Marine Le Pen, d’ailleurs. Ce n’est manifestement pas leur tasse de thé.

Dans ces conditions, comment expliquer que des syndicalistes votent de plus en plus pour le RN à en croire les différentes enquêtes réalisées ces dernières années ?

A. O. : Le positionnement protestataire du RN séduit une partie des classes populaires et déborde donc dans les organisations syndicales. Quand on compare avec d’autres pays européens, on voit que la tendance est générale. Les thèmes de l’extrême droite répondent en partie à des revendications populaires, mais cela ne débouche pas sur la création de syndicats ou à la pénétration des idées d’extrême droite dans le corpus syndical, sauf à la marge en Allemagne, où le Zentrum Automobil, proche de l’AFD s’est implanté chez des constructeurs auto comme Daimler ou Mercedes.

Et en Italie où existe une tradition syndicale néofasciste ?

A. O. : C’est un peu spécial car la Lega fait partie de l’actuel gouvernement Draghi. Il existe une petite organisation syndicale, l’UGL, proche de ce parti mais elle reste très minoritaire. Il est vrai qu’en 1927, le pouvoir mussolinien avait édicté une charte du travail qui autorisait une certaine forme de syndicalisme, d’obédience corporatiste. On a connu des chartes similaires dans l’Espagne franquiste (1937) et dans la France pétainiste (1941). Elles reprennent toute une vision du travail commune à beaucoup de partis d’extrême droite, à savoir une notion de "collaboration de classes" entre patrons et ouvriers dans le cadre d’une société sans conflits et sans compromis.

Quid des directions syndicales européennes ? Existe-t-il des tentations de joindre leurs voix aux revendications de l’extrême droite ?

A. O. : Globalement, non. Les directions syndicales regardent toujours l’extrême droite avec méfiance et hostilité. Nous ne parlons pas ici des militants ou même de certains cadres, mais bien des dirigeants. En 2011, en France, plusieurs organisations syndicales ont signé un texte commun réaffirmant leur opposition au concept de préférence (ou de priorité) nationale. Certaines organisations comme la CGT, Sud ou la FSU organisent régulièrement des sessions d’information pour leurs militants sur les dangers de l’extrême droite. Même du côté des structures plus réformistes, comme la CFDT ou l’Unsa, l’opposition est totale avec les idées défendues par le RN (et le FN avant lui). Au niveau européen, la confédération européenne des syndicats (CES) présidée par Laurent Berger, a d’ailleurs engagé depuis plusieurs mois une campagne contre l’extrême droite. En Allemagne, la DGB est fermement opposée à l’AFD. Idem pour LO en Suède ou en Espagne (qui ne fait pas partie du champ de notre étude) où les deux principales confédérations, l’UGT et les Commissions ouvrières, affirment ne vouloir engager aucun compromis avec Vox. Toujours hors du périmètre de notre enquête, la situation dans d’autres pays, comme la Hongrie, est plus compliquée. Mais c’est surtout la Pologne qui nous inquiète puisque là-bas, Solidarnosc, pourtant le syndicat historique de Lech Walesa, épouse complètement les positions du PIS, le parti d’extrême droite au pouvoir. Ils éditent d’ailleurs une feuille d’information en français où le RN est régulièrement considéré comme un parti acceptable. D’ailleurs, l’appartenance de Solidarnosc à la CES est aujourd’hui remise en cause.

Au Royaume-Uni, les syndicats étaient plutôt dans le camp du Brexit. Cela a-t-il fait dévier leur ligne idéologique vers l’extrême droite ?

A. O. : Non. Il est vrai qu’il y a eu des positions pro-Brexit de la part d’organisations syndicales mais il ne faut pas oublier qu’historiquement, le syndicalisme britannique est surtout un syndicalisme d’entreprise beaucoup plus que confédéral. Il n’y a pas à ma connaissance de rapprochement des organisations avec l’extrême droite au Royaume-Uni. Les syndicats britanniques continuent d’ailleurs à adhérer à la CES malgré le retrait du pays de l’Union européenne.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre